L’analyse des modalités de la protection de l’emploi dans l’entreprise fait ressortir qu’elle se heurte aux pouvoirs de gestion et de direction de l’employeur. Leur efficacité induit une contrainte dans la gestion de l’emploi, spécifiquement lorsqu’est envisagée la rupture du contrat de travail. A cet égard, on peut observer que c’est moins l’emploistructure de l’organisation de l’entreprise qui est protégé, puisqu’il est remis en cause, que le maintien du lien d’emploi qui est recherché. Une autre voie, trouvant sa source dans l’engagement de l’employeur, peut être identifiée ; on peut espérer juridiquement du moins psychologiquement qu’elle contribue au maintien du lien d’emploi parce qu’elle est l’expression d’un engagement. Cette volonté naît soit de la convention issue de la négociation, soit de l’engagement unilatéral de l’employeur.1592
Liminairement à l’étude du régime juridique de ces accords relatifs à l’emploi, il convient de replacer dans son contexte cette construction volontariste de protection de l’emploi. En effet, pris dans son acception la plus large, l’emploi est au coeur du rapport de travail, tant sous son aspect individuel que sous un aspect collectif. Ainsi, la formation du contrat de travail participe initialement à une négociation bilatérale sur la qualification professionnelle prise comme composante déterminante de l’emploi.1593 Sur le plan des rapports collectifs si la situation de l’emploi, c’estàdire tout aussi bien la durée du travail que les salaires, constitue le contenu même de la négociation, il importe de souligner une évolution relative à cet objet de négociation et aux finalités s’y rattachant.
Historiquement, la négociation s’est articulée autour de deux thèmes, le temps de travail et les salaires. Relativement au temps du travail, on peut remarquer qu’il s’est imposé comme une limite à l’emprise du travail sur l’homme.1594 Quant au salaire, du moins pour la période dite des « Trente Glorieuses », syndicats et patronat se sont accordés sur le partage des fruits de la croissance. Or, il semble qu’aussi bien la compétition économique de plus en plus sévère suscitant des besoins de flexibilité de gestion interne du personnel, que l’accroissement massif du chômage ont conduit les acteurs de ces négociations à un changement de perspectives. Il se révèle ainsi que le patronat est devenu demandeur à la négociation dès lors que celleci a eu pour effet d’aménager les conditions d’emploi. S’est alors développée une part croissante d’accords ayant pour objet de donner aux entreprises les moyens de s’adapter en vue d’optimiser l’utilisation des équipements en suivant au plus près les évolutions du marché.1595 Cependant, dans le même temps alors que s’organisait une plus grande souplesse dans la gestion des situations d’emploi, la loi du 30 décembre 1986 a mis fin à l’autorisation administrative de licenciement et la loi du 19 juin 1987 a élargi le champ de la dérogation, le nombre des licenciements économiques et les plans sociaux successifs ont conduit, par exemple, à la réduction de près d’un million le nombre des salariés du secteur de l’industrie sur une période de dix ans.1596 Prenant en compte ces évolutions, dont l’ampleur n’était peut être pas attendue et remettant sans doute en cause la crédibilité syndicale dans la conclusion de ces accords dits de flexibilité, on a pu constater qu’une corrélation, au niveau de la négociation, s’est établie entre la situation d’emploi et la gestion du contrat de travail. En effet, même si l’on retrouve des accords d’entreprise anciens,1597 il semble que depuis une quinzaine d’années et en contrepartie de mesures de flexibilité, l’objet de la négociation se soit recentré sur le pouvoir de gestion de l’emploi du chef d’entreprise tant en amont afin de soutenir une politique d’embauches,1598 qu’en aval tendant à assurer le maintien du lien d’emploi. Parallèlement à ce mouvement, l’emploi est réapparu au coeur des conflits sociaux éclairant ainsi cette modification des revendications qui, face au développement de la précarité des situations juridiques d’emploi priment désormais sur les revendications salariales.1599
Mais le nombre des accords, leur diversité, liée tant aux enjeux propres à chaque entreprise, qu’au cadre juridique emprunté rendent l’analyse difficile. Aussi, celleci, tout d’abord, ne peut pas prétendre à une quelconque exhaustivité.1600 Néanmoins, au travers d’une collecte d’accords il est possible de dresser une typologie de ceuxci, laquelle doit conduire à observer la place de l’emploi en tant qu’objet d’engagement (Section 1). Toutefois, la nature de l’engagement doit conduire à s’interroger sur la possibilité même de considérer l’emploi comme objet de l’engagement, cette reconnaissance influant, en effet, sur la portée juridique de ces accords (Section 2).
