7.2.1.5. Régionalismes-survivances lexicaux

[109] abrier v. tr. “mettre à l’abri, protéger”.Abrier

Abrier (< blat. apricare “chauffer, réchauffer par le soleil”) est attesté à partir du 11e s. en fr., où il s’agit peut-être d’un emprunt à l’occitan ou aux dialectes de l’Ouest (TLF). Dans le sens général de “mettre à l’abri, protéger”, le verbe est bien employé jusqu’au 16e s., période à laquelle commence son déclin. Il sort de l’usage général au 17e s. (Fur 1690 : “vieux” ; ø Nic 1621, Rich 1680), mais subsiste dans des emplois techniques : “protéger contre le vent (une plante)” (terme de jardinage, attesté de Fur 1701 à Moz 1842, FEW) ; “intercepter le vent d’un navire sans voile” (terme de marine attesté, d’abord sous la forme abreyer, de 1777 à Lar 1948, FEW). A partir du 18e, on prend sa défense : “Il seroit à souhaiter que ce mot pût revivre” (Trév 1743), souhait repris par Land 1843 : “Trévoux se demande pourquoi nous avons perdu ce mot, qui vient tout naturellement d’abri, et qui est plus doux et plus agréable que abriter. Nous regrettons comme lui cette perte” (en fait, abriter, dérivé d’abri apparu après la disparition d’abrier (1740), ne l’a que partiellement remplacé, abrier ayant un sens plus général). Le terme se maintient régionalement à l’Ouest : il est attesté au milieu du 18e s. en Anjou (Du Pineau : “couvrir, habiller”) ; au 19e, Besch 1855 indique que le verbe est encore usité “En beaucoup de provinces, surtout en Normandie”. Au 20e s., abrier est encore utilisé en Louisiane (v. tr. et pron. “couvrir”), au Canada (Québec : v. tr. et pron., attesté depuis le milieu du 18e s. (Potier 1743-52) ; Acadie depuis 1925, v. tr., var. abriyer, abrèyer v. tr. “couvrir les tas de morues sur la grave”) et en Normandie (v. pron., ex. : s’abrier de la pluie, d’après Depecker 1992, absent des dictionnaires régionaux normands). Le type lexical abrier a également été conservé par les patois de l’Ouest (depuis la Picardie jusqu’à l’Aunis), et du Centre, ainsi qu’en Bourgogne, en frpr. et en occ. (FEW 25/2, 56a).

[91] accomparer v. tr. “comparer”.Accomparer

Ce dérivé de comparer (emprunté au lat. comparare), de même sens que le simple, est apparu au 13e s. Il est encore très employé au 16e s. (cf. Hu), mais sa vitalité décroît à la fin du siècle, et au 17e le préfixé disparaît devant la forme simple (ø Nic 1621, Rich 1680, Fur 1690 ; selon FEW, accomparer est enregistré pour la dernière fois dans Mon 1636). Le terme est recensé deux siècles plus tard comme régionalisme à Genève (Humbert 1852), et au début du 20e s. au Canada (Acadie 1925, Québec 1930). Le type lexical accomparer a également survécu dans les patois de L’Ouest (Anjou, Saintonge), dans le Centre, en frpr. (Suisse, Savoie, Isère), ce qui correspond aux régions où a été recensé le régionalisme, ainsi que dans quelques parlers occitans (FEW 2/2, 970b).

[36] acertainer v. tr. “affirmer quelque chose comme certain, certifier”.Acertainer

Ce dérivé de certain (< lat. *certanus) est apparu dans la deuxième moitié du 12e s. (1164 acertener, TLF) et a été employé jusqu’au début du 17e s. (encore sans marque dans Nic 1621, et Mon 1636 d’après FEW). Il vieillit au cours du siècle, et est indiqué comme “vieux” par Oud 1660 (HLF 3, 125 ; le dernier emploi recensé est chez Chapelain, 1662 ; ø Rich 1680, Fur 1690). Selon TLF, la disparition d’acertainer serait peut-être due à la concurrence d’assurer, mais n’a donné lieu à aucune sentence de la part d’un grammairien. Le mot est encore enregistré par certains dictionnaires du 18e (par ex. Trév 1743 : “vieux mot”) et du 19e s. (Land 1843 : “Inusité” ; DG : “vieilli”). Acertainer est encore employé en Amérique du Nord : Louisiane (aussi sous la forme acertener) et Québec (1894, 1930 ; var. acertener, açartener), ainsi qu’à l’Ouest : Basse-Normandie (Calvados, Orne) et Charente-Maritime (Saint-Georges-de-Didonne 1921-34). Le type lexical acertainer est également connu des patois de l’Ouest (jusqu’en Saintonge) et du Centre (ainsi qu’à l’Est et en occitan de Provence : FEW 2/1, 611b-612a), ainsi qu’en anglais qui l’a emprunté au fr. au début du 15e s. (ascertain : “affirmer, assurer”, vieux ; 1794 “vérifier que qc est vrai”, OED).

[20] adent adv. “à plat ventre”.Adent

Adent, formé à partir de dent (< lat. dens, dentis), est un terme de l’ancien et du moyen français exclusivement : apparu au début du 12e s., il est employé jusqu’à la fin du 16e (1574, Gdf), et est déjà obsolète au 17e s. (ø Nic 1621, Rich 1680, Fur 1690). Il réapparaît dans la deuxième moitié du 19e s. chez Li, qui plaide en sa faveur : “Ce mot, un des plus anciens de la langue, rend ce que nous n’exprimons que par une phrase ; [...] il pourrait peut-être rentrer dans l’usage. Il y avait dans l’ancien français adenter, coucher sur le ventre, s’adenter, se coucher sur le ventre, tous mots excellents et qu’il est bien dommage de voir perdus”. Li le déclare “usité encore dans le peuple” : il s’agit là, plutôt que d’un emploi véritablement populaire, de la première mention du régionalisme (cf. cependant déjà l’adj. adenté “couché sur le ventre” recensé au milieu du 18e s. en Anjou par Du Pineau). En effet, Li cite un exemple avec adent et précise : “phrase d’un paysan des environs de Paris”. Adent est employé à l’heure actuelle en Basse-Normandie (Manche, Calvados). Le type lexical adent est également connu des patois de l’Ouest, notamment normands, depuis la Picardie jusqu’en Anjou (FEW 3, 42a).

[167] adonc adv. “alors, à ce moment-là”.Adonc

Adonc, formé à partir de donc (< lat. dunc), est apparu à la fin du 12e s. (1170 aidunc, TLF). Il est d’un emploi courant jusqu’au 16e s. (HLF 3, 349-350) et encore au début du 17e (présent sans marque dans Nic 1621 et Monet 1636 d’après Brunot). Mais le mot vieillit au cours du siècle et est proscrit par certains grammairiens : il est marqué comme “bas, burlesque ou suranné” en 1677 (dans le Nouveau dictionnaire français-italien anonyme paru à Genève chez J. H. Widerhold, HLF 4, 26) et Fur 1690 le qualifie de “vieux mot” (encore dans Trév 1743 et Land 1843). Il est par la suite encore employé, par archaïsme, par certains écrivains des 19e et 20e s. (par ex. Péguy, Grévisse 1993, §965). Au 20e s., le mot subsiste dans le français du Jura (Morez : adon, attesté depuis 1894), du Rhône (Haut-Beaujolais : “bien connu au-dessus de 60 ans”) et de la Loire (le Pilat). Le type adonc est également représenté dans de nombreux patois (avec souvent perte du [k] final), notamment à l’Est depuis la Lorraine jusqu’en Provence (FEW 3, 179a ; GPFP §78) ; Robez-Ferraris (1995) considère le adon relevé à Morez comme un “Invariant patois”.

[124] agarder v. tr. “regarder”.Agarder

Agarder (milieu 10e, DEAF) est un dérivé de garder (< germ. *wardôn “diriger son regard vers”) dans son sens ancien de “regarder” : “Le préfixe insiste sur la direction, d’où “regarder” avec un sens intensif” (DEAF G2, 185-186). Il a été en concurrence, pour exprimer cette signification, avec deux autres dérivés de garder : esgarder (fin 10e, DEAF) et regarder (début 12e), qui a supplanté ses rivaux et a seul survécu. Esgarder et agarder ont tous deux disparu au cours du 16e de la langue commune (DEAF). Agarder était encore en usage au Québec au début du siècle (1930) ; le type lexical s’est également maintenu dans les patois de l’Ouest, de la Normandie à la Saintonge, et dans le Centre (FEW 17, 513b), ce qui correspond à la zone d’origine des colons québécois.

