Section 1 : Un droit à la suspension de l’exécution du contrat de travail

Le contrat, loi des parties aux termes de l’article 1134 du code civil alinéa premier, doit être exécuté ; son inexécution est un fait contraire au droit. Conclu afin de produire des effets de droit, l’exécution des obligations localise le contrat dans le temps. Ainsi selon l’analyse doctrinale convientil alors de distinguer les contrats à exécution instantanée et les contrats à exécution successive, cette distinction permettant de rendre compte du facteur temps dans l’exécution du contrat.907 A l’évidence, le contrat de travail, contrat de louage, suppose par sa nature même une exécution prolongée ; il s’inscrit dans une certaine durée.908 Cette emprise sur l’avenir marque tout à la fois la force de la volonté des parties, leur confiance, mais aussi la faiblesse d’un instrument face à l’aléa. En effet, selon une jurisprudence établie909 et, sauf accord des volontés, l’engagement initial est immuable, le contrat à exécution successive engendre une certaine rigidité, compensée cependant par une souplesse lorsque entravé dans son exécution par un obstacle temporaire, le juge impose le maintien du contrat.910 Il a ainsi été souligné, que l’inexécution de ce contrat, parce que la volonté des contractants anticipe sur l’avenir, affecte non seulement les parties mais également plus ou moins directement les tiers, le contrat ne remplissant plus alors son utilité économique.911 Toutefois, concernant le droit commun des contrats, cette mesure de suspension n’est envisagée que comme une voie de justice privée activée par le créancier de l’obligation temporairement non exécutée. Cet effet suspensif relève de l’exception d’inexécution qui est la prérogative pour chaque partie à un contrat synallagmatique de refuser d’exécuter la prestation à laquelle il est tenu tant qu’elle n’a pas reçu la prestation qui lui est due. Le mécanisme de la suspension n’a donc pas d’existence autonome, sauf à avoir fait l’objet d’une stipulation spécifique dans le contrat.

En droit du travail, à l’inverse, la mesure de suspension du contrat apporte une protection immédiate aux contractants, spécialement au salarié, alors même qu’aucune disposition particulière ne figure dans le contrat. Il s’agit là d’une déformation d’une règle civile établie par le juge adaptée aux nécessités propres du contrat de travail.912 A ce titre, la doctrine remarque que le mécanisme de la suspension du contrat révèle l’esprit contemporain du droit du travail qui tend à assurer la stabilité de l’emploi.913 Si ce constat mérite d’être souligné, il doit aussi être précisé. En effet, l’expression stabilité de l’emploi recouvre le droit au maintien du contrat de travail opposable à la rupture, mais également l’effet du mécanisme de la suspension c’estàdire le retour dans l’emploi occupé initialement par le salarié. C’est dans cette vision d’ensemble que la suspension du contrat doit être comprise comme un véritable mécanisme de protection de l’emploi. Mais, c’est aussi ce qui a conduit un auteur à préciser que «‘ la stabilité de l’emploi n’est qu’une donnée, tout au plus un moyen au service d’une finalité qui transcende la suspension’. »914 En ce sens, la suspension du contrat comprise également comme un mécanisme de retour dans l’emploi occupé est bien un moyen de protection et non l’objet même de la protection. Autrement dit, et le développement du champ d’application de la suspension l’atteste, la stabilisation de la relation de travail par cet outil du contrat vise d’abord à affirmer un droit ou une liberté en relation avec la personne du travailleur. Tel fut originellement le cas pour la suspension du contrat du salarié victime d’un accident du travail, ou de la salariée pendant sa maternité. Mais on peut aussi remarquer que, les causes de suspension se multipliant, les finalités ont changés et sans doute s’orienteton aujourd’hui plus vers une protection de l’emploi. La conception synallagmatique du contrat est ici occultée et il revient pour partie à l’employeur en maintenant le contrat, et pour partie à la collectivité en assurant une continuité du revenu, de protéger l’emploi.915

