L’observation a montré qu’un équilibre s’était formé entre la demande d’emploi du travailleur et l’offre d’emploi de l’entreprise, la péréquation s’effectuant dans la stabilité de la relation contractuelle. A cet égard, le droit du travail a semblé trouver dans l’emploi, porté juridiquement par le contrat à durée indéterminée, une catégorie juridique pertinente qui a assuré, d’une part, la mobilisation de la force de travail conformément aux besoins de l’entreprise et plus largement aux besoins des sociétés ordonnées selon un mode capitaliste libéral et, d’autre part, un aménagement des droits des salariés. L’émergence de l’emploi comme catégorie saisie par le droit peut donc être analysée comme le résultat d’une rationalité recherchée par les acteurs. L’emploi est donc le lien fonctionnel entre le travailleur et l’entreprise. Mais cet équilibre, comme tout autre, est fragile, et si conjoncturellement le temps de l’économique a rejoint le temps du juridique, le mouvement du premier doitil entraîner le second ? Au constat communément admis de la diminution du besoin de maind’oeuvre, signe de la crise économique, il convient de confronter la teneur du droit du travail.1797 La vérification de cette hypothèse renforcerait l’idée selon laquelle l’emploi n’est qu’une étape dans l’évolution du travail.1798 Peut être accréditeraitelle la soumission du droit à l’économie.
Il importe, d’abord, de déterminer le cadre de cette analyse. Si dans un premier temps le droit du travail a été présenté comme un ensemble de normes tendant à établir une justice sociale, ce schéma a été depuis remis en cause par une thèse s’attachant à démontrer que le droit du travail était à la fois source et limite de l’exploitation de la maind’oeuvre.1799 Cette idée semble essentielle pour éclairer la position du droit du travail, spécifiquement en période de mutation économique. Si l’on admet cette lecture du droit du travail, c’est repérer que dans le système construit l’intérêt premier qu’il a préservé n’est pas celui du salarié mais bien celui de l’entreprise. Si le droit du travail a octroyé une protection au travailleur il a par ailleurs garanti l’exploitation de la force de travail. Ainsi, dans la conduite du raisonnement appliqué à la relation née de l’occupation par un travailleur d’un emploi dans l’entreprise, c’est l’intérêt de celleci qui est érigé en valeur. A cet égard, on a pu voir que si les mécanismes de protection de l’emploi instituent un droit pour le salarié au maintien dans un lien d’emploi, ce droit est par essence limité. En effet, la finalité sociale assignée à la protection de l’emploi a pour limite la capacité de l’entreprise à offrir un emploi. Le droit au maintien dans un lien d’emploi est donc un droit relatif.
La reconnaissance de ce droit ne vaut donc que pour autant qu’il est attaché à l’occupation d’un emploi dans l’entreprise. Or on a remarqué que dans les situations juridiques d’emploi, le droit positif opère une dichotomie entre les situations atypiques de travail et la situation d’emploi. Cette dualité est conforme à la structure dialectique du droit du travail qui, pour répondre aux besoins d’organisation de l’entreprise, a légalisé ces formes atypiques de mise au travail. Sans doute, leur encadrement et le retour au droit commun, dès lors que sont méconnues les prescriptions impératives, affirment leur caractère dérogatoire et renforcent l’emploi. On relèvera ici l’ambivalence du droit du travail.1800 Mais l’institutionnalisation des situations atypiques de travail dans l’entreprise, de l’emploi dit « précaire », porte atteinte à la notion d’emploi. La contradiction semble flagrante entre l’orientation récente du droit du travail vers la protection de l’emploi et la remise en cause de l’emploi comme support de la relation de travail. En réalité, cette contradiction naît du fait que sont confondus dans la notion d’emploi deux niveaux d’analyse, celui de « l’emploi macroéconomique », objet des politiques publiques d’emploi, et de « l’emploi microéconomique », objet d’une situation juridique protégée par le droit du travail. Or, en passant d’un niveau à l’autre, il y a bien une opposition entre la lutte contre le chômage et la protection de l’emploi dans l’entreprise ; paradoxalement la première engage une remise en cause de la catégorie « emploi ».
A s’en tenir à cette observation, le bienfondé d’une défense de l’emploi serait battue en brèche et justifierait, par ailleurs, la recherche d’un cadre nouveau afin d’appréhender la relation de travail. La question de la construction d’un droit de l’emploi, en tant que partie du droit du travail, doit donc être posée (Chapitre II). Mais au préalable, il conviendra de repérer, indépendamment de l’alternative à l’emploi qui extériorise ou non l’occupation d’un emploi dans l’entreprise, les situations juridiques qui portent atteinte à la notion d’emploi (Chapitre I).
En ce sens, A. JEAMMAUD, « Crise et relations du travail », in Droit de la crise, cri s d e du droit, P.U.F. 1997.
Voir notamment A. SUPIOT, Critique du droit du travail, P.U.F., les voies du droit, 1994.
G. LYONCAEN, « Les fondements historiques et rationnels du Droit du travail », Dr. Ouv. 1951, p. 1. Collectif, Le droit capitaliste du travail, P.U.G. 1980.
En ce sens, G. LYONCAEN, Le droit du travail, une technique réversible, Connaissance du droit, Dalloz 1995.