Paragraphe I : Le reclassement en cas d’inaptitude physique du salarié à son emploi

Protéger le lien d’emploi contre les vicissitudes liées à l’activité de l’entreprise permet de prendre en compte la part essentielle sinon unique du revenu tiré du travail et d’assurer à l’individu un statut social à un moment où ce statut est remis en cause. L’objet de la protection est donc l’emploi. En revanche, et bien avant, l’irréductibilité entre la personne et l’emploi a conduit à admettre une protection de la personne dont l’efficacité n’est assurée que par la pérennité du lien d’emploi. Ainsi, l’emploi estil moyen et objet de protection.1239 Si cette approche ne se départit pas, au moins pour le salarié, d’une conception patrimoniale de la force de travail,1240 elle répond aussi à d’autres objectifs notamment de santé publique et plus prosaïquement à un souci de préservation de la capacité de travail de l’individu au service de l’entreprise. En l’état du droit positif, le droit à la santé apparaît avoir trouvé sa place dans l’ordonnancement juridique par l’énoncé de règles substantielles. Ainsi, la convention 155 de l’O.I.T., dans son article 5, énonce l’exigence de « l’adaptation du temps de travail, de l’organisation du travail et des procédés de travail aux capacités physiques et mentales des travailleurs. » En droit interne, la loi affirme la responsabilité de l’employeur en matière de conditions de travail relativement à l’hygiène (article L. 2321) et à la sécurité des travailleurs (article L. 2331 du Code du travail), le directeur départemental du travail pouvant mettre en demeure l’employeur de prendre toutes dispositions afin d’en assurer le respect.1241 En outre, le législateur a organisé la surveillance de l’état de santé du travailleur grâce à l’intervention du médecin du travail, lequel doit notamment porter une appréciation de l’aptitude du salarié à son poste de travail.1242

Ainsi, la force de travail en tant qu’expression de l’aptitude de l’homme au travail peut être appréhendée comme l’exploitation d’un « bien » créateur de richesses,1243 n’étant d’ailleurs source de valeur que par son exploitation, pour le travailleur. La notion de force de travail confirme l’idée selon laquelle l’aptitude professionnelle, comprise comme l’état d’une personne que l’on considère qualifiée pour jouer un rôle ou exécuter un acte,1244 conditionne la naissance et la poursuite de la relation de travail.1245 Dans cette relation de travail, supportée juridiquement par un contrat à exécution successive, il convient, dans l’aptitude, de dissocier ce qui relève strictement de la compétence professionnelle, de ce qui ressort de la mise en oeuvre de cette compétence. En effet, la compétence professionnelle est l’objet d’un accord entre le travailleur et l’employeur lors de l’embauche. La qualification professionnelle est une composante essentielle de l’emploi occupé par le salarié,1246 son appréciation relevant, sous contrôle du juge, du pouvoir de l’employeur. En revanche, concernant la mise en oeuvre de la compétence, il s’agit moins de porter une appréciation sur la qualité de la compétence que sur sa mise à disposition, laquelle résulte directement de la subordination induite du contrat de travail. Ainsi, le travailleur qui refuse de mettre à disposition sa compétence commet une faute qui justifie la rupture de la relation contractuelle.1247 Cette analyse fondée en droit sur le rapport né du contrat de travail trouve sa pleine justification puisque l’acte révèle l’insubordination du salarié. Peutil en être de même, lorsque l’impossibilité de mettre en oeuvre la compétence promise résulte d’une inaptitude physique liée à l’état de santé c’estàdire aux capacités physiques du salarié ?

Notes
1239.

Supra n°122 et suiv.

1240.

Selon le Professeur P. CATALA, « la valorisation (...) de la force de travail correspond, pour le prolétaire, à une réalité, à savoir qu’il n’a que cela pour tout patrimoine », in n°27, 210 ; A. ROUAST, « Quelques réflexions sur l’originalité sociologique du contrat de travail », Mélanges offerts à J. Brethe de La Gressaye, p. 663 ; Th. REVET, La force de travail (étude juridique), Litec 1992, Bibliothèque du droit de l’entreprise, n°329 et suiv.

1241.

Article L. 2315 du Code du travail, l’employeur est passible de peine de police, articles R. 23112 et 13 et article R. 2632 du Code du travail. Cass. Crim. 6 oct. 1981, Juri social 1981, F. 104. Voir notamment, I. VACARIE, « Travail et santé : un tournant », in Les transformations du droit du travail, Etudes offertes à G. LyonCaen, Dalloz, 1989, p. 331.

1242.

Article L. 24010 et suivants du Code du travail. Sur le médecin du travail : Voir notamment, N. ALVAREZ, « La médecine du travail », Dr. Ouv. 1980, p. 307 ; J.J. DUPEYROUX, « La médecine du travail sur le fil du rasoir », Dr. Soc. 1980, 3 ; A. LYONCAEN, « Les répercussions des appréciations des médecins du travail », Dr. Soc. 1980, 98 ; J. SAVATIER, « Le médecin du travail et le sort du salarié », Dr. Soc. 1987, 604 ; B. TEYSSIE, « Prolégomènes sur la médecine du travail », Dr. Soc. 1987, 561.

1243.

Th. REVET, précité, n°337.

1244.

P.Y. VERKINDT, P. FRIMAT, E. ELOY, R. CUVELIER, Aptitude physique et contrat de travail, Edition Liaisons, 1990.

1245.

Supra n°160 suiv.

1246.

Supra n°158 et suiv.

1247.

Par exemple : Cass. Soc. 8 janv. 1964, D. 146, note V. R. ; 24 janv. 1980, Bull. V., n°74 ; 2 fév. 1994, Droit du travail, 1994 n°3, p. 8, §123.