Enfin, on remarquera que ce mécanisme de protection de l’emploi, s’accorde assez bien, avec l’idée que seul un emploi permanent justifie de techniques spécifiques de protection. En effet, la notion de contrat à exécution successive engendre une dualité entre les contrats à durée déterminée et les contrats à durée indéterminée. Dans le cadre du contrat à durée déterminée, qui n’a pas pour objet de pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, et alors même que le travailleur bénéficie du droit à la suspension de son contrat de travail, une disposition expresse édicte que « ‘la suspension du contrat à durée déterminée ne fait pas obstacle à l’échéance de ce contrat.’ »916 Ainsi, et lorsque le contrat est conclu de date à date, la suspension du contrat pour cause de maladie ne fait pas obstacle à l’échéance du terme, il prendra fin à la date fixée sans être prolongé de la durée de la suspension. Il en va de même lorsque qu’en vertu de l’article L. 5211 du Code du travail, le contrat de travail est suspendu pour fait de grève,917 ou lorsque la suspension es relations contractuelles trouve sa cause dans un arrêt de travail consécutif à un accident du travail.918

Notes
907.

J. GHESTIN, Traité de droit civil, t. II, La formation du contrat, 3ème éd., 1993, n°30 ; et du même auteur, Les effets du contrat, t. III, n°116 ; J. AZEMA, La durée des contrats successifs, L.G.D.J., 1969.

908.

Cette conception inscrivant la relation de travail dans la durée a marqué une rupture avec le mode d’embauche journalière.

909.

Cass. Civ. 6 mars 1876, D. 1876, 1, 193. J. CARBONNIER, Droit civil, Les obligations, PUF, n°144.

910.

Le mécanisme de la suspension fut d’abord introduit dans notre droit positif par le juge civil. A propos de la maladie, Cass. Civ. 3 déc. 1934, D.H. 1935, 84

911.

Voir notamment, J. TREILLARD, « De la suspension des contrats », in La tendance à la stabilité du lien contractuel, sous la direction de P. DURAND, L.G.D.J., 1960, page 60 ; P. DURAND, Traité de Droit du travail, T. II, Dalloz 1950, n°414 et suiv. ; J.F. ARTZ, « La suspension du contrat à exécution successive », D. 1979, Chron. XV ; G.H. CAMERLYNCK, Traité de droit du travail, le contrat de travail, Dalloz 1982, n°282.

912.

Voir, J. PELISSIER, « Droit civil et contrat individuel de travail », Dr. Soc. 1988, 387.

913.

Notamment, A. BRUN et H. GALLAND, Droit du travail, 2ème éd., t. 1, n°606 et suiv., G. COUTURIER, Droit du travail, 1/ Les relations individuelles de travail, P.U.F. 1990, n°203 et suiv. ; G. LYONCAEN, J. PELISSIER et A. SUPIOT, Droit du travail, 17ème éd., Dalloz 1994, n°245 ; Ph. LANGLOIS, « Contre la suspension du contrat de travail », D. 1992, Chron., XXIX.

914.

J.M. BERAUD, La suspension du contrat de travail, Thèse Lyon,1980, page 117. L’auteur remarque ainsi, avec justesse, que « lorsque le législateur décide que l’employeur doit laisser à ses salariés le temps nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, la suspension du contrat de travail n’a pas été posée en tant que moyen de sauvegarder la stabilité d’un emploi qui aurait été menacé, mais en tant que donnée nécessaire au fonctionnement de l’institution. » Contra Ph. LANGLOIS, art. précité.

915.

En ce sens, A. SUPIOT, Critique du droit du travail, P.U.F., les voies du droit, 1994, spéc. page 74 et suiv.

916.

Article L. 12235 du Code du travail.

917.

La grève prolongée audelà du terme prévu ne saurait entraîner la prorogation du contrat conclu de date à date, Cass. Soc. 21 nov. 1984, Bull. V., n°445.

918.

Article L. 132323 du Code du travail ; Cass. Soc. 4 nov. 1988, Cah. Prud’h. 1989, page 58.