S’il n’est pas contesté que l’emploi entretient un rapport de « causalité » avec l’organisation sociale dans nos sociétés industrialisées, une crise économique, induisant celle de l’emploi ou du travail (nul ne sait vraiment), conduirait cependant à repenser la place de l’emploi en tant que catégorie juridique pertinente support de la relation de travail. Estil possible d’écarter aussi radicalement l’emploi et donc de remettre en cause l’organisation sociale à laquelle il a donné naissance dans un contexte, il est vrai exceptionnel, de prospérité économique ? Certes, ainsi que le remarque M. Supiot, l’emploi est un phénomène récent, aujourd’hui critiqué, mais qui a structuré le système du droit du travail, lequel système s’est doté de règles correspondant à la logique portée par l’entreprise eu égard à sa finalité de production. Le dispositif résultant de la lecture combinée des articles L. 1215 et L 1221 du Code du travail en apporte la démonstration. Aussi, toute remise en cause de la notion d’emploi doit faire l’objet d’une extrême prudence. En effet, aussi bien la suppression de « l’emploi microéconomique » que la reconsidération de la catégorie « emploi » au niveau macroéconomique engagent une situation humaine individuelle et une organisation qui a, ellemême, des intérêts propres à défendre. La situation juridique d’emploi parfaite, saisie par le droit, avait vocation à établir un équilibre entre des intérêts particuliers, celui du travailleur mais aussi de l’entreprise, et les intérêts plus généraux de la communauté. Or que peuton constater depuis le premier choc pétrolier ? Si, pour le chef d’entreprise, le principe de la liberté de gestion dans l’alternative à l’emploi demeure la règle, force est de constater que l’intervention des pouvoirs publics dans la régulation du marché du travail a conduit à écarter l’emploi comme choix pertinent de gestion à mesure de la montée du chômage. Ainsi, il ressort d’une étude récente,2166 que les politiques publiques d’emploi ont simultanément aidé à l’accompagnement des suppressions d’emploi dans les entreprises, généralisé les subventions à la mise au travail de publics ciblés par l’invention d’outils juridiques s’éloignant du droit commun constitué par le contrat de travail à durée indéterminée. Paradoxalement donc, on a tenté de résorber la précarisation sociale par le recours systématique, sur le plan de la technique juridique, à des formes atypiques de mise au travail jugées, jusqu’alors, socialement insatisfaisantes !
La référence au droit commun, à l’emploi, atelle encore un sens ?
Les solutions préconisées au titre des politiques d’emploi tracent une ligne d’opposition à la notion d’emploi. L’entrée dans notre ordonnancement juridique des « emploisjeunes » apparaît à bien des égards particulièrement significative.2167 Même si la création des emploisjeunes est soustraite au secteur de l’économie marchande et que, pour partie, ces emplois ont vocation à émerger au sein de structures parapubliques ou d’associations, il n’en reste pas moins que soumis au droit privé ils devraient se conformer aux règles applicables au régime de l’emploi. Or si le législateur a déjà institué des situations juridiques particulières d’emploi brouillant les frontières entre les catégories, contrat de travail à durée indéterminée et contrat à durée déterminée, et même à l’intérieur des catégories, le support juridique de « l’emploijeunes » jette un trouble conceptuel tout à fait inédit. Que l’on en juge : l’article L. 322420 nouveau du Code du travail laisse au choix de l’employeur la forme juridique du contrat, support d’un emploi, même si la circulaire rappelle incidemment que le droit commun de la mise au travail passe par la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée. En outre, si le contrat est conclu pour une durée déterminée, il doit l’être pour une durée de cinq ans, non renouvelable pour le jeune.2168 Mais si le contrat revêt la nature juridique du contrat à durée déterminée son régime est hybride puisque la stabilité de l’emploi n’est assurée que pour une période annuelle, l’employeur ayant, en effet, la possibilité, par la voie du licenciement, de rompre à chaque date anniversaire en justifiant d’une cause réelle et sérieuse2169 ! La perte du droit commun, et du sens, est ici flagrante, la fin légitimant les moyens. Il est donc nécessaire de rompre avec l’idée selon laquelle en affaiblissant les éléments constitutifs de l’emploi (forme juridique, temps de travail) on protégerait l’emploi du travailleur.
Mais au fond, et à terme, n’estce pas le droit du travail que l’on remet en question ? Il serait, à cet égard, inutile et dangereux de vouloir substituer au droit du travail, droit de l’expansion économique, un droit de l’emploi, droit de la crise économique. L’ancrage de la protection de l’emploi dans les obligations du contrat permet de douter du caractère uniquement conjoncturel de l’orientation récente du droit du travail même s’il ne fait pas de doute que des évolutions comme la désindustrialisation, la mondialisation des échanges l’ont suscité.
Aussi, approuvant la construction prétorienne de la Chambre sociale de la Cour de cassation, il importe de faire résolument le choix de l’emploi comme forme juridique pertinente du rapport de travail dépendant entre l’homme et l’entreprise. C’est pourquoi, parmi les pistes de réflexion l’alternative placée dans l’activité, telle que présentée en l’état, ne semble pas satisfaisante. Le serait encore moins la solution qui consisterait à ne rien changer et à continuer à perdre le sens du droit commun. En revanche, la conduite d’une réflexion autour de la valeur portée par l’emploi semble fructueuse pour autant qu’elle s’accompagne d’une réflexion plus globale sur les conditions d’exécution de la relation de travail ancrée dans la durée. Cela amène, dans le référant de l’emploi, à rechercher quel est le degré de contrainte acceptable pour l’entreprise dans la gestion de l’emploi en prenant en considération l’homme. Le droit a par nature vocation à établir cet équilibre entre les intérêts individuels du travailleur et de l’entreprise et des intérêts propres de la communauté.
D.A.R.E.S., Quarante ans de politique de l’emploi, La documentation française, 1996.
Loi n° 97940 du 16 oct. 1997, décret n° 97954, du 17 oct. 1997, circulaire CDE n° 97/25 du 24 oct. 1997, Liaisons sociales n° 7758. J. SAVATIER, « L’aide aux emploisjeunes » Dr. Soc. 1997, 908.
Mais on peut aussi se demander si le renouvellement d’un contrat à durée déterminée type « emploisjeunes » reste possible. En effet, ne peuton pas penser que l’emploi est devenu pérenne au bout de cinq ans et dès lors que l’on envisage le recrutement d’un nouveau jeune ?
Cette voie offerte par l’article L. 322420 II du Code du travail amène des questions pour l’heure sans réponse. Ainsi, l’employeur dans ce schéma peutil encore invoquer une faute disciplinaire, non grave, couverte par le délai de prescription visé par l’article L. 12244 alinéa 1 du Code du travail ? Le motif économique estil envisageable ? Peuton supprimer un emploi en voie de création ? Le motif de l’inaptitudeincompétence trouve sans doute une place, mais laquelle pour un emploi dont les caractéristiques ne sont pas par nature connues et pour lequel le travailleur est précisément dépourvu de tout expérience professionnelle ? En outre, les modes de rupture du contrat à durée déterminée ne sont pas écartés, article L. 12238 alinéa 1 du Code du travail.