[127] aguetter v. tr. “guetter”.Aguetter

Aguetter (1120 agaitier, DEAF) est un dérivé de guetter (< frq. *wahtôn “faire le guet”) qui a été employé, dans le sens “être aux aguets ; guetter, épier (avec de mauvaises intentions)”, jusqu’au 16e s. (cf. Hu). Il est encore répertorié sans mention par Nic 1621, mais apparaît à la fin du siècle avec la marque “bas” dans un dictionnaire anonyme bilingue français-italien (imprimé à Genève chez J. H. Widerhold), qui d’après Brunot (HLF 4, 26) est le “premier dictionnaire de la langue épurée et classée” [TLF a mal interprété le passage de Brunot et signale à tort le mot dans le dictionnaire de Miege 1679] : la marque “bas” est donc sans doute à interpréter comme “vieux”, d’autant que le mot n’est pas repris par les dictionnaires ultérieurs (ø Rich 1680, Fur 1690) et ne franchit pas le 18e s., ayant cédé la place au simple guetter (DEAF G1, 62). Aguetter est répertorié au début du 20e s. dans l’usage québécois (1930). Le type lexical aguetter est connu de certains patois, notamment de la zone d’origine des colons québécois (Nord, Ouest : FEW 17, 454a) ; il a aussi été emprunté par l’ang. à l’anglo-normand (awaitier > ang. await “surveiller”, depuis 1230, sens aujourd’hui obsolète, OED).

[59] alumelle n. f. “lame (de couteau)”.Alumelle

Alumelle est une forme issue de lamelle “petite lame” (< lat. lamella) par agglutination de l’article, d’abord attestée sous la forme alemel(l)e (1155—1675, FEW), qui s’est modifiée sous l’influence de allumelle, allumette. Alumelle est apparu au 14e s. (FEW ; DG, et à sa suite Rob 1985, donne la date de 1458) et a été employé jusqu’au 16e s. inclus. Nic 1621 atteste de son vieillissement : “Encore dit-on aujourd’hui, une lame d’espée” ; le terme est encore employé par les burlesques (HLF 3, 125), et apparaît encore sans marque dans Rich 1680. Au 18e s., le mot est vieilli dans son sens “lame” (d’après Huguet 1935, 70, il aurait disparu par suite de sa concurrence avec lame) mais subsiste dans des emplois techniques (cf. Trév 1743 : “Ce mot commence à vieillir, si ce n’est peut-être parmi les jardiniers”) : “soutane sans manches (Mén 1694-Land 1851, FEW), “outil d’acier pour polir et achever les peignes” (depuis 1723, encore vivant cf. Rob 1985), “petite plaque de fer dont on garnit la mortaise du gouvernail” (depuis 1835, FEW). Alumelle, dans son sens général “lame”, subsiste quant à lui régionalement : Du Pineau le signale au milieu du 18e s. en Anjou ; à l’époque contemporaine, on le trouve en Amérique du Nord : Louisiane (1901), Canada (Québec 1930 : “lame de couteau ; surpli sans manches” ; Acadie, var. lumelle). On trouve également la forme antérieure allemelle en Bourgogne. Le type lexical alu/emelle est attesté massivement dans les patois d’oïl, notamment dans l’Ouest, le Centre et en Bourgogne (FEW 5, 135).

[178] anuit adv. “aujourd’hui”.Anuit

Anuit, dér. de nuit (< lat. nox, noctis), est attesté en fr. depuis le début du 12e s., d’abord dans le sens “la nuit passée, cette nuit” (disparu début 16e). Au 14e s., le mot prend le sens “aujourd’hui”, et est employé jusqu’à la fin du 16e s. (1590, Gdf). Il est marqué “vieux” par Mén 1694, qui semble l’avoir inclus dans sa nomenclature (alors qu’il est absent des autres dictionnaires du 17e, notamment Nic 1621, Rich 1680, Fur 1690) car il en a noté un emploi régional, dans le sens originel d’ailleurs (alors que Mén donne comme définition : “aujourd’hui”) : “Dans la Bresse et le Dauphiné, anuit signifie hier au soir”. La série des Trév récupère l’entrée, et la colporte comme vieux mot jusqu’en 1771 (FEW), en précisant que dans le sens “aujourd’hui”, le mot se maintient dans les campagnes (cf. Trév 1721 : “Les païsans disent encore anuit, pour aujourd’hui”). Cette information est corroborée au milieu du siècle par Du Pineau qui signale l’emploi du mot, dans le sens “aujourd’hui”, en Anjou et à Lyon, tandis que Desgrouais (1766) note le mot à Toulouse, dans le sens ancien “cette nuit” (“Je n’ai pas dormi d’anuit. De tout anuit”). Le mot disparaît ensuite pour réapparaître dans les inventaires régionaux contemporains : anuit “aujourd’hui” est en usage en Basse-Normandie. Le type lexical anuit est largement représenté dans les patois de toute la France, notamment en Normandie (FEW 7, 216). On trouve également des formes régionales apparentées qui portent la marque des patois : Allier agneut, Indre (sud), Allier aneut, Ardennes anoui, anou, aneu.

[90] bailler v. tr. “donner”.Bailler

Ce verbe, issu du lat. bajulare “porter”, documenté en fr. depuis la première moitié du 12e s., a été victime de la concurrence de donner (TLF). Il est encore bien employé dans la première moitié du 17e s., puis est déclaré vieilli au milieu du siècle par Vaugelas (1647, 349) : “Ce verbe bailler, a vieilli, & l’on ne s’en sert plus en escrivant que fort rarement”. D’après Brunot (HLF 3, 106), “les burlesques le compromettent en en faisant un usage constant, et presque tous les grammairiens de la fin du siècle se déclarent contre lui” (cf. Rich 1680 : “il n’est pas du bel usage. On dit en sa place donner”). Mais sa déchéance est-elle réellement le fait des grammairiens, ou ceux-ci ne font-ils qu’entériner un vieillissement naturel (de fait, le mot vieux aurait trouvé sa place dans le vocabulaire des burlesques) ? A la fin du 17e, bailler est non seulement bas (Rich), mais encore vieux (Fur 1690 : “il est moins en usage que donner”), et subsiste surtout comme terme de droit (“donner à bail, mettre à la disposition de”), ainsi que dans la locution vous me la baillez belle, encore mentionnée par Fér 1787 (“familière”). Le terme de droit est lui-même vieilli au milieu du 19e (Besch 1855 : “Vieux mot [...] qui n’est plus usité qu’au palais et encore l’est-il rarement”). Bailler “donner” est signalé comme encore utilisé régionalement au milieu du 18e s. à Toulouse par Desgrouais (1766 : “Presque personne à Paris ne dit bailler pour donner ; presque tout le monde le dit à Toulouse”). Au 20e s., il est encore en usage en Guadeloupe (d’après Depecker 1988), en Acadie, en Basse-Normandie (Calvados, Orne), dans le Jura et les Alpes du Nord (d’après Depecker 1992, non confirmé par les dictionnaires régionaux) et dans le Sud de la France (Nouvel 1978). Le type bailler est également connu de nombreux patois, à l’Ouest (Picardie, Normandie, Saintonge), dans le Centre, en Bourgogne, à l’Est (de la Champagne à la Provence), et en occ. du Languedoc, d’Auvergne et de Gascogne (FEW 1, 206). Le régionalisme relevé dans le Midi est considéré comme un emprunt à l’occ. (balhar) par Nouvel (1978) ; Depecker (1988, 44) note qu’“Aux Antilles, [bailler] s’utilise encore couramment en créole, langue qui a intégré et permis la conservation de maintes formes de notre ancien parler”.

[23] belin n. m. “bélier”.Belin

Belin est attesté en fr. à partir de la deuxième moitié du 12e s., d’abord comme nom propre donné au mouton, puis pour désigner le bélier. Il serait un emprunt au néerl. belhamel “mouton à cloche” (TLF). Le terme est employé jusque dans la 2e moitié du 17e s., où il vieillit (ø Rich 1680 ; déclaré “vieux” dans Fur 1690), avec une étendue sémantique englobant “bélier”, “agneau” (d’où son utilisation secondaire comme”nom d’amitié que l’on donne aux enfants”, mentionnée par Land 1843 et Besch 1855) et “mouton” (d’où un emploi dans le sens “sot” au 16e). La disparition de belin serait due à la concurrence de son dérivé (par substitution de suffixe) bélier (attesté depuis 1412, d’abord comme nom propre, TLF). Belin est signalé comme mot régional, avec des sens variables, depuis la fin du 19e s., soit deux siècles après sa disparition de la langue commune : il est employé d’une part en Normandie (Eure, Basse-Normandie, var. blin), d’autre part à l’est dans le Doubs (Montbéliard, Beauquier 1881), Jura (Beauquier 1881 ; Morez belet “agneau”), le Rhône (Beaujolais : beli, belin “agneau” ; Lyon : “agneau (terme de tendresse)” depuis 1894), ainsi qu’en Suisse (Neuchâtel 1926 : belin, bélin “bélier”, attesté depuis 1623, “il vieillit”). Dans l’Isère et la Drôme, on trouve le f. beline désignant généralement la chèvre (à La Mure : “chèvre ; brebis”). Le type belin est répandu dans un certain nombre de patois, avec une certaine variation sémantique (surtout “bélier” en domaine d’oïl, mais aussi “agneau” et “cabri” en frpr.) : il est bien représenté dans l’Ouest depuis la Normandie, dans le Centre, et à l’Est depuis la Champagne jusqu’en frpr. (FEW 15/1, 90b-91a). Le régionalisme est considéré comme un emprunt au patois par Vurpas-Michel (1992 : cf. variation beli, belin) et Vurpas (1993, 56 : “mot d’origine patoise [...] qui désignait d’abord l’agneau”).

