Régionalismes formels :
Ils concernent les “mots qui existent en français (même base étymologique), mais dont la phonétique locale présente des particularités [...] qui ne découlent pas directement de la prononciation régionale du français” (Martin 1987, 21). Ces variantes formelles sont appelées régionalismes phonétiques par Martin (1987, 21) : elles diffèrent de la catégorie des régionalismes phonétiques de Tuaillon en ce qu’elles concernent la prononciation particulière de certains mots, dont on ne peut pas rendre compte par une règle générale. Il faut donc les comprendre comme des régionalismes [lexicaux] phonétiques. Leur concurrent en français de référence est issu de la même base étymologique : ex. âbre/arbre. Poirier (1995) inclut cette catégorie dans notre type II car pour lui ce sont des mots nouveaux auxquels on réserverait une entrée indépendante dans un dictionnaire.
Le Sé régional est employé en plus du Sé français commun : il enrichit le sémantisme du mot français. Je propose donc la dénomination de régionalisme sémantique inclusif. [Cf. Pompilus (à retrouver).]
Le Sé régional est employé à l’exclusion du Sé français commun : il s’agit d’un régionalisme sémantique exclusif. Ceci favorise la formation de micro-systèmes régionaux, puisque le sens français commun exclu par le sens régional est alors pris en charge par un autre mot, pouvant être lui-même un régionalisme sémantique. Ces micro-systèmes régionaux peuvent complètement diverger des micro-systèmes du français de référence, créant parfois des situations assez embrouillées : les régionalismes déjeûner, dîner, souper correspondent ainsi au français de référence petit déjeûner, déjeûner, dîner ; dans le français de Meyrieu-les-étangs (Isère), carotte a exclusivement le sens “betterave”, tandis que “carotte” est exprimé par pastonade ou racine. Ces phénomènes ne sont pas sans rappeler l’opinion de F. Voillat (1971) pour qui le français régional peut former un système en soi, divergent du français.216
Genre : l’opposition est binaire et les régionalismes s’opposent au français de référence dans les deux sens : masculin pour féminin (ancre, vipère), féminin pour masculin (ongle, serpent).
Nombre : l’opposition est également binaire mais révèle une tendance unidirectionnelle, pluriel pour singulier (escaliers, culottes, pantalons).
Rection verbale : les différences de rection touchent le régime pronominal (s’accoucher, s’avorter) ou son absence (promener, appauvrir), le régime transitif direct (réfléchir, ressembler) ou indirect (prétendre de, aider à), etc.
Catégorie grammaticale : la différence de fonctionnement syntaxique entre le régionalisme et son équivalent en français de référence, que l’on peut décrire comme une transcatégorisation, touche particulièrement les adverbes et prépositions (dedans, dessus, dessous, après servant d’adverbes et de prépositions : cf. Voillat 1971, 223), et les adjectifs employés comme adverbes régionalement (franc).
Registre : “les mots n’appartiennent pas nécessairement au même niveau [de langue] sur l’ensemble du territoire” (Taverdet 1990, 715a) : par ex. tantôt n. m. “après-midi” appartiendrait au registre populaire en français commun, mais serait non marqué dans certaines régions (Straka 1981, 37).
Domaine : Poirier (1995) cite le cas d’arachide, réservé à la langue commerciale en français commun, mais d’emploi usuel au Québec. ; relevée “après-midi” est un terme de droit, employé régionalement dans l’usage courant (où ?).
La fréquence de certains mots est parfois plus élévée dans l’usage régional que dans l’usage général (ex. guère en Bourgogne : Straka 1977a, 233), nous autres, vous autres [voir base RdG]. Ce phénomène peut déboucher sur des considérations d’ordre diachronique : des traits peu employés en français commun le sont soit en fréquence (en restant cependant vivants), soit parce qu’ils sont restreints à un certain type d’usage, notamment littéraire (point), ce qui porte souvent le témoignage de la disparition d’un usage autrefois répandu. Le régionalisme de fréquence peut donc être un aspect sous lequel se présente le phénomène de survivance, pour des mots non encore totalement disparus du français commun actuel :
“sans doute s’agit-il, le plus souvent, de faits qui deviendront un jour des archaïsmes en français — s’ils ne le sont pas déjà —, tandis qu’ils restent vivants régionalement” (Straka 1977a, 233).
Le rapport de fréquence peut être inverse, et on tombe alors dans le cas des régionalismes négatifs (Taverdet 1977, 42), qui posent le problème de la valeur de la méthode différentielle appliquée à l’étude des régionalismes :
‘“On ne peut caractériser un français régional seulement par ses écarts positifs : quand ceux-ci seraient parfaitement dénombrés, il resterait à définir la part de français “normal” qu’il contient”’ (Voillat 1971, 226).
Pour Salmon (1991a), le français régional ne se limite pas à un saupoudrage de quelques mots régionaux sur fond de français commun : beaucoup de mots du français de référence sont exclus des régions par des régionalismes qui occupent solidement leur place. Ainsi, selon lui, les mots français présents dans les recueils de Molard, Puitspelu et Vachet n’ont pas été recueillis par erreur : ces mots français étaient aussi lyonnais car ils en excluent d’autres qui appartiennent aussi à l’usage français.
Un mot du français de référence est peu employé en français régional, qui lui en préfère un autre. La préférence peut aller à un mot du français commun qui lui est synonyme : ainsi, Taverdet (1990, 709) indique que si peigner et coiffer sont des synonymes en français de référence, en Bourgogne on préfère employer peigner, coiffer étant marqué comme relevant du style relevé (le même phénomène est documenté pour la Suisse par Voillat 1971, 226 où l’on utilise gamin de préférence à enfant, car “ce mot [est] senti comme étant d’un niveau trop relevé”). Mais souvent cette situation découle de la présence d’un mot régional faisant concurrence au terme français, et qui lui est préféré (ex. verne / aulne). Dans le cas extrême, cette situation est le résultat non d’un choix, mais de l’ignorance du mot du français de référence de la part des locuteurs employant le mot régional (Tuaillon 1977a). Ce type de régionalismes va de pair avec les régionalismes lexicaux à concurrents standards (cf. II).
Ces traits négatifs sont rarement notés dans les répertoires de régionalismes.
“il reste à se demander si ces écarts, si imperceptibles, si localisés à première vue, n’intéressent pas l’ensemble du système, s’ils ne répondent pas à une déviation, peut-être légère, mais globale, cohérente” (217).