Section 2 : D’une affirmation en guise de critique : pour un droit de l’emploi

Toute réflexion sur le travail et l’emploi ne peut pas se départir de l’emprise du juridique parce que le droit occupe une place essentielle en tant qu’il fixe un système de valeur. Ainsi, le travail, même si cela peut être contesté, reste dominant dans notre société. Aucun auteur n’envisage sa disparition parce que, lui seul, est susceptible de fonder des droits spécifiques c’estàdire des droits sociaux gérés par l’Etat, d’abord collectés sur le revenu du travail puis redistribués. Ainsi, la remise en cause du travail est d’autant moins pensable qu’il est le fondement même de ces droits qui sont notamment inscrits dans les déclarations des droits de conventions internationales ratifiées et dans le préambule de notre Constitution.2076 Le travail est donc l’assise du « pacte social » même si l’institution d’un revenu minimum sans contrepartie n’est aujourd’hui guère remise en cause.2077 Mais la reconnaissance des droits sociaux doit être financée et l’ouverture de ces droits appelle à toujours plus de travail ; ainsi le temps de cotisation, donc de travail, a été allongé afin de bénéficier d’une retraite à taux plein,2078 de même la baisse des prestations sociales,2079 qui invite à l’assurance complémentaire, sollicite la source directe du revenu, donc le travail. Le débat ne serait que faussement posé s’il était réduit à la place du travail dans notre société, ou à sa valeur. En effet, explicitement ou implicitement, les solutions proposées s’ouvrent soit sur une compréhension large du travail (c’est l’activité mais qui reste dans la sphère de l’économie) soit dans le cantonnement du travail contraint (il faut comprendre l’activité économique) et la redécouverte « d’oeuvres » socialement utiles basées sur le temps libéré.

La corrélation entre le travail et l’acquisition des droits doit donc être le point départ mais aussi le point d’arrivée de toute réflexion. Or comme le souligne Monsieur Gaudu, seul le contrat est susceptible de servir de base à l’acquisition des droits. Le problème en suspens est de savoir, d’une part, quel contenu doit recevoir la notion de travail et, d’autre part, de déterminer quel contrat sera susceptible de fixer un cadre pertinent à la relation de travail. La redéfinition du contrat de travail, par opposition au contrat d’emploi perçu aujourd’hui comme une anomalie, est donc un enjeu essentiel dans la maîtrise du travail et de l’emploi. Le statut de l’actif ou le contrat d’activité, on l’a vu, invitent à la réflexion. La problématique posée renvoie, sembletil, à la question de savoir comment le droit du travail peut être au service de la régulation sociale dès lors qu’il est admis que l’unité construite autour de l’emploi n’offre plus un cadre d’action convaincant.

Tout en prenant garde de ne point omettre le travail hors de l’emploi,2080 ce qui conduirait à un statu quo d’autant plus inacceptable qu’il est impossible de méconnaître les mutations qui s’opèrent autour de l’emploi, on peut tenter de reconsidérer autour de quelques éléments critiques le postulat de la fin de l’emploi. En effet, il semble que tout engagement dans la voie de la recomposition d’un cadre juridique suppose, au préalable, la démonstration sur le plan juridique des contradictions internes de ce cadre, démonstration seule susceptible alors de justifier une construction nouvelle. Aussi, à imaginer que le modèle de l’emploi puisse être encore le cadre juridique adéquat à l’objectif d’acquisition des droits sociaux, sans doute fautil esquisser ce que doit devenir un véritable droit de l’emploi. Autrement dit, il s’agit de confirmer l’emploi (Paragraphe I) et de défendre l’emploi (Paragraphe II).

Notes
2076.

Déclaration Universelle des Droits de l’’Homme, 10 déc.1948 (a. 22 et suiv. notamment a. 25 : « toute personne à droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bienêtre et ceux de sa famille (...) ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’’invalidité, de veuvage de vieillesse, ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ») ; Convention n°102 de l’’OIT ; Charte Sociale Européenne du 18 nov. 1961, ratifiée la loi du 23 déc. 1972 (J.O. 9 oct. 1974).

2077.

Loi du 1er déc. 1998 instituant le Revenu Minimun d’’Insertion, modifiée par la loi du 27 juill. 1992. Voir J.J. DUPEYROUX, Droit de la sécurité sociale, Dalloz 1993, 12ème éd., n°985 et suiv.

2078.

L’’allongement de cotisation est de dix trimestres, soit deux et demi de plus. Articles L. 3511 et R. 3511 et suiv. du Code de la Sécurité Sociale.

2079.

Les cotisations sociales d’’assurancemaladie augmentent tandis que le remboursement des frais médicaux diminue (de 70% à 65%) et que le forfait hospitalier à la charge du salarié est majoré (55 francs).

2080.

Remarque de Monsieur A. Supiot, in « Du bon usage des lois en matière d’’emploi », Dr. Soc. 1997, 229. « Penser l’’organisation du temps de travail en faisant l’’impasse hors l’’emploi, c’’est ne pas penser. »