4.1.2.2. Conséquences linguistiques du changement de statut

Le mouvement qui pousse le français vers des fonctions jusqu’alors réservées au latin a posé d’emblée un problème, celui de la carence lexicale de la langue : on s’aperçoit que si le français veut remplir de nouvelles fonctions, il lui manque tout un vocabulaire dans les domaines nouveaux où il désire s’implanter (toutes les terminologies ont été élaborées en latin). Le mot d’ordre de l’époque devient l’enrichissement de la langue : il faut donner les moyens au français de se montrer à la hauteur de ses ambitions.

‘“que pourront donc faire les doctes ? Essentiellement enrichir la langue française ; c’est le leitmotiv de tout le XVIe siècle. C’est le voeu de Claude de Seyssel en 1509, ce sera celui de ses successeurs. A quoi mesurent-ils la pauvreté, la « maigreur », disent-ils, de la langue française ? C’est Christophe de Longueil qui nous le dit en 1510 : la carence d’une langue se mesure quand on essaie d’y traduire un texte d’une autre langue : si l’on est obligé d’avoir recours à des périphrases pour traduire un mot simple, la langue est pauvre” (Dupont 1991, 24). ’

Ce sentiment d’une pauvreté du français, s’il apparaît comme un problème immédiat aux traducteurs d’ouvrages scientifiques, est également ressenti par les écrivains qui composent directement en français :

‘“les poètes de la Pléïade ont le sentiment de n’avoir à leur disposition qu’une langue pauvre.” (Chaurand 1972, 63.)’

Le remède apporté consiste en une création lexicale débridée, qui cherche à palier les carences en forgeant quantité de mots nouveaux132. Cette création concerne essentiellement les domaines scientifiques et techniques, ainsi que la littérature. C’est l’ère du néologisme. On a le sentiment que la perfection de la langue se mesurera au nombre de mots qu’elle contiendra, en raison de la relation directe établie entre les mots et les idées : l’ampleur du vocabulaire témoignera de l’ampleur des domaines de connaissance dont la langue peut traiter (cette vision n’est pas très différente de celle qui sera développée par les universalistes du XIXe s. comme Boiste et Pierre Larousse). Ronsard déclare que “Plus nous aurons de mots en nostre langue, plus elle sera parfaitte.” (cité dans HLF 2, 168.)

Cette quête d’une richesse lexicale se réalise par un mouvement néologique assez désordonné, qui n’est pas le fruit d’une politique linguistique planifiée et surtout unifiée. Tout le monde crée, tous les moyens de créer semblent bons. Dans une totale absence de normalisation, tout le potentiel de création de la langue est mis en oeuvre, et dans celui-ci il faut inclure le processus d’emprunt qui n’est pas en reste. Inévitablement, cette enflure lexicale suscitera des réactions (cf. ci-dessous, 4.1.2.2.2).

Notes
132.

“L’expansion de la langue vulgaire dans plusieurs domaines qui jusqu’alors lui étaient fermés, se traduit en particulier par un enrichissement du vocabulaire” (Chaurand 1972, 62).