Paragraphe II : De la défense de l’emploi

Au détour d’une note de lecture, Monsieur le Professeur Supiot affirme qu’il faut en finir avec l’opposition de « l’économique » et du « social » pour avoir quelque chance de poser convenablement la question du travail aujourd’hui.2121 L’affirmation est susceptible de plusieurs interprétations tant l’usage, en qualité de substantif, des mots « économique » et « social » est de portée incertaine. Mais sans doute fautil retrouver ici la critique relative à l’instrumentalisation du droit au travers des politiques d’emploi qui se sont effectivement construites autour de populations ciblées laissant en friche la réflexion sur le fondement de l’action publique en ce domaine. Cependant, qu’il soit permis de constater que l’idée d’emploi est aussi menacée par des restructurations économiques qui sont mues par une certaine conception de l’efficacité économique, cause d’un profond déséquilibre social. Depuis la loi du 3 janvier 1975 relative au licenciement pour motif économique et de façon très nette encore dans la doctrine de la chambre sociale de la Cour de cassation, la logique juridique a fait une large place au raisonnement économique.2122 Les étapes législatives et jurisprudentielles qui permettent de justifier d’une orientation du droit en faveur de la protection de l’emploi participent donc à cette interaction entre « l’économique » entendons l’acte de gestion, « le social » les faits de chômage, de précarité et « le juridique » les règles de droit. Pour le juriste, de ce point de vue, la question est donc moins dans une opposition entre « l’économique » et « le social » que dans le sens à donner au contenu de la règle, précisément au droit du travail. Le débat doctrinal sur l’orientation du droit du travail, sur son avenir selon certains,2123 pourrait peutêtre retrouver le chemin de la dialectique dans la question de l’enjeu juridique : droit instrument/droit ambivalent. On objectera que cette querelle est dépassée. Pourtant, la mise en avant de l’activité n’est elle pas l’aveu implicite de l’échec du caractère progressiste de ce droit et a contrario la reconnaissance d’un droit fonction au service de l’entreprise.

En effet, et pour dépasser la stricte linéarité à laquelle peut conduire l’observation du droit, il faut souligner que le salariat n’est pas un statut octroyé par l’entreprise prospère sous la tutelle d’un Etat Providence. Le salariat est un statut conquis. En conséquence, et en soulignant que la protection ne peut pas être absolue, la réflexion engagée sur le travail invite à des choix qui ne sont pas uniquement de technique juridique, mais à des choix qui sont avant tout et au sens noble, politiques. En somme, il convient aujourd’hui de ne plus hésiter à lever le voile sur le caractère strictement privé de l’entreprise. Cela passe, en premier lieu, par l’affirmation que l’emploi est le cadre cohérent à la saisie du travail, qu’il est donc, en second lieu, un espace où peut s’exprimer la mobilité professionnelle, et qu’en dernier lieu, il est le seul qui impute à chacun une part proportionnée de responsabilité dans le maintien du lien social.

Notes
2121.

A. SUPIOT, « Une littérature de fin de monde », Dr. Soc. 1997, 85, remarque à propos du livre de M. FORESTER, L’ horreur économique, Fayard 1996.

2122.

Supra n°128 et suiv.

2123.

A. SIMITIS, « Le droit du travail atil encore un avenir ? », Dr. Soc. 1997, 655.