La diffusion du français dans le nord de la France est un phénomène particulier, car il concerne l’extension d’une variété standard (basée sur un dialecte) se substituant aux formes dialectales de cette même langue. Ces régions sont donc caractérisées par une ambiguïté : le français s’y diffuse, mais il y est déjà connu car on y emploie ses variétés dialectales. Sans doute en raison de cette proximité génétique des parlers en présence, la question de la diffusion du français dans les régions d’oïl n’a pas retenu l’attention des chercheurs (on n’y trouve pas l’équivalent des recherches de Brun pour le Sud). La propagation y est assez rapide : les dialectes, vivaces jusqu’à la fin du XIIIe s., sont remplacés fin XIIIe-début XIVe par une koinè écrite représentant le parler de la région parisienne (Dees 1985, 113 ; Picoche 1989, 20 ; cf. 4.1.1 pour le détail) : “le français entre 1250 et 1300 a tendu à devenir, en pays d’oïl, la langue usuelle quand on l’écrit” (Brun dans HLF 1, 366). Ce que l’on peut appeler le français (le francien de G. Paris) se diffuse au détriment des autres dialectes d’oïl d’abord autour de l’Ile-de-France (Champagne, vallée de la Loire). Les régions qui demeurent attachées à leur dialecte sont celles qui sont à la périphérie du domaine : le normand et le picard163 se maintiennent jusqu’au XIVe s. Mais au milieu du XVe s., le français a fini de s’implanter dans les dernières provinces d’oïl à l’Ouest (Saintonge, Aunis, Angoumois, Poitou). (réf. à retrouver.)
La situation de la Belgique n’est pas très différente de celle des autres régions d’oïl : le français apparaît en Wallonie, sous sa forme dialectale d’abord, à la fin du XIIe s. (dans une charte de 1194 où se trouvent de nombreux traits dialectaux). Il se généralise au XIIIe s. dans les actes administratifs. Au XIIe-XIIIe s., il est même parlé en Flandre par l’aristocratie et le clergé (Massion 1987, 24).
Pour les colonies, la question de la diffusion du français ne s’y pose en principe pas, puisque ces territoires ont été colonisés à partir du XVIIe s., et que les colons provenaient majoritairement des provinces de l’Ouest et du Centre164, où le français était donc connu à cette époque. La côte du Canada a été longée pour la première fois en 1524, mais n’est devenue française qu’au début du XVIIe, avec la fondation de Port-Royal en Acadie (1605) et celle de Québec (1608) dans ce qui forme la province actuelle de Québec. Les colons sont presque exclusivement originaires de la zone d’oïl (“La quasi-totalité des colons français du Canada provient de ce quart nord-ouest et centre de la France” : Chaurand 1995, 24), avec une différence de peuplement entre le Québec et l’Acadie, où l’on trouve une prédominance de colons originaires du Centre-Ouest et de l’Ouest au sud de la Loire, tandis que le peuplement du Québec remonte majoritairement à une population provenant du nord de la Loire (Massignon 1962 ; Péronnet 1995, 401). Une caractéristique commune à tous ces colons consiste en ce qu’ils sont en majorité originaires d’agglomérations urbaines où le français était diffusé à l’époque : “les premiers arrivés devaient avoir une assez bonne connaissance du français commun” (Lavoie 1995, 346).011
La Louisiane a été déclarée française en 1682 par Cavelier de Lasalle. Une colonie est fondée en 1698, mais ne prospère pas. Elle est renforcée à partir du milieu du XVIIIe s. par des Acadiens expulsés de leurs terres par les Anglais, lors du triste épisode du Grand Dérangement (1755). Une nouvelle Acadie se crée dans les bayous du sud-ouest de la Louisiane (Griolet 1986). C’est essentiellement la langue de ces Cajuns qui a été étudiée (et non celle des planteurs créoles), qu’il faut donc lier au problème du français parlé au Canada.
En Haïti, le français s’est implanté depuis le XVIIe s. (les Français s’y fixent à partir de 1625), essentiellement en tant que langue des planteurs, de l’administration et de la justice. Il a été instauré langue officielle depuis l’indépendance d’Haïti en 1804 ; en 1961 (date de l’étude que nous utilisons), il remplit les fonctions officielles de langue de l’administration, de la justice et de l’enseignement.
Froissart est souvent cité comme “le dernier écrivain de valeur qui rédige en dialecte” (Dauzat 1930, 543) : il s’agit en fait d’un français teinté de traits dialectaux.
Le peuplement d’Haïti, par ex., est le suivant (d’après Pompilus 1961) : Normands, Bretons, Manceaux, Angevins, Angoumois, Aunisiens, Saintongeais, Poitevins.