5.1.4. Conclusions sur l’implantation ancienne du français dans les régions francophones

La chronologie de l’implantation du français dans les diverses régions francophones considérées dans cette étude rend plausible la thèse des survivances, puisqu’elle témoigne d’une diffusion ancienne. Le français est d’usage général dans (presque) tout le territoire depuis le milieu du XVIe s. (l’implantation est plus tardive pour le Roussillon et l’Alsace notamment), et est connu çà et là environ deux siècles plus tôt, voire trois (Suisse, Savoie). Cette implantation ancienne dans les régions actuellement francophones (bien avant sa généralisation officielle par l’édit de Villers-Cotterêts) implique la possibilité que des traits anciens de la langue, depuis la fin de l’ancien français jusqu’au français contemporain, se maintiennent dans diverses régions où ils étaient employés. La thèse des survivances ne peut être contredite par la diffusion du français pour des mots du moyen français et du français moderne disparus à l’époque contemporaine du français commun, puisqu’à partir de l’époque du moyen français la langue est connue dans la grande majorité des régions étudiées (exception faite, en ce qui concerne les mots du moyen français, pour quelques régions comme le Roussillon ou l’Alsace, où le français s’est implanté tardivement). En revanche, la question chronologique soulève une objection en ce qui concerne les mots connus uniquement en ancien français et disparus au XIVe s. Dans ce cas, pour une bonne partie du territoire envisagé (exception faite des régions d’oïl qui posent un problème particulier), il y a un hiatus entre la disparition du mot en français, et la diffusion de la langue dans les régions où l’on retrouve à l’époque contemporaine une trace de ce mot. Il faut alors conclure que le régionalisme n’est pas une survivance de l’ancienne langue, mais qu’il a été réintroduit dans une sous-partie de son domaine géographique ultérieurement168. On peut donc se fonder sur un principe général : si à l’époque où un mot (correspondant à un régionalisme actuel) a cessé d’avoir cours en français commun, on ne parlait pas français dans la (ou les) région(s) où le mot est signalé ensuite comme régionalisme, la thèse de la survivance n’est pas tenable. Il faut conclure à une simple coïncidence et chercher une autre étymologie à ce régionalisme.

Notes
168.

On peut envisager que le mot s’est maintenu grâce à l’écrit : les érudits locaux ont pu apprendre ce mot en lisant des oeuvres en ancien français, cf. Pompilus (1961) sur Haïti. Mais un tel mécanisme est-il envisageable pour tous les cas ?