[130] brodure n. f. “ouvrage en broderie”.Brodure

Brodure (formé sur broder < germ. *bruzdan ou de l’abfrq. *brozdon), attesté depuis le milieu du 13e s. (1260 broudure, FEW) a été employé concurremment à broderie (fin 13e, TLF), jusqu’à la fin du 17e s., où le terme vieillit et disparaît des dictionnaires au profit de son concurrent (ø Rich 1680, Fur 1690 qui enregistrent en revanche broderie ; FEW donne Pom 1700 comme dernière attestation). Au 20e s., l’emploi de brodure est signalé au Québec (1930). Ce type lexical est connu de certains patois de l’Ouest de la France, jusqu’en Saintonge (FEW 15/1, 320a), zone d’origine des colons québécois.

[143] charrée n. f. “contenu d’un char, d’une charrette”.Charrée

Ce dérivé de char (< lat. carrus), apparu au 12e s., est un concurrent de charretée (1086 caretedes pl., TLF) formé sur charrette. Le terme disparaît au début du 17e s. (la dernière attestation recensée par FEW est Mon 1636) à la fois de l’usage et de la lexicographie (ø Nic 1621, Rich 1680, Fur 1690, Mén 1694), au profit de charretée (seul indiqué par Rich 1680 et Fur 1690). Charrée réapparaît dans la lexicographie régionale au 20e s. : son emploi est restreint à une portion du Sud-Est, englobant la Loire (le Pilat), la Haute-Loire, l’Ardèche et la Drôme, avec une extension en Suisse (Neuchâtel 1926, attesté depuis 1351). Le type charrée est connu de certains patois du Nord (wallons, picards, normands) ainsi qu’à l’Est (lorrains, frpr.) et en occ. (notamment Dauphiné, Languedoc et Auvergne : FEW 2/1, 427a ; ALLy 34 ; ALMC 849). Le régionalisme est attribué à un emprunt en Ardèche (Maza-Pushpam 1992 : < occ charaa) et dans le Velay, où l’on trouve aussi la variante charade (< occ chara(d)a).

[25] charrière n. f.”chemin (par où passent les charrettes)”.Charrière

Ce dérivé de char (< lat. carrus ; le suffixe f. -ière s’explique probablement par une relation avec un nom f. comme voie, TLF. FEW postule un lat. (via) *carraria, que l’on trouve attesté seulement en 813) est apparu au début du 12e s. (1119, TLF). Il est employé, dans le sens “chemin où peut passer un char”, mais aussi dans le sens plus général “chemin”, jusqu’au 16e s., époque à laquelle il disparaît (il ne passe pas dans les dictionnaires du 17e s., à l’exception de Mén 1694, cf. ci-dessous). Son maintien régional est signalé dès la fin du 17e par Mén 1694 (s.v. carriere) : “En Basse-Normandie & dans plusieurs autres Provinces on dit une charriere, pour dire un lieu par où passent les charrettes”. Du Pineau le signale en Anjou au milieu du 18e s. (dans le sens “ornière”). Son emploi par G. Sand au milieu du 19e s. (1849, TLF) peut également s’interpréter comme la persistance du terme dans le Centre. Il est réintroduit sans mention à la même époque dans les dictionnaires généraux (qui l’ont peut-être pris dans Sand, bien qu’ils ne citent aucune source : cf. Besch 1855, Li), mais l’indication “chemin rural” fournie par Lar 1868 laisse à penser qu’il s’agit là d’un régionalisme caché. Parallèlement, le mot est inclus dans les inventaires de régionalismes : il est signalé à Genève (Humbert 1852 : adj. “Une rue charrière, charretière”) et dans le Doubs (Beauquier 1881). Au 20e s., charrière (avec une légère dispersion sémantique) est employé dans une aire assez vaste, principalement pour désigner des réalités rurales : Basse-Normandie (“chemin de terre ; chemin creusé de profondes ornières”), Allier (“chemin de terre”), Cher (“entrée d’un champ où l’on peut passer en voiture”), Champagne (“ornière”), Bourgogne (“ornière” dans le nord de la Côte-d’Or, “chemin forestier (emprunté par les chars)” ailleurs), Franche-Comté (“chemin par où passent les charrettes”, “chemin servant au défrichement dans les bois” ; Morez (Jura) “chemin rocailleux, qui n’a pas été goudronné (péj.)” ; cf. déjà Doubs 1881), Suisse (Genève 1852 ; Neuchâtel 1926 : “chemin carrossable ; rue”, hors d’usage en ce sens, aujourd’hui “chemin vicinal, chemin rural de montagne”), Haute-Savoie et Savoie (figé en toponyme : “route carrossable”), Rhône (Beaujolais : “chemin à chars ; rue”), Hautes-Alpes (Gap : “rue”, mot-souvenir figé en toponyme), Drôme (“terrain abandonné ; chemin à charrettes ; rue d’un village ; voie de transhumance”). Le type lexical charrière est largement représenté dans les patois d’oïl, en frpr. (depuis 1341, Gdf) et en occitan (FEW 2/1, 412b-413b). Le régionalisme est attribué au frpr. par Robez-Ferraris (1995 : < tsariri.) et Vurpas-Michel (1992). On trouve d’autre part deux séries de régionalismes apparentés à charrière : la première est du type charrère, également connu des patois. On la trouve dans le Rhône (Beaujolais : “chemin à chars ; rue”), la Loire (le Pilat : chareire “chemin à char ; rue”), en Ardèche (Annonay : “terrain abandonné ; chemin à charrette”), dans la Drôme (“terrain abandonné ; chemin à charrettes ; rue d’un village ; voie de transhumance”). La deuxième série, représentée surtout là où le substrat est occitan, laisse apparaître des divergences formelles révèlant des emprunts non adaptés : Drôme carraïre “terrain abandonné ; chemin à charrettes ; rue d’un village ; voie de transhumance”, Haute-Loire charrèïre “chemin à char ; terrain abandonné ; cour de ferme” (< occ. charreira ), Hérault (Agde 1770) carrière “rue”, Ariège, Haute-Garonne carretère “rue ou chemin carrossable”, Ariège carretière (< occ. carret(i)èra) .

[93] coudre n. m. “noisetier”.Coudre

Ce représentant du lat. pop. colurus (< corylus) est attesté en fr. depuis le 11e s. (coldre ; 1179 coudre). Début 16e apparaît un dérivé, coudrier (1503 couldrier ; 1555 coudrier), de même sens (“noisetier ; bois de cet arbre” ; la distinction introduite par Lar 1929 : “coudrier désigne le noisetier même, coudre désigne plutôt le bois utilisable de cet arbre”, ne semble pas avoir été employée). Les deux mots sont en concurrence jusqu’au 18e s. (ils sont des synonymes mis sur le même plan chez Fér 1787), mais au 19e coudrier devient plus employé que le simple (d’après Huguet 1935, 29 : “L’analogie avec les noms d’arbres en -ier a pu l’aider à se répandre”) : il est le définissant de coudre à partir de la première moitié du 19e (par ex. Land 1843 : “coudrier, noisetier sauvage”), puis coudre est considéré comme vieilli à partir d’AcC 1842 (“vieux langage”, TLF). Coudrier est encore considéré (GLLF, TLF) comme un synonyme vivant de noisetier (il est d’ailleurs employé pour définir coudre par Can 1930 et Lepelley 1989), mais Rob 1985 le marque comme “régional”. Coudre est encore employé au 20e s. au Québec (1930), en Basse-Normandie (Seine-Maritime), Champagne (“noisetier ; baguette de noisetier”) et Bourgogne (“noisetier (bois) ; bois de mauvaise qualité”, var. cou(d)rère). Le type lexical est représenté dans de nombreux patois du Nord depuis une date ancienne, notamment en Normandie, Champagne et Bourgogne, ainsi qu’en frpr. (FEW 2/2, 1240b-1241a).

[92] demeurance n. f. “lieu où l’on demeure, habitation”.Demeurance

Demeurance, dérivé de demeurer (< lat. demorari), est apparu dans la 1e moitié du 12e s. (demorance, TLF). Il est concurrencé à partir du début du 13e s. par un autre dérivé de demeurer, demeure (d’abord attesté fin 12e dans le sens “retard”, cf. le sens “tarder” de l’étymon lat., qui se perpétue dans l’expr. il y a péril en la demeure). Demeurance est bien employé jusqu’à la fin du 16e s. (1580, Gdf et Hu), puis disparaît de l’usage (il est répertorié par Huls 1614 d’après FEW, mais est absent des autres dictionnaires du 17e, notamment Nic 1621, Rich 1680, Fur 1690 et Mén 1694). Sans histoire lexicographique ultérieure au début du 17e, le terme réapparaît au milieu du 19e dans des emplois régionaux : à Genève (Humbert 1852 : “terme plus en usage à la campagne qu’à la ville”), dans le Centre (Sand 1853, TLF), à Lyon (Puitspelu 1894 : “C’est du vieux français”) et dans le Midi (Fabre 1867, TLF). Au 20e, demeurance est employé principalement en Amérique du Nord (Louisiane, Canada), ainsi qu’en Franche-Comté. Le type demeurance est également présent dans les patois du Nord, de l’Ouest (Normandie, Aunis et Saintonge) et du Centre, du Doubs, en frpr. et en provençal (FEW 3, 38b).

