La notion d’archaïsme est primitivement liée à l’analyse littéraire, qui désigne ainsi un procédé stylistique. Le terme même archaïsme est issu du vocabulaire grec de la rhétorique, où il désignait “l’imitation des anciens”, un style poétique remontant à Homère, et très employé par les auteurs latins, comme Virgile et Horace. En français, le terme apparaît en 1659 (emprunt au bas-latin), et désigne un procédé de style qui consiste à ré-utiliser des traits linguistiques (mots, sens, prononciations, graphies, etc.) qui ont disparu de l’usage. Par métonymie, archaïsme désigne aussi les traits linguistiques qui font l’objet d’un ré-emploi, dans une synchronie qui n’est pas la leur.
L’archaïsme nécessite deux étapes : il implique d’une part une évolution linguistique au cours de laquelle un certain nombre d’éléments sortent de l’usage, et dans un second temps la résurgence, à une époque ultérieure, de ces éléments appartenant à un état passé de la langue. L’archaïsme ne peut être qu’une reprise temporaire : en effet, l’effet archaïsant provient de ce que l’élément archaïque est senti par les locuteurs comme appartenant à une synchronie révolue, sentiment dont il tire des effets. Si l’élément repris perdure et qu’il s’intègre au système vivant de la langue (comme cela est arrivé pour certains archaïsmes employés par La Fontaine, qui ont été réintroduits à sa suite dans la langue : le fabuliste est ainsi crédité d’une cinquantaine de résurgences, parmi lesquelles bref et jadis 4), il cesse alors de fonctionner comme archaïsme pour (re)devenir un élément vivant de la langue.
L’archaïsme se définit donc comme la disparition d’un élément du système de la langue puis sa reviviscence temporaire dans un stade ultérieur où il est alors senti comme étranger. Un tel usage d’éléments anciens dans une synchronie déplacée ne correspond pas à une utilisation courante de la langue :
‘“C’est surtout comme signe de culture que se manifeste l’archaïsme : les « lettrés » parlent comme les livres dont ils sont nourris.” (Bonnard 1971, 227.)’C’est un procédé relevant d’une recherche stylistique (l’archaïsme fait partie des stylèmes, Klinkenberg 1970), de la part d’érudits ayant une connaissance des stades perdus de la langue. C’est pourquoi on le trouve généralement associé à la production littéraire et poétique. En France, l’archaïsme a été utilisé fréquemment par des genres littéraires : aux XVIe et XVIIe s. (Clément Marot et les Burlesques), puis au XIXe (où il devient un procédé de l’école romantique)5.
Il faut mettre à part une catégorie spéciale d’archaïsmes, dont l’emploi, s’il reste conscient, ne vise cependant à créer aucun effet stylistique : il s’agit des termes qui réfèrent à des objets, des coutumes, etc., qui ont disparu ou se sont transformés, termes que l’on est obligé d’utiliser lorsque l’on veut parler de ces réalités disparues (ex. de la terminologie de la chevalerie, des châteaux-forts, etc.). Ces archaïsmes, d’un emploi nécessaire dans un discours sur le passé, sont dits archaïsmes de civilisation (Klinkenberg 1970), historiques (Grévisse 1986) ou techniques (Zumthor 1967).
Dans le fonctionnement usuel de la langue, c’est-à-dire non dominé par la prépondérance de la fonction poétique, on rencontre une variété différente d’archaïsme, qui se caractérise par une transmission ininterrompue des traits dits archaïques. Elle contraste avec l’archaïsme littéraire, qui implique une disparition suivie d’un hiatus entre le moment de la disparition et celui où l’élément disparu est ré-employé. Le trait archaïque est alors ré-utilisé avec le sentiment net qu’il ne fait pas partie du stock vivant de la langue au moment du ré-emploi. On le fait revivre artificiellement, pour une durée et dans un emploi limités. Au contraire, le deuxième type d’archaïsme correspond à des éléments linguistiques dont l’usage n’est pas complètement abandonné : ces éléments, qui appartiennent à une langue commune dans une synchronie donnée, deviennent progressivement obsolètes dans l’usage général, mais se maintiennent, sans interruption, dans l’usage d’une minorité de locuteurs. Dans un premier stade, un élément appartient à l’usage général de la langue ; dans le second stade, son usage s’est restreint à une partie de la communauté linguistique, chez qui l’élément reste vivant. Il n’y a pas ici reprise d’un élément mort, artificiellement remis en vie pour quelque temps. L’élément est conservé en usage dans une partie plus restreinte de la communauté (il y a transmission continue), et il n’y est pas senti comme archaïque puisqu’il demeure d’usage courant chez les locuteurs qui l’emploient encore. On a ici affaire à la rétention d’éléments linguistiques chez certaines catégories de locuteurs uniquement. Ces éléments conservés malgré l’évolution linguistique sont donc à distinguer des archaïsmes proprement dits (type 1), et peuvent être dénommés de façon plus adéquate survivances 6. Les survivances sont bien connues en linguistique historique, où dans un sens plus large on dénomme ainsi les éléments hérités des stades antérieurs, par opposition aux éléments créés ou empruntés. La survivance est alors à envisager non seulement par rapport aux stades antérieurs (remontant à la langue-mère), mais également par rapport aux langues apparentées issues de la même proto-langue, dont certaines ont perdu des éléments ancestraux qui survivent dans d’autres langues. La rétention opère également dans le cadre d’une seule langue, suivant sa différenciation diastratique ou diatopique, les éléments de la langue commune se maintenant généralement dans des variétés comme les langues techniques (par ex. la langue juridique), la langue littéraire (qui, à côté d’archaïsmes proprement dits, peut aussi maintenir des éléments qui ne s’emploient plus que dans un style soutenu, par ex. le subjonctif imparfait ou le passé simple), la langue populaire, les parlers régionaux. Dès la période de vieillissement du trait dans la langue générale, celui-ci se voit affecté d’un indice de valeur : vieilli ou populaire, ou régional, etc. (Zumthor 1967, 15). Le locuteur employant de telles survivances ne cherche pas délibérément à produire un effet, puisqu’il n’établit généralement pas de lien entre les traits linguistiques qu’il emploie et un stade révolu de la langue. C’est-à-dire que ce ne sont pas pour lui des survivances, mais des éléments bien vivants, appartenant sans restriction à son système linguistique dans la synchronie où il les utilise. Ces survivances ne sont donc rien de plus, en synchronie, que des particularités de la langue juridique, littéraire, régionale, etc., face à la variété standard de la langue qui n’utilise pas (qui n’utilise plus) ces éléments linguistiques. Seul un historien de la langue pourra relier cet usage actuel à un stade antérieur de la langue. Les locuteurs ne le font pas, parce que pour eux leurs traits linguistiques sont tout ce qu’il y a de plus vivant.
On réservera donc la notion d’archaïsme, qui concerne l’emploi conscient d’éléments obsolètes à des fins stylistiques, à un contexte d’études littéraires, et l’on emploiera de préférence en linguistique la notion de survivance, i. e. le maintien dans certaines variétés de langues d’éléments devenus obsolètes dans les autres variétés issues de la même source.
Cf. Büchi (1990).
Cf. Barr (1967), Mayer (1967), Vernois (1967).
On rencontre aussi le terme vestiges (Gadbois 1974, 39) ou fossiles (Klinkenberg 1970, 12).