4.3. Le recours au français archaïque dans l’étymologie des régionalismes

L’attribution à un régionalisme de l’étymologie « survivance d’un stade ancien du français » doit se faire uniquement après avoir envisagé de façon critique l’usage antérieur qui a été répertorié : il faut se méfier à la fois des attestations et des dictionnaires, car tous deux peuvent témoigner d’un usage restreint non général. Bien souvent, les attestations antérieures doivent être réinterprétées comme première mention du régionalisme décrit.

Le recours aux stades antérieurs du français, dans le cadre de la description des régionalismes, est également largement employé dans un certain nombre de cas où les liens établis avec l’ancienne langue sont parfois indirects, parfois le fruit d’une invention pure et simple. Nous proposons ci-dessous une typologie des différents types de rapprochements entre régionalismes du français et stades antérieurs de la langue, que nous réinterprétons ou récusons.

Avant d’aborder cette typologie, il convient de faire quelques remarques sur la délimitation des différentes périodes du français opérées par certains auteurs. En effet, pour se référer aux stades antérieurs du français, on trouve souvent utilisés les termes d’ancien français ou de vieux français. Il s’avère que l’utilisation d’ancien français ne correspond pas toujours à la période délimitée par les historiens de la langue comme débutant avec les premiers documents en français, au IXe s. (Serments de Strasbourg, 842) et allant jusqu’au milieu du XIVe s. (DEAF G1, xiii). Souvent, cette étiquette est également appliquée indifféremment au moyen français (milieu XIVe—fin XVIe), et même parfois au français moderne (depuis le XVIIe s.), comme le montrent les exemples de se dépaturer et tarabater (traités en 4.3.2). Ainsi, le terme ancien français acquiert dans ces contextes un sens général pour désigner tout stade antérieur de la langue, ne correspondant pas à une période bien définie, et qui couvre parfois tout ce qui est antérieur au XXe s. Dans ces cas, il conviendrait de se servir de la deuxième dénomination, qui n’appartient pas à la terminologie linguistique, de vieux français, qui réfère à une période antérieure de la langue, non précisément déterminée, mais distante de plusieurs siècles. Cette situation possède certaines affinités avec l’esprit qui régnait au XVIIe s. face au français des siècles antérieurs : les écrivains classiques méprisaient ce qu’ils appelaient la “barbarie gothique”, de sorte que :

‘“dans l’optique du temps, [le vieux français] recouvrait non seulement le moyen-âge, mais aussi le XVIe s. La plus grande confusion régnait dans les esprits au sujet de ces époques qu’on considérait comme lointaines et peu dignes d’intérêt” (Matoré 1968, 132).’