[34] déto(u)rber v. tr. “gêner ; déranger”.DétorberDétourber

Détorber, représentant du lat. disturbare “déranger”, a été employé en ancien et moyen français (d’abord sous la forme détorber, puis détourber) dans le sens “empêcher, gêner”, et “endommager, détruire”. Il est encore employé au début du 17e s. (destourber est encore dans Nic 1621 sans mention) mais vieillit au cours du siècle (“vieux” en 1669 d’après FEW ; il disparaît des dictionnaires dans la seconde moitié du 17e : ø Rich 1680, Mén 1694, etc.). Parallèlement, on enregistre les premières mentions de son usage régional : Fur 1690 ignore le mot en tant qu’ayant appartenu à l’ancienne langue (il donne en revanche le n. m. destourbier : “Vieux mot qui signifoit autrefois obstacle, empeschement”) mais le signale comme mot picard (repris notamment dans Trév 1743 ; la forme picarde est en fait déturber, FEW 3, 102b n. 2). Du Pineau indique que détourber est employé en Basse-Normandie (Saint-Lô (Manche) : “troubler, importuner”) au milieu du 18e s. Au 20e, le mot subsiste, sous la forme détourber, au Québec (1930 : “déranger (qn)”), en Basse-Normandie (“déranger dans son activité”), et sous la forme détorber dans le Cher (“faire perdre son temps”). Le type lexical déto(u)rber s’est très largement maintenu dans les patois, et notamment en Normandie, dans l’Ouest et le Centre (FEW 3, 101b-102a). Par ailleurs, on trouve deux formes apparentées à déto(u)rber s’expliquant par des adstrats : Québec (1930) distorber “déranger (qn)” < ang. disturb, lui-même emprunté (fin 13e, OED) à l’ancien français ; Vallée d’Aoste dist(o)urber “déranger” < it. disturbare.

[95] devanteau, devantier n. m. “tablier (de femme)” [comme dans la majorité des dictionnaires, ces dérivés de devant (< lat. ante) sont ici traités sous une seule entrée].DevanteauDevantier

Devanteau est apparu au début du 14e s. (1330 devantel, TLF), devantier à la fin du siècle. D’après Huguet (1935, 69), la disparition des dérivés de devant serait due à la concurrence de tablier, apparu au 12e s. (“dessus de table, nappe”) mais qui n’a acquis le sens “tablier” qu’au 16e (1530, TLF), entraînant la disparition des dénominations antérieures du tablier au cours du 17e s. Devantier, recensé sans marque dans Nic 1621, est déclaré “hors d’usage” par Rich 1680 ; devanteau , présent sans marque dans Nic 1621, est donné comme un “vieux mot” dans Fur 1690. Cependant, leur disparition n’est pas totale, puisque leur emploi est encore mentionné dans un registre “populaire” jusqu’à la fin du 19e s. (Li) : Fur 1690 précise que devanteau “n’est plus en usage que parmi le petit peuple” ; Trév 1743 ajoute que celui-ci “dit aussi devantier”. Devantier est encore donné comme “vieux et populaire” par Land 1843, et “vieux et familier” par Li. Devantier/-eau apparaît également dans des emplois spécialisés (techniques) au 19e : “protection mobile en cuir que l’on plaçait à l’avant des voitures pour protéger les jambes du cocher” (Rob 1985, TLF : “vieux”) ; “doublage qui protège le bas des huniers” (1863—Lar 1900 devantot ; Lar 1900-1948 devanteau). On trouve également une forme f. devantière, attestée d’abord dans le sens “tablier” (1595—Oud 1660, TLF), puis “jupe fendue par derrière que les femmes portent pour monter à cheval” (1610—Lar 1900 : “mot ancien”). Le qualificatif “populaire” appliqué à la persistance de devantier et devanteau semble plutôt à interpréter comme “régional”, d’après les précisions fournies par Fér 1787 (“On le dit encore en quelques provinces”) et Besch 1855 (“Tablier que portent les femmes du peuple, surtout les paysannes”) : ainsi, DG marque devanteau comme “vieilli et dialectal” ; Lar 1900 indique que devantier ‘se dit encore dans quelques départements”. La présence de devanteau et devantier dans le glossaire angevin de Du Pineau vers 1750 semble également indiquer un emploi plus régional que réellement populaire. On peut ajouter à ces témoignages les emplois de devantier, -eau relevés chez certains auteurs régionalistes : Sand (1849), Loti (1883) pour le 19e s. (TLF), et Pourrat (1922), Aymé et Giono au 20e (TLF, Rob 1985).

L’emploi régional actuel de devanteau et devantier couvre une large zone s’étendant en France sur l’Ouest, le Centre et l’Est, et prolongée en Amérique du Nord :

1. Type devanteau : Acadie, Basse-Normandie, Ouest (attesté depuis le milieu du 18e en Anjou, “aujourd’hui senti[...] comme appartenant au registre dialectal”), Puy-de-Dôme (Thiers : devantiau). Le type lexical est également connu des patois de l’Ouest, du Centre (jusqu’en Auvergne), et de l’Est jusqu’en domaine frpr. (FEW 24, 9). La forme devantiau révèle une phonétique dialectale.

2.1. Type devantier : Louisiane (1901), Ouest (attesté depuis le milieu du 18e en Anjou, “aujourd’hui senti[...] comme appartenant au registre dialectal”), Ardennes (var. d(i)vantrin), Champagne, Bourgogne (“Usuel partout (sauf dans l’Ouest), mais plus vivant en Saône-et-Loire”), Jura (Morez : “n’est plus employé”), Rhône (Beaujolais : devanti), Puy-de-Dôme (Thiers : devinté) Haute-Loire (mot très peu vivant), Isère (Villeneuve-de-Marc). Le type est également connu des patois du Centre, de Bourgogne, et à l’Est depuis les Ardennes jusqu’en frpr. (où il est attesté depuis le 16e s. : lyonnais davanty, cf. la forme employée dans le Beaujolais), ainsi que dans le Velay (FEW 24, 8b ; ALLy 1123).

2.2. Type devantière : Québec (1930), Allier, Indre, Puy-de-Dôme (Thiers). Le type est également connu des patois de l’Ouest et du Centre, en frpr. et occ. (FEW 24, 9a).

[62] ème n. m. “estimation, appréciation”.ème

è me, déverbal de l’afr. et mfr. esmer (< lat. aestimare), est attesté en français depuis le milieu du 12e s. (esme), dans le sens “estimation, jugement” (cf. la loc. faillir à son esme “se tromper dans ses prévisions”, 1180—16e, FEW). Il est employé jusqu’au 16e s. (cf. Hu) et même au début du 17e (présent dans Nic 1621 sans mention), puis il disparaît de l’usage au cours du siècle (et des dictionnaires : ø Rich 1680, Fur 1690, etc.). Au milieu du 18e s., il est indiqué comme vivant en Anjou par Du Pineau (“intention, désir”), et un siècle plus tard à Genève (Humbert 1852 emme, ème, eime : “esprit, intelligence, jugement”). Au 20e s., ème est employé en Haute-Loire (“jugeotte”, var. ime), Ardèche (Annonay : “jugement, discernement”) et dans la Drôme (“jugement, discernement”). Beaucoup de patois, notamment frpr. et occitans, connaissent le type ème, notamment avec le sens “intelligence, bon sens” manifesté par le régionalisme (FEW 24, 230b). Des formes régionales apparentées témoignent d’emprunts aux patois : Jura (Morez) èmou “esprit, intelligence” (attesté en 1894, aujourd’hui inconnu), Ardèche (Mariac) à l’èïme “approximativement” (< occ. eime). Dans le Velay (Haute-Loire), les régionalismes ème, ime conservent une connotation dialectale (Fréchet-Martin 1993).

