Conclusion du titre premier

L’emploi est au coeur de l’entreprise, il est à la fois un élément de sa structure organique mais il est aussi une charge. Pour le salarié, si la situation juridique d’emploi s’analyse en un droit à la poursuite de l’exécution de son contrat de travail, l’occupation d’un emploi permanent, nécessairement concrétisé par un contrat de travail à durée indéterminée, interroge sur l’étendue de ce droit. Autrement dit, le salarié titulaire d’un emploi dans l’entreprise peutil opposer une créance de stabilité d’emploi ? La protection de l’emploi comprise comme le maintien du salarié dans un lien d’emploi, concentre la dialectique du conflit d’intérêts propre au droit du travail. Il souligne de même la contradiction que porte en lui le contrat de travail. En effet, pour durer le contrat de travail doit évoluer à mesure que l’élément qu’il saisit, l’emploi, se modifie. Or l’inflexible loi des parties pourrait être un obstacle dirimant à l’évolution, de concert, de l’élément économique et de son support juridique. Cependant, l’utilité économique portée dans tout contrat, et spécifiquement par le contrat de travail, commande une adaptation du contrat, que sa durée indéterminée combinée au caractère permanent de l’emploi, rend plus encore indispensable. Le réaménagement du rapport contractuel permet donc de remédier aux évolutions. Ce constat s’il manifeste une tendance à la stabilité de la relation contractuelle, n’affirme cependant pas, un droit au maintien du salarié dans un lien d’emploi.

C’est à ce titre, et en complément à l’adaptation du contrat à l’évolution de l’emploi, qu’est remarquable, au nom de la bonne foi contractuelle, l’affirmation d’un droit du salarié à être adapté à l’évolution de son emploi. A l’adaptation du support juridique à la relation d’emploi, généralement positive, répond l’adaptation de l’homme au travail, adaptation qui se noue autour des compétences professionnelles requises par l’emploi et mises à disposition par le travailleur. Ainsi, lorsque l’emploi est remis en cause par des contingences économiques ou techniques ou bien lorsque la capacité professionnelle du salarié à l’occupation de son emploi est affectée, il pèse en vertu d’une obligation intrinsèque à l’exécution du contrat de travail, une obligation de maintenir le salarié dans un lien d’emploi ; cette obligation étant une obligation de moyens. Les mécanismes de protection de l’emploi doivent être abordés à l’aune du pouvoir inhérent au chef d’entreprise de gérer l’emploi, lequel ne saurait pertinemment être remis en cause dans son fondement. Mais, et cela n’est pas incompatible, borner l’exercice du pouvoir de gérer l’emploi c’est par là même marquer le degré de protection attaché à l’emploi. De ce point de vue, en relevant la diversité des sources (loi, accord collectif, contrat de travail, construction prétorienne), on peut tenter de systématiser une construction où l’on croit déceler l’affirmation d’un droit pour le salarié au maintien dans un lien d’emploi, indépendant du support juridique, le contrat de travail, indépendant aussi de l’élément économique, l’emploi occupé.

Une telle approche, peut faire l’objet de réserves, elles sont de deux ordres. Mais qu’en estil si la catégorie « emploi » est remise en cause dans son fondement ?

Dans l’ordre des critiques, la reconnaissance d’un droit au maintien dans un lien d’emploi ne serait pas pertinent parce qu’il résulterait d’une construction de circonstance liée à la crise économique, la règle de droit ne se satisfaisant guère de mesures circonstancielles. Sans doute, à défaut de démontrer scientifiquement une corrélation entre le développement des règles de protection de l’emploi et la conjoncture économique, fautil admettre l’influence de cette dernière. Les juges de la Chambre sociale ne s’en cachent d’ailleurs pas. Mais à supposer que « l’économique » interagisse uniquement de manière conjoncturelle sur les rapports sociaux et non pas sur leurs structure, peuton douter que le devoir d’adaptation, l’obligation de reclassement du salarié inapte physiquement ou dont l’emploi a été supprimé s’effaceraient en cas de retour au plein emploi. La prise en considération de l’individu dans une relation de type économique ne transcendetelle pas l’hypothèque qui relèverait d’une construction de circonstance ?

Une autre critique met en avant l’idée selon laquelle la protection de l’emploi du salarié serait antinomique avec la mobilité professionnelle, outil le mieux adapté à garantir « l’employabilité » du travailleur. L’observation n’est recevable qu’à la condition préalable d’avoir rappelé que le droit positif distingue nettement la mobilité professionnelle dans l’entreprise, qui participe de la protection du lien d’emploi (devoir d’adaptation, obligation de reclassement), et la mobilité professionnelle en dehors de l’entreprise (convention de conversion, reclassement externe). A cet égard, l’article L. 32141 du Code du travail dans son deuxième alinéa est particulièrement significatif. Aussi, une fois fixé le cadre de la mobilité professionnelle, mobilité interne qui s’étend au groupe auquel appartient l’entreprise, estil possible de faire de la mobilité du salarié un élément dynamique de la protection de l’emploi. La dialectique ayant trait à l’opposition modification du contrat/changement des conditions de travail apparaît, en l’occurrence, particulièrement significative. Il n’y a pas de protection de l’emploi au seul bénéfice du salarié. L’emploi présente aussi un intérêt pour l’entreprise qui justifie sur d’autres plans une protection.

En revanche, la remise en cause, dans son fondement, de la catégorie « emploi » soulève des interrogations d’une toute autre dimension. En effet, on ne peut dissocier l’émergence de la protection du lien d’emploi du fait que l’emploi est l’assise d’une protection sociale consubstantielle au travail salarié. A supposer fondée la disparition de l’emploi, la construction d’un droit sans objet avorterait à ce seul constat. Aussi, à la lumière du droit positif peuton se demander si le droit commun réside encore dans l’emploi. De la réponse dépendra la pertinence de l’élaboration d’un droit de l’emploi.