Section 2 : L’externalisation de l’emploi

L’emploi est une division de l’activité de l’entreprise, un élément de son organisation juridiquement réalisé par un contrat à durée indéterminée. En ce sens, l’emploi est intégré à l’entreprise. Le contrat de travail participe à la technique de production parce qu’il est un instrument de domestication de la force de travail ; il fait naître une relation subordonnée. On aurait pu croire que la maîtrise de la force de travail, son encadrement par une discipline de production, aurait suffi à la rationalité économique qui guide l’entrepreneur.1937 Telle fut, pendant longtemps, la voie de cette rationalité économique. Le contrat de travail semblait l’instrument juridique le plus approprié au déploiement de l’activité de l’entreprise.1938 Cependant, la crise économique semble accompagner une réorganisation du travail. Des moyens pour adapter la maind’oeuvre aux fluctuations de l’activité de l’entreprise ont été mis en avant et, parmi ceuxci, l’externalisation du travail. Sur le plan du droit, l’externalisation procède du pouvoir du chef d’entreprise d’organiser librement son activité ; il peut tout aussi bien décider de l’intégrer dans son organisation, elle sera alors soumise au droit du travail, il peut aussi en disposer autrement et traiter avec d’autres entreprises, la relation étant alors de nature commerciale. L’externalisation est donc l’expression d’un droit qui permet au chef d’entreprise de jouer sur les structures de l’organisation de l’entreprise, elle créée une distorsion entre l’employeur et celui qui utilise la force de travail.1939

L’extériorisation de l’emploi de l’entreprise est une manifestation de la rationalité économique. Elle permet licitement de se placer dans le cadre juridique de la gestion de l’activité plutôt que dans le cadre contraignant et coûteux de la gestion de l’emploi en rejetant hors des frontières de l’entreprise les fluctuations de sa propre activité. Par delà, on remarque que l’externalisation ajoute un cercle concentrique au noyau dur de l’emploi, celui qui caractérise une extrême précarité, après les contrats de travail atypiques. Cette analyse procède de l’étude sociologique,1940 elle est reprise par les juristes.1941 Pourtant sur le plan du droit, les qualifications juridiques s’excluent les unes des autres, elles s’opposent en catégories, le travail indépendant duquel procède l’externalisation, ou du travail dépendant, duquel relève l’intégration dans l’emploi.

Fondée sur l’exercice d’un droit, l’externalisation ne porte donc pas, a priori, atteinte à l’emploi. Les pratiques de l’externalisation sont plurales, il conviendra de les repérer (Paragraphe I). Cependant, si les décisions d’externalisation peuvent être fondées sur des nécessités économiques ou technologiques, certaines présentent un caractère frauduleux cherchant à se libérer des règles d’encadrement de gestion de l’emploi qui participent à sa protection (Paragraphe II).

Notes
1937.

Supra n°55 et suiv.

1938.

Le nombre de salariés entre 1955 et 1994 n’’a cessé de croître, passant de 12,6 millions à près de 20 millions de salariés. Source Alternatives Economiques, n° 140, p. 36.

1939.

En ce sens, A. LYONCAEN, « A propos de l’’entreprise éclatée », Dr. Ouv. 1981, 127.

1940.

Notamment, A. GORZ, Métamorphoses du travail. Quête du sens, Galilée, 1988.

1941.

G. LYONCAEN, Le droit du travail, une technique réversible, Connaissance du droit, Dalloz 1995, du même auteur « Où mènent les mauvais chemins », Dr. Soc. 1995, 647. G. LYONCAEN, J. PELISSIER et A. SUPIOT, Droit du travail, 17ème éd., Dalloz 1994, n°195. « Le droit positif s’’oriente ainsi vers quatre situations en dégradé :

personnes occupant sans limitation de durée un emploi lié à l’’activité permanente de l’’entreprise ;

personne accomplissant en situation de subordination une tâche précaire ou des tâches pour divers employeurs à temps partiel ou une tâche occasionnelle ;

personnes juridiquement non subordonnées mais économiquement dépendantes (ayant les risques sans les profits) ;

personnes exerçant une activité professionnelle en pleine indépendance, bénéficiant des risques et profits de leur propre entreprise, le mot étant ici approprié.