[169] entrepris adj. “embarrassé, gêné, maladroit”.Entrepris

L’emploi adjectival du participe passé du verbe entreprendre (de prendre < lat. prehendere) remonte au milieu 12e s. (1150, FEW), et son évolution sémantique est liée à celle du verbe. Tout d’abord attesté avec le sens “en danger, pris au dépourvu”, entrepris est employé avec le sens “maladroit” à partir du milieu du 13e (1246, FEW). Ce sens est en relation avec “perclus (par la maladie)”, attesté ultérieurement (1382, FEW) et qui correspond à une extension métonymique. Ce sens secondaire domine au 18e s., de sorte que les dictionnaires inversent la filiation entre les sens, et font de “maladroit” un sens dérivé du plus fréquent “perclus” (cf. Trév 1743 : “On dit aussi dans le sens figuré qu’un homme est tout entrepris, lorsqu’il paraît inquiet, embarrassé de sa contenance, parce que cet embarras lui ôte en quelque façon l’usage de ses membres, & le rend comme perclus”). Entrepris “gêné, maladroit” est considéré comme “familier” à partir de Fér 1787 (repris dans Land 1843, Besch 1855, Li), qui témoigne également de l’absence de vitalité littéraire de ce terme (“Les Dictionnaires ne mettent pas cette signification, et je n’ai sous la main aucun auteur à citer”). Ce sens est encore mentionné dans la série des Lar jusqu’en 1948 (FEW), ce qui ne garantit pas sa vitalité, d’autant qu’il disparaît ensuite complètement des dictionnaires (ø Rob, GLLF, TLF). Il est indiqué comme étant encore en usage dans la deuxième moitié du 20e s. dans l’Est, du Jura à la Drôme : Jura (“Mot courant dans le Haut-Jura”), Haute-Savoie et Savoie, Rhône (depuis 1894), Loire (Poncins), Haute-Loire, Ardèche (Annonay), Isère (Villeneuve-de-Marc), Drôme. Le type entrepris dans le sens “maladroit, emprunté” est connu de certains patois de l’Est, depuis la Belgique jusque dans l’Hérault (FEW 9, 349b). Fréchet (1992 ; 1997) attribue la présence du régionalisme à Annonay et dans la Drôme au substrat occitan : Annonay entreprèis, -presa, Drôme entreprès.

[64] fiance n. f. “confiance”.Fiance

Fiance, dérivé de fier (< lat. *fidare) est apparu au début du 12e s., dans le sens “serment de fidélité, hommage” et “confiance”. D’usage très fréquent jusqu’au 16e s. (FEW 3, 502a n. 7), il est cependant concurrencé à partir du début du 15e s. (1408, TLF) par le concurrent confiance, emprunt au lat. confidentia aligné sur fiance. Fiance, encore employé au 17e s. (présent dans Nic 1621 sans mention), sort de l’usage au cours du siècle (entre 1600 et 1660 d’après HLF 3, 133 ; FEW le relève encore dans la 2e moitié du siècle : Pom 1671, Miege 1688) sans être cependant l’objet d’une quelconque censure. Fur 1690 le qualifie de “vieux mot”. Au milieu du 18e s., alors que Trév 1743 recense le mot comme “vieux” (= reprise de Fur 1690), Du Pineau signale son usage en Anjou. Au 20e s., le mot est employé en Amérique du Nord (Louisiane, Acadie), dans le Rhône (Beaujolais : mot très peu vivant ; déjà repéré à Lyon en 1894), en Suisse (Neuchâtel 1926 : “caution (dans un prêt)”, attesté depuis 1377) et en Vallée d’Aoste. Le type fiance est également présent dans un certain nombre de patois, notamment à l’Ouest (de la Normandie à l’Aunis ; cf. le témoignage de Du Pineau pour l’Anjou), dans le Centre, et dans la région frpr. (FEW 3, 498b-499a).

[65*] fioler v. pron. “s’enivrer”.Fioler

Fioler est un dérivé de fiole (lui-même un emprunt au lat. tardif fiola, d’origine gr.) apparu, comme v. intr., au début du 18e s. (1718, FEW ; aussi relevé au milieu du siècle par Du Pineau en Anjou) dans le registre populaire, dans le sens “boire avec excès”. Bien que déclaré “hors d’usage” par Land 1843 (mais simplement “familier” dans Besch 1855), il est répertorié par les dictionnaires d’argot dans la seconde moitié du 19e s. (Delvau 1867 : v. tr. ; les lexicographes suisses attestent de sa vitalité à cette époque et jusqu’au début du 20e s. : Humbert (1852) l’utilise pour gloser le régional fiouler, fiuler, et Pierrehumbert (1926), qui fait de même, le déclare un “mot peu usité” en Suisse) et est encore enregistré sans marque de vieillissement par Colin-Mével (1996). Il semble cependant vieux au 20e s. : il est signalé comme tel dans Lar à partir de 1901, opinion reprise par TLF, et est absent de la plupart des dictionnaires de la seconde moitié du siècle (Esn 1965, Cellard-Rey 1991, Caradec 1988, Rob, GLLF). Son emploi régional, généralement comme v. pron., est signalé en Bourgogne, dans le Rhône (depuis 1894), la Loire (le Pilat, var. s’enfioler ; fiole adj. “ivre”), dans le Puy-de-Dôme (Thiers : v. tr. ou pron.), la Haute-Loire (v. tr. et pron., var. fiouler, fiouver), en Ardèche (Annonay : v. tr. et pron.), dans l’Isère (Villeneuve-de-Marc : v. tr. et pron.) et la Drôme (v. tr. et pron.). Il est souvent vu comme un verbe issu du patois (par ex. Maza-Pushpam 1992 : < occ. fioula ; Vurpas 1993 : “Continuateur du patois fiolo”), où il est représenté surtout en frpr., mais aussi en Normandie, dans le Centre, l’Est, et en occ. (FEW 8, 377). Se rattachent à ce verbe l’adj. fiole “ivre”, attesté notamment dans le Pilat et à Mariac, et le verbe enfioler, attesté en Louisiane (1901 : “avaler prestement”), au Québec (1894 : “boire avec excès ; avaler prestement”), en Ardèche (v. tr. et pron.) et dans la Drôme. Ce dérivé de fioler peut également avoir été emprunté aux patois (Annonay, Mariac : < enfiolar  ; Drôme < enfioula).

[184] galer v. pron. “s’amuser”.Galer

Ce verbe (< abfrq. *wala “bien”, par l’intermédiaire d’un dér. gallo-roman *walare “se régaler de, se la couler douce”, DEAF), a d’abord été attesté en picard (1224 waler v. tr. “dissiper en plaisirs”), puis sous forme française et comme verbe intransitif au milieu du 14e s. (1350 “s’amuser, mener vie joyeuse”, DEAF ; la rareté des attestations en afr. proviendrait de la valeur affective des mots composant la famille issue de *walare, DEAF G1, 84). Il a aussi été employé comme verbe pronominal (1400, FEW). L’emploi pronominal disparaît après 1522 (Gdf), tandis que l’emploi intransitif subsiste jusqu’au début du 17e s. (encore présent sans mention dans Nic 1621), puis vieillit (ø Rich 1680, Fur 1690 ; Mén 1694 : “vieux mot, inusité”). Le verbe a été repris, par archaïsme, en 1870 par Rimbaud dans un pastiche de la langue de Villon, chez qui on trouve le verbe (GLLF ; d’où sa présence dans GLLF et Rob 1985). Du Pineau en signale l’emploi non stylistique à Lyon au milieu du 18e s. A l’heure actuelle, il est en usage dans la Loire (le Pilat), dans son emploi pronominal. Le type galer est également représenté dans certains patois, notamment en domaine frpr. où on le trouve principalement dans la Loire, au sud de Lyon (FEW 17, 473 ; ALLy 1001 ; il est attesté à date ancienne dans le Lyonnais, cf. DEPL) ; l’emploi pronominal y est fréquent.

[150] gargamelle n. f. “gorge, gosier”.Gargamelle

Gargamelle, apparu en fr. au 15e s. (1468 gargamele), est un emprunt au prov. gargamela “gorge, gosier” (< onomat. garg-), attesté dès le 13e s. Le terme apparaît dès l’origine comme populaire (au 16e, Rabelais l’emploie comme nom propre de la femme de Grandgousier). Marqué comme populaire par l’ensemble des dictionnaires des 19e et 20e s., il est employé jusqu’au milieu du 20e s. (encore dans Rob 1957 sans mention de vieillissement). Dans la seconde moitié du siècle, il vieillit : “Aujourd’hui rare et souvent remplacé par gargane ou gargue” (Cellard-Rey 1991 ; TLF, GLLF : “vieux”). Ce vieillissement n’est cependant pas mentionné par Rob 1985 (“familier”) et Colin-Mével (1996). Gargamelle est encore employé dans la partie sud-est de la France : à Lyon (depuis 1894), dans la Haute-Loire (“mot très peu vivant”), en Provence (depuis 1931) et jusque dans le Midi toulousain et pyrénéen (“courant dans le registre familier ou burlesque”). Le mot y est considéré non comme une survivance du fr. populaire (cf. TLF : “vieux, populaire ou régional (Provence)”), mais, étant donné l’origine du mot fr., comme un emprunt aux patois, le type gargamelle étant bien connu du frpr. et de l’occ. (FEW 4, 55b ; cf. Blanchet 1991 : “sans doute du provençal gargamello, même sens. Mot emprunté par le français au provençal au 16e siècle et tombé en désuétude en français commun”).