Voir notamment, E. DOCKES, « L’engagement unilatéral de l’employeur », Dr. Soc. 1994, 227. L’engagement unilatéral de l’employeur n’a pas le même régime juridique que l’accord collectif, régi par la loi. C’est aussi en raison de ce régime, qui impose une obligation de dépôt, que les accords peuvent être connus à la différence de l’engagement unilatéral. L’analyse repose donc essentiellement sur des accords collectifs. Aussi pour la suite de l’étude le terme d’engagement n’est entendu que comme l’effet créateur d’obligations pour les parties à l’accord.
Voir supra n°158 et suiv., n°199 et suiv.
L’évolution s’est faite en trois temps. Dans un premier, la réglementation de la durée du travail a eu pour finalité de respecter les contraintes biologiques de l’homme et la préservation quantitative et qualitative de la main d’oeuvre. L’objectif est en réalité plus ambigu car il permet aussi en normalisant les pratiques de réduire la concurrence entre les entreprises (loi de 1841 relative à l’abaissement à huit heures de la durée journalière du travail des enfants), ou de réduire le chômage des hommes en ramenant par une loi de 1892 le travail des femmes à une durée de 11 heures journalières et à l’interdiction pour elles de travailler la nuit. Voir notamment, Le temps de travail, Futuribles, Syros 1993 ; A. SUPIOT, Critique du droit du travail, P.U.F., les voies du droit, 1994, spéc. page 72 et « Temps de travail, pour une concordance des temps », Dr. Soc. 1995, 947.
Pour l’année 1988, 1400 accords relatifs au temps de travail ont été enregistrés (équipes de fin de semaines, travail intermittent, temps partiel) ; source, Le Monde Dossiers et Documents, fév. 1994, n°218, « Le temps de travail ».
Dans ce secteur de l’industrie, on est passé, entre 1980 et 1990, de 5,5 millions de salariés à 4,6 millions.
Accord Palmolive Colgate, 1974, cité par M.A. SOURIACROTSCHILD, Les accords d’entreprise, Thèse Paris I, 1986, n°835 note(3) ; accord Cartonnerie d’Auvergne du 20121984, Liaisons Sociales C3, 113 et accord Carrefour Anglet du 321987, Liaisons Sociales C3, 145, cité par F. GAUDU, « L’exécution des conventions d’entreprise », Dr. Soc. 1990, 606.
Par exemple accord AXA, Aménagements du temps de travail favorisant l’emploi, Liaisons Sociales 221193, n°6937 ; accord GAN « Latitudes » sur l’emploi et le temps de travail, Liaisons Sociales 27101993, n°6929 ; accord Hewlett Packard, Aménagement et réduction de la durée du travail, Liaisons Sociales 1293, n°6792 ; accord Talbot Poissy, Réorganisation du temps de travail, Liaisons Sociales 11893, n°6894 ; EDFGDF, Développement de l’emploi et nouvelle dynamique sociale, Liaisons Sociales 291193, n°6940. Dans ce sens aussi, Lois « Robien » et « Aubry », volet offensif.
Voir notamment, Le Monde du 15 avril 1995.
Il n’existe pas de publication systématique des accords. Certains sont publiés par la revue Liaisons Sociales. Mais comme le souligne Monsieur Javillier, «ces publications ne sauraient donner une exacte image du contenu des différents accords d’entreprise. « Ils sont loin de refléter l’état de la négociation dans l’entreprise. » Ce sont, selon l’auteur, presque toujours des accords des grandes entreprises, considérés comme l’avantgarde de la négociation, in « Le contenu des accords d’entreprise », Dr. Soc. 1982, 691.