Section 2 : Un « droit de suite » attaché à l’emploi

Les situations juridiques de travail organisent intrinsèquement la stabilité de la relation contractuelle, peu important d’ailleurs que cette situation juridique ait, ou n’ait pas, pour objet un emploi. C’est ainsi que le mécanisme de la suspension du contrat de travail s’applique à toutes les situations juridiques de travail,1017 c’estàdire à toute situation contractuelle de travail dépendant. Mais on pu relever que cette protection n’a pas la même portée lorsqu’elle a pour objet un emploi. De la sorte, indépendamment du jeu contractuel, la notion d’emploi génère un processus de protection qui acquiert sa cohérence si l’on admet la dimension « sociale » de l’emploi. En effet, ce n’est pas au sens de l’emploi élément de l’organisation de l’entreprise, ni au sens de l’emploi du contrat de travail que la notion de protection de l’emploi doit être comprise, mais dans la valeur que l’emploi porte en tant que fait générateur d’acquisition des droits sociaux fondamentaux.1018 En somme, c’est moins l’emploi économique ou le contrat de travail qui sont protégés que le maintien dans un lien d’emploi qui est recherché au travers de certains mécanismes. On a dit aussi, que la construction de cette protection était essentiellement défensive c’estàdire qu’elle est la conséquence d’un acte de remise en cause de la situation d’emploi par modification du contrat de travail ou suppression de l’emploi. Ces actes de remise en cause de l’emploi ont des faits générateurs divers mais les règles qui saisissent ces actes ont une finalité commune : le maintien du salarié dans un lien d’emploi.

Ce droit au maintien dans un lien d’emploi a un fondement théorique incertain1019 ; néanmoins, il rend compte de la persistance du rapport contractuel de travail. La doctrine a pu voir ici l’émergence du concept d’entreprise, spécialement en cas de transfert du contrat de travail résultant d’une modification de la situation juridique de l’employeur.1020 Mais cette analyse est insuffisante pour rendre compte d’autres situations qui font naître, au profit de celui qui occupe un emploi, un droit au maintien dans un lien d’emploi. Le contrat de travail, tout autant que le rapport juridique avec l’employeur ne sont pas à même de fonder ce lien notamment lorsque le contrat de travail est rompu. Alors que le fondement théorique est incertain, la source de l’obligation de maintien dans un lien d’emploi est légale ou conventionnelle. C’est d’abord la loi qui oblige au transfert du contrat de travail en cas de modification de la situation juridique de l’employeur (article L. 12212 al. 2 du Code du travail), c’est encore la loi qui institue au profit du travailleur licencié pour motif économique une priorité de réembauchage (article L. 32114 du Code du travail).1021

Ainsi, comme l’a soutenu Monsieur Gaudu,1022 la situation juridique d’emploi fait naître au profit du salarié un droit à la poursuite de son contrat de travail. Mais ce droit est un droit général qui est renforcé par un droit particulier lorsque le salarié occupe un emploi dans l’entreprise. Ce n’est plus seulement un droit à l’exécution du contrat de travail, c’est un droit au maintien dans un lien d’emploi qui est opposable à l’employeur. A cet égard, le même auteur remarquait que la situation juridique d’emploi est, dans certaines manifestations, une situation « réelle », même si, juridiquement, l’analogie est imparfaite.1023 Le lien d’emploi, tout aussi imparfaitement, peut trouver une traduction dans un « droit de suite » attaché à l’emploi en tant qu’il permet au titulaire de l’emploi d’opposer un droit au maintien dans un lien d’emploi au débiteur de l’emploi. Ce « droit de suite » qui s’insère dans un droit plus général au maintien du lien d’emploi est opposable à l’employeur en cas de modification de la situation juridique de l’employeur (Paragraphe I), et de façon originale, en cas de rupture du contrat de travail, comprenons ici le contrat d’emploi (Paragraphe II).

Notes
1017.

Le mécanisme du droit à la suspension se distingue ainsi du mécanisme de suspension/protection de la situation juridique d’emploi.

1018.

Supra n°1118 et n°133 et suiv., infra n°551 et suiv.

1019.

Supra n°133 et suiv.

1020.

Supra n°39 et suiv.

1021.

Cela n’exclut pas tout arrangement contractuel de stabilité d’emploi dans les situations susvisées. A propos de la priorité de réembauchage, voir par exemple, Cass. Soc. 25 juin 1986 Bull. V., n°335 ; 22 juill. 1986 Bull. V., n°468 ; 17 janv. 1989, Bull. V., n°28 ; 25 mai 1986, Bull. V., n°399 et 12 déc. 1992, Bull. V., n°705.

1022.

F. GAUDU, L’emploi dans l’entreprise privée, essai d’une théorie juridique, Thèse 1986.

1023.

Supra n°39 et suiv.