[58] haim n. m. “hameçon”.Haim

Haim (d’abord graphié ain, puis haim par conformité à l’étymologie), représentant du lat. hamus “hameçon”, est attesté en français depuis la fin du 11e s. (TLF). D’après Huguet (1935, 33), son “peu de consistance” phonique entraîne la création d’un dérivé hameçon (1174-87 ameçon ; fin 13e hameçon), qui en viendra, “après une longue concurrence”, à évincer le terme simple. Haim, encore vivant au début du 17e s. (encore dans Nic 1621 sans mention), est considéré comme ayant été supplanté par hameçon par Fur 1690 (de même, Rich 1680 ne donne que hameçon), qui précise que le terme se maintient régionalement : “En quelques lieux on dit encore haim”. La régionalisation du terme semble corroborée tout au long du 18e s. : la série des Trév reprend l’opinion de Fur 1690, haim manque à Fér 1787, et Du Pineau signale le mot (aim) comme propre à l’Anjou. Cependant, haim réapparaît comme terme de pêche usuel dans les dictionnaires du 19e s. (Land 1843, Besch 1855) ; Li introduit une restriction à l’emploi de ce terme, qui était probablement dans les autres dictionnaires un régionalisme caché (considéré comme un terme technique commun) : “ce terme est beaucoup employé par les pêcheurs maritimes sur les côtes de Normandie ; il l’est aussi dans d’autres provinces” (d’où dans DG la mention : “vieilli et dialectal”). Haim a survécu à la fin du 19e s. dans le Doubs (1881) ; au 20e s. il subsiste en Louisiane (1901) et au Canada (Québec 1930 ; Acadie, attesté depuis 1636), ainsi que dans les patois de l’Ouest (de la Picardie à l’Aunis), et du Centre, principalement (FEW 4, 380).

[147] marm(o)user v. intr. “parler entre ses dents, marmonner”.Marmouser Marmuser

Issu de la base onomatopéïque marm- exprimant le murmure, marmuser (dont la finale -muserserait due à l’influence de muser, museau, TLF) est apparu au 13e s., et la forme marmouser à la fin du 15e (1480, TLF). Marmouser a disparu dès le 16e s. (Gdf), tandis que marmuser est encore attesté au 17e s. (1674, Gdf) et même au 18e chez Saint-Simon (d’après TLF, il a disparu avant 1755 ; pas plus que marmouser, il n’a été repertorié par les dictionnaires du 17e : ø Nic 1621, Rich 1680, Fur 1690, Mén 1694). Marmouser est signalé dans la 2e moitié du 19e dans le dictionnaire d’argot de Delvau (1867, FEW) dans le sens “chanter comme l’eau qui bout”). Au 20e, le verbe est recensé dans des usages régionaux en Acadie (1925 : marmuser, marmouser) et dans le Midi toulousain et pyrénéen (marmuser v. tr. et intr.) [le v. pron. marmouser, attesté en Lorraine dans le sens “se barbouiller”, est à classer avec les mots des patois lorrains connaissant ce même sens, FEW 6, 358b]. Ces types lexicaux sont également représentés dans les patois de l’Ouest de la France, depuis la Picardie jusque dans le Sud-Ouest occitan, dans le Centre et l’Est (Lorraine, Bourgogne : FEW 6, 357b-358a).

[117] mauvaiseté n. f. “caractère mauvais”.Mauvaiseté

Ce dérivé de mauvais (< lat. *malifatius) est apparu au début du 12e s. (1120 malvaistié “méchanceté, perversité de la nature humaine, volonté de faire le mal” ; 2e moitié 12e mauvaistié ; 1580 mauvaisetié ; 1701 mauvaiseté). Il est employé jusqu’au début du 17e s. (encore dans Nic 1621 sans mention), mais à cette époque, “fortement concurrencé par méchanceté” (TLF ; méchanceté est apparu en 1380), il amorce son déclin : Ménage le déclare “banni des romans, des madrigaux, des élégies, des sonnets et des comédies” (HLF 3, 115), il n’est “plus en usage” (Mén 1694 ; pour Fur 1690, il est devenu “un vieux mot hors d’usage”). Il réapparaît au 19e s. : il est notamment employé en littérature (par ex. par Sand, Balzac), mais il apparaît aussi comme un néologisme (Mercier 1801, TLF), considéré à l’occasion comme un terme populaire (BL 1808, FEW), du fait qu’il est toujours recréable à partir de la base mauvais. Ce regain de vitalité le fait recenser dans les dictionnaires du 19e et du 20e s. (Land 1843 et Besch 1855 : “vieux” ; LiS : “vieilli” ; Lar 1902—1931 sans mention, mais repris à Balzac), et amène l’appréciation de “rare” chez Rob 1985 (au 20e, on le trouve notamment chez Valéry et Beauvoir, peut-être comme re-création). Le terme est mentionné comme régionalisme dans la première moitié du siècle en Amérique du Nord (Louisiane 1901, 1936 ; Québec 1894, 1930 ; Acadie 1925). Le type lexical mauvaiseté est connu des patois d’oïl, dans tout l’Ouest jusqu’en Charente, dans le Centre (présence à laquelle on peut sans doute rattacher les emplois de mauvaiseté chez Sand et Balzac) et dans l’Est, ainsi qu’en occitan (FEW 6, 98a).

[10] nifler v. intr. et tr. “aspirer par le nez ; sentir”.Nifler

Nifler (d’une base onomatopéique niff- évoquant le bruit fait en reniflant) est apparu dans la première moitié du 14e s. (1326, FEW). Il a été concurrencé deux siècles plus tard (1530, FEW) par un dérivé préfixal, renifler, qui a fini par le supplanter. Présent sans marque chez Nic 1621, nifler vieillit au cours du siècle : il est qualifié de “vieux” par Oud 1660, et disparaît des dictionnaires après Miege 1677 (FEW ; ø Rich 1680, Fur 1690, Mén 1694). Après deux siècles de silence, le terme réapparaît dans des inventaires de régionalismes, d’abord à Genève (1852) puis à Lyon (1894) et en Louisiane (1901). Au 20e s., nifler est employé dans deux aires éloignées : dans le Nord : Pas-de-Calais (Artois, Béthune), Flandre wallone, Somme (Amiens), et dans le Sud-Est : Isère (Villeneuve-de-Marc, La Mure), Ardèche (Mariac), Drôme, Hautes-Alpes (Gap : “usuel”), Provence, et un prolongement en Suisse (Neuchâtel 1926 : “Mot actuellement peu usité”). Le type lexical nifler est présent dans de nombreux patois de France, notamment dans le Nord, la région frpr. et le domaine occitan (FEW 7, 123 ; GPFP §6693) ; le régionalisme est présenté comme un emprunt au substrat par Maza-Pushpam (1992) et Blanchet (1991 ; “sans doute du provençal nifla”).

[99] nuisable adj. “qui est de nature à nuire”.Nuisable

Nuisable (1e moitié 12e), dérivé de nuire (< lat. nocere), est la forme ancienne de l’actuel nuisible, qui en est une réfection, d’après le lat. nocibilis, datant de la fin du 14e s. (1370-72, FEW). Nuisable a été usité jusqu’au milieu du 16e s. (1556, Gdf ; non répertorié dans les dictionnaires du 17e, notamment Nic 1621 et Rich 1680 qui indiquent en revanche nuisible), où il a cédé la place à son concurrent. Dépourvu de toute tradition lexicographique, le terme est répertorié dans la première moitié du 20e siècle comme un régionalisme propre au français d’Amérique (Louisiane 1901 ; Québec 1930 ; Acadie 1925). Il a également survécu dans les patois des régions d’origine des colons acadiens et québécois (notamment Normandie, Anjou, Saintonge, cf. FEW 7, 161b).

[100] oubliance n. f. “oubli”.Oubliance

Ce dérivé de oublier (< lat. *oblitare) est apparu au début du 12e s. (ubliance). Encore bien employé au 16e (cf. Hu) et début 17e (présent dans Nic 1621 sans mention), il vieillit au cours du siècle, comme l’atteste Fur 1690 : “Il commence à vieillir & n’est plus en usage que dans ces phrases : Il n’a point fait cela par malice, mais par oubliance, par pure oubliance”. Déjà Rich 1680 ne l’a pas inclus dans sa nomenclature (mais mentionne oubli), et il disparaît de l’usage au profit d’un autre dérivé de oublier, oubli (1100 obli), avec qui il était en concurrence depuis plusieurs siècles (Huguet 1935, 137-138). Nisard (1872, 295) note la réapparition du terme en français populaire en 1790 (Journal de la Râpée 4), attestation isolée (qui relève peut-être d’une suffixation populaire/argotique à partir d’oublier, le suffixe -ance étant assez productif en argot, cf. béqueter “manger” > béquetance, rouspéter > rouspétance, gourer >gourance, TLF s.v. -ance, rem. 2). Le mot est à nouveau signalé, comme régionalisme, à Lyon fin 19e (1894), et au 20e en Louisiane à la même période (1901). En ce qui concerne cette attestation, il faut noter que les parlers de l’Ouest (Normandie, Saintonge) et du Centre ont conservé le type oubliance (FEW 7, 272b), survivance à laquelle remonte déjà l’emploi d’oubliance par G. Sand en 1848 (Rob 1985).

[171] platelée n. f. “contenu d’un plat”.Platelée

Ce dérivé de plateau (d’après sa forme ancienne platel, au sens de “bassin, écuelle”) est apparu au milieu du 15e s. (1448, FEW [qui signale aussi une attestation antérieure isolée de 1280]), et a disparu à la fin du 17e s. (Miege 1688, FEW ; ø Nic 1621, Rich 1680, Fur 1690, Mén 1694 ; il ne semble repris dans aucun dictionnaire postérieur), sa disparition n’étant pas dépendante de son remplaçant actuel platée, de formation plus récente sur plat (1798). Platelée est relevé dans l’usage de Lyon au milieu du 18e s. (Du Pineau), et à Genève au milieu du 19e (Humbert 1852, qui le marque comme “terme de vieux français”). Au 20e s., le mot est employé dans une petite zone de l’Est de la France délimitée au nord par le Jura (Morez), et couvrant le Rhône, la Loire (le Pilat), l’Ardèche (Mariac), la Drôme et l’Isère (Villeneuve-de-Marc, La Mure). Le type platelée est connu de certains patois, d’une part en Wallonie et Picardie, de l’autre dans l’Est, à partir de la Marne jusque dans le Dauphiné (FEW 9, 47a) ; c’est à ce substrat que Fréchet (1997, occ. platelado) et Maza-Pushpam (1992, occ. platela) attribuent l’origine du régionalisme.

[12] ramon n. m. “balai”.Ramon

Ce dérivé de raim “rameau” (12e—1636, FEW ; < lat. ramus) est apparu au début du 14e s. ; il a lui-même servi de base au verbe ramoner (1210, TLF) d’abord au sens “balayer”, le sens moderne “nettoyer le conduit d’une cheminée” n’apparaissant qu’au début du 16e s. (1516, TLF). Ramon, comme terme général pour “balai”, vieillit vers le milieu du 16e s. (cf. Gdf) ; au début du 17e, il est déjà signalé comme un terme propre à la Picardie (Nic 1621, repris par Mén 1694 : “Vieux mot [...] encore en usage dans la Picardie”, et encore Lar 1904 et 1932, qui l’indiquent en Flandre). Cependant, le terme subsiste, jusqu’au 18e s. au moins, dans des acceptions techniques : “balai servant à nettoyer un pressoir” (Dup 1573—Trév 1771, FEW), “balai pour balayer les cours et les rues” (Fur 1690—Trév 1752) ; comme terme de jardinage (“balai pour nettoyer les allées d’un jardin”), le mot est attesté dans la seconde moitié du 19e s. (AcC 1842—DG : “vieilli et dialectal”, encore mentionnée par Fén 1970 sans marque). Il est possible que cette dernière acception soit déjà un régionalisme. Quant à ramoner, il a perdu son sens ancien “balayer” à la fin du 17e s. (Miege 1688, FEW). Au 20e s., ramon est encore usité dans le Nord de la France : Nord-Pas-de-Calais (“balai de cour ; balai”, et ramoner “balayer” : “terme plaisant”), Ardennes (aussi ramoner), Champagne et Lorraine (Meuse, Pays-Haut, aussi ramoner). Les patois de ces régions ont également conservé le type ramon (FEW 10, 41b).

[144] reciner v. intr. “faire une collation après le grand repas du soir”.Reciner

Reciner, dérivé de l’afr. cener “prendre le repas du soir” (12e—13e s., FEW ; représentant du lat. cenare), est apparu au début du 14e s. Il vieillit au cours du 17e s. : il est encore indiqué sans mention dans Nic 1621 et le Dictionnaire français-allemand-latin de Duez 1664 (d’après Gdf), ainsi que dans Mén 1694 (comme synonyme non marqué de regoubillonner) ; Fur 1690 le donne comme un “Vieux mot qui [...] étoit en usage chez les Valets et petites gens”. Il est encore indiqué comme “vieux” dans la série des Trév et Besch 1855, avec des citations du 16e. Brunot (HLF 6, 1019) indique que le Traité du stile de Mauvillon (1751) mentionne reciner comme un mot pouvant encore servir dans le genre marotique, ce qui marque son vieillissement à cette époque. Le verbe apparaît à la fin du 19e s. (1881) dans un inventaire de régionalismes du Doubs : Beauquier indique qu’il est employé à Montbéliard sous la forme recigner (“souper une deuxième fois”), qui correspond à la phonétique patoise (cf. FEW 2/1, 578 : Montbél. recignîe). Au 20e s., reciner est encore usité dans les Ardennes (Tamine 1992 : “Mot conservé de l’ancien français”), en Champagne et en Lorraine (aussi récinon “repas pris à la fin d’une veillée”). Le type lexical est également connu des patois de l’Est, depuis la Champagne jusqu’en frpr. (FEW 2/1, 578).

[54] rôtie n. f. “tranche de pain grillée”.Rôtie

Rôtie, participe passé f. substantivé de rôtir (< germ. *raustjan), est apparu dans la 1e moitié du 13e s. (rostie ; 1578 rôtie, FEW) dans le sens “tranche de pain grillée”. Le mot a également été employé (1765, TLF) dans le sens plus général “tartine (non grillée)”, mais ce sens vieillit à la fin du 19e s. (sans mention dans Besch 1855, tandis que Li précise : “On dit mieux en ce sens une tartine” ; ø DG et dictionnaires ultérieurs). Rôtie est encore employé pour désigner la tranche de pain grillée dans la première moitié du 20e s. (encore recensé par Rob 1964 sans mention), mais a vieilli depuis (TLF et Rob 1985 : “vieilli”), remplacé par pain grillé (Rob 1985). Le terme se maintient cependant régionalement (cf. Rob 1985) : Québec (d’après Depecker 1992 et Rob 1985 : “courant au Québec, où [rôtie] désigne le pain de mie grillé, appelé toast en France”), Ouest, Indre-et-Loire, Allier. (La rôtie se prête à des usages divers selon les endroits, comme le décrit l’article du TLF : “Tranche de pain rôtie sur le gril ou devant le feu, frite au beurre ou à l’huile dans la poêle, que l’on consommait nature ou garnie pour accompagner le petit déjeuner ou le goûter, les coupes de vin servies au début du repas, les soupes et ragoûts ou les volailles sous forme de canapé” ; à l’Ouest : “tranche de pain grillé trempée dans du vin rouge chaud et sucré” ; en Indre-et-Loire : “tranche de pain grillée trempée dans du cidre doux tiède, ou du vin chaud et sucré”, “soupe au vin” ; dans l’Allier : “pain trempé dans du vin sucré”). Dans une portion du Sud-Est, on emploie rôtie dans le sens général “tartine (non grillée)” : Rhône (depuis 1894 [en 1750, Du Pineau note l’emploi : “tranche de pain grillée”, sens du fr. commun de l’époque]), Isère (Villeneuve-de-Marc), Drôme. Le type lexical rôtie est largement représenté dans les parlers d’oïl et frpr., et dans quelques parlers occitans (FEW 16, 683 ; ALJA 700). Le régionalisme est attribué à un emprunt au patois dans le Rhône (Vurpas-Michel 1992 ; Vurpas 1993) et dans la Drôme (< occ. rostida). Certaines formes révèlent ailleurs l’influence des patois : en Indre-et-Loire et dans l’Allier, le régionalisme apparaît aussi sous la forme routie, phonétique connue des patois du Centre ; dans l’Ardèche (Annonay), rôtie a le sens “viande grillée”, tout comme le correspondant occitan rotilhaa ; dans les Pyrénées-Orientales on trouve le mot apparenté rouste n. f. “tranche mince de ventrêche dorée à la poêle” (< cat. rosta, Camps 1991) ; dans le Sud-Ouest, roste n. f. “tranche de pain grillée trempée dans du vin chaud et sucré” (< substantif verbal gascon de roustir “rôtir”, Boisgontier 1991) .

[111] ru n. m. “ruisseau”.Ru

Le français ru (< lat. rivus “ruisseau”), est attesté à partir de la fin du 12e s. (1165 riu ; 1180-90 ru, TLF) dans le sens “petit ruisseau”, et spécialement (à partir du 17e s.) “canal d’un petit ruisseau” (définition introduite par Fur 1690, et reprise notamment par Trév 1743, Fér 1788, Land 1843, Besch 1855, Li ; cf. déjà Nic 1621 : “canal d’eau partant d’une fontaine”). Ru est attesté sans mention dans les dictionnaires jusqu’au 19e s. Dans la 2e moitié du siècle, le terme apparaît cependant comme régional (cf. déjà son inclusion parmi les Mots lyonnois de Du Pineau en 1750) : Li note une utilisation régionale (“Dans la basse Bourgogne, ruisseau provenant de source”) et DG le marque comme “dialectal” (mais il continue à être répertorié sans marque dans la série des Lar). Son vieillissement en fr. commun est affirmé dans la 2e moitié du siècle : terme uniquement littéraire et peu usité d’après GLLF (cf. aussi Rob 1964 et 1985 qui considèrent ru comme un terme littéraire jusqu’au 16e s.), il est indiqué comme survivant régionalement par Rob 1964 (“subsiste comme terme régional et rural”), Rob 1985 (“Vieux ou régional”) et TLF (“Vieilli ou régional”), qui signale également que “Le mot reste vivant dans [...] les toponymes”. L’emploi régional du mot se localise dans l’Est : Ardennes (var. ri), Champagne (“Dans certaines régions”), Lorraine (d’après TLF : rupt “petit ruisseau, torrent (dans les Vosges)”, non confirmé par Lanher-Litaize 1990), Jura (Morez : attesté en 1894, “n’existe plus qu’en toponyme”), Isère (Vourey : ri, “usuel. Forme dialectale”). Le type lexical ru est attesté à date ancienne dans plusieurs dialectes, notamment du Nord et de l’Est, et s’est maintenu à l’époque contemporaine dans les patois de toute la France (FEW 10, 422).

[182] soulas n. m. soulagement, consolation”.Soulas

Le fr. soulas (< lat. solacium “consolation, réconfort”), est attesté à partir de la fin du 12e s. dans son sens étymologique (1090 solaz “soulagement, réconfort”), puis dans le sens de “plaisir, divertissement” (1165 solas ; 13e soulas). Le mot, dans ses deux sens, est encore employé au 16e et début 17e (encore présent sans mention dans Nic 1621) mais vieillit au cours du 17e : il est considéré comme “vieux” par Rich 1680 (et Fur 1690), qui précise qu’il peut encore être employé dans le style burlesque (“Vieux mot qui ne peut entrer que dans le burlesque & le stile le plus simple”, repris dans Trév 1743). Le terme est encore mentionné comme vieux mot dans les dictionnaires postérieurs au 18e s. (par ex. Land 1843) et connaît quelques emplois littéraires (notamment chez Rousseau, puis Verlaine en 1896, Bernanos en 1943, TLF ; chez Gide, Rob 1985), ce qui lui vaut la mention “archaïsme littéraire” dans Rob 1985. Au 20e s., soulas est encore employé en Suisse (Neuchâtel 1926 : “consolation, réconfort”, attesté depuis 1539 : l’emploi chez Rousseau relevé dans FEW 12, 33a est sans doute également un régionalisme) et dans le Gard (“divertissement, plaisir” ; loc. verbale tenir soulas “tenir compagnie, distraire”). Le type soulas est connu de plusieurs patois, notamment frpr. (Pierrehumbert mentionne la forme patoise sola) et occitans (FEW 12, 33a ; Camps 1991 donne l’occitan solas comme étymon du régionalisme. De l’occitan est également issu le terme argotique soulasse n. m. “jeu ; joueur, escroc”, Esn 1965).

[146] taisson n. m. “blaireau”.Taisson

Ce représentant du lat. *taxone, accusatif de taxo “blaireau” (emprunté au germanique) est attesté en français depuis la fin du 12e s. (1180 taissun ; 1247 taisson). Il entre en concurrence dès le 14e s. avec blaireau (1312 blarel, peut-être issu du gaul. *blaros “tacheté de blanc”, TLF), qui relègue rapidement taisson au rang de concurrent régional : dès le 16e s., Scaliger (cité dans Mén 1750) signale que les Gascons appellent taisson l’animal que les “Gaulois” nomment cochon. Quoique taisson soit encore bien employé au 16e s., il est possible qu’il s’agisse déjà là d’usages régionaux (cf. Hu, qui cite une majorité d’auteurs originaires du Centre et du Sud de la France, dont Olivier de Serres, Ardéchois, qui fournit sa dernière attestation, sans doute régionale). La régionalisation de taisson semble consommée au début du 17e s. (cf. Nic 1621 : “Une beste qu’on appelle taisson [...] Aucuns l’appellent grisant, les autres blareau”), et est attribuée aux régions du Sud exclusivement (Mén 1694 indique le Languedoc ; Du Pineau en signale cependant l’emploi à Lyon en 1750), localisation que l’on retrouve dans les dictionnaires du 20e s. (GLLF : “Nom usuel du blaireau dans le Midi de la France” ; Rob 1985 : “Régional (Midi)”). Bien que disparu de la langue commune (Trév 1721 recense le mot dans une traduction de la Bible, mais note : “On ne sçait ce que c’est”), taisson continue à être recensé sporadiquement dans les dictionnaires sans mention (Fér 1788, qui est Provençal ; Besch 1850 ; Li : “autre nom du blaireau”), puis est noté de nouveau comme régionalisme (à partir de Lar 1875 : “Nom vulgaire du blaireau dans le Midi” ; DG : “Dialectal”). Taisson est encore employé en français de l’Est : Bourgogne (“Usuel un peu partout, surtout en Côte-d’Or (avec quelques variantes phonétiques [non précisées]), surtout chez les chasseurs”), Isère, Drôme, Provence. Le type taisson s’est maintenu dans de nombreux patois de France, notamment à l’Est depuis la Champagne jusqu’en Provence (FEW 13/1, 145). Plusieurs auteurs attribuent la présence du régionalisme à un emprunt, notamment dans la Drôme (< taisson) et en Provence (< prov. teissoun). On trouve également des formes régionales apparentées à taisson (dont la plus fréquente est tasson) qui témoignent d’emprunts aux patois : Ardennes tachon, tasson, Doubs (1881) tasson, Jura (Morez) tasson (attesté depuis 1894, < lou tasson), Suisse tasson (Genève 1852 ; Neuchâtel 1926, attesté depuis 1708), Vallée d’Aoste tachon, tèchon, Haute-Provence teïsson, Midi (Nouvel 1978) tessou “jeune cochon (< occ id.).

[179] ventraille n. f. “viscères (d’un animal)”.Ventraille

Ce dérivé, sur le modèle d’entrailles, de ventre (< lat. venter) est apparu au 12e s. dans le sens “intestins (des animaux)”. Il est le plus souvent employé au pl., mais apparaît parfois au sg. ; aux 15e et 16e s., il est également utilisé pour désigner les intestins des hommes (FEW 14, 249 n. 5). Le mot sort de l’usage au milieu du 16e s. (1549, Gdf), et n’est pas répertorié par les dictionnaires des 17e et 18e s. Le mot est attesté dans un emploi isolé en 1679 (Gdf), et est consigné comme “vieux mot” dans Besch 1855 (qui en fait curieusement un m.). Il est signalé à Genève en 1852 (sg.), puis réapparaît sans marque dans la série des Lar (depuis 1904, encore dans GLLF), avec le sens “entrailles, intestins (particulièrement d’un lapin)”, mais est déclaré “vieux ou régional” par Rob 1985, et “vieilli ou régional (Centre)” par TLF (s.v. ventre, qui indique le mot d’après le témoignage des dictionnaires du 20e s., probablement les Lar). Ventraille est encore employé, au sg., à Lyon (attesté depuis 1894) et en Suisse (Neuchâtel 1926). Le type ventraille est représenté dans certains patois, notamment dans le Centre et l’Est (dont frpr., par ex. Lyon vintrailli), ainsi qu’en occitan (FEW 14, 249).

[75] vergogne n. f. “sentiment de honte”.Vergogne

Ce représentant du lat. verecundia (“crainte respectueuse, pudeur”, et “honte devant une chose blâmable” à époque impériale), est attesté en fr. depuis le début du 12e s. (1100 vergoigne ; 1553 vergogne, TLF), d’abord dans le sens “sentiment de honte”, puis “pudeur, décence”. Vergogne est employé à partir de la fin du 16e s. dans la locution sans vergogne “sans honte, sans scrupule” (1588 sans vergnongne, TLF). Dans la deuxième moitié du 17e s., le terme est qualifié de “vieux”, et ne peut plus être employé que comme terme de plaisanterie : “Il ne trouve sa place que dans le burlesque, dans le stile le plus bas & le plus simple, comme dans la Comédie, l’épigramme, la Satire & les discours de raillerie” (Rich 1680) ; “ne s’emploie plus que dans le burlesque” (Fur 1690). S’agit-il là d’un vieillissement réel, ou d’une censure de la part des grammairiens ? Il semble en fait que les descripteurs confondent vieillissement avec emploi familier, et que cette situation perdure jusqu’au 20e s. La dégradation de vergogne dans le style bas ne l’empêche pas d’être encore employé au 18e, malgré les jugements de vieillissement qui sont rendus périodiquement (Trév 1743 par ex. ; Du Pineau répertorie vergogne “modestie” comme angevinisme vers 1750, preuve que le terme était soit vieux, soit bas) : Mén 1694 l’inclut sans marque, et un siècle plus tard, Fér 1788 atteste encore de sa vitalité, en remarquant judicieusement : “Il y a longtemps qu[e l’Académie] dit qu’il vieillit ; de sorte qu’il doit être bien vieux. On l’emploie pourtant encore dans le style plaisant ou moqueur”. La situation perdure au 19e s. : Land 1843 déclare qu’”Il est familier et vieillit”, et Besch 1855 lui appose la remarque : “Vieux et peu usité”, qui atteste paradoxalement de la survie du mot. Il semble que le mot soit encore employé dans un registre familier à la fin du 19e s. (Li : “Terme autrefois très noble et qui aujourd’hui est devenu très familier” ; DG : “familier”) et même au début du 20e (encore présent dans Lar 1933 sans mention ; on le trouve chez