3.2.3.1.2. La situation inconfortable du francoprovençal

Le domaine francoprovençal, bien que relevant d’un type linguistique différent du français, a cependant été inclus dans cette revalorisation du patois à l’aide des racines françaises. Onofrio (1864, vi-vii) s’inscrit à la suite de Nodier pour dire que le français s’est formé à partir d’apports dialectaux, ce qui justifie l’étude des patois actuels, pour servir à l’inventaire des richesses du français. La mise en perpective de l’ancien français reste cependant comparative : Onofrio entend surtout ‘“montrer par un ensemble de mots la famille et les affinités de nos idiomes”’ (lxxxi). Onofrio invoque également (1864, xxi) l’appel de Du Cange à l’étude des patois, qui pourront servir à comprendre des documents du moyen-âge104. Constantin (1902) cite également l’autorité de Du Cange pour justifier l’étude des patois. Cet auteur invoque, comme Onofrio, les liens entre le patois et le vieux français, et pour sa part présente le francoprovençal comme maintenant des archaïsmes du français :

‘“Le caractère archaïque des patois savoyards est frappant. On peut le constater non seulement dans la phonétique et dans la morphologie, mais aussi dans le vocabulaire, où l’on retrouve nombre de mots et de sens disparus dans le français propre” (xviii n. 1). ’

Le malentendu est ici évident, et joue sur la généralité du terme patois, qui ne réfère pas à un type linguistique précis, mais à un ensemble de parlers dépréciés, quelle que soit leur affiliation génétique. Si l’on peut admettre que des patois d’oïl ont conservé des traits linguistiques employés en ancien français, en revanche comment le francoprovençal, qui n’est pas un dialecte du français mais une langue distincte (comme le dit lui-même Constantin, xvii), pourrait-il conserver des survivances de l’ancien français ? Si le français est pris comme référence, c’est évidemment pour des raisons idéologiques, et non suite à une confusion que Constantin aurait faite entre filiation et apparentement (comme ce peut être le cas chez Borel 1655). Constantin, qui inscrit son oeuvre dans une perspective de comparatisme gallo-roman (il recherche systématiquement ses mots dans les glossaires d’Onofrio et Puitspelu), inclut l’ancien français pour fournir une caution à son travail traitant de parlers locaux en train de disparaître, et donc peu susceptible d’intéresser l’institution.

Notes
104.

Ce recours à l’autorité de Du Cange semble remonter à la mention suivante de Grégoire : “la connaissance des dialectes peut jeter du jour sur quelques monuments du moyen-âge” (dans Gazier 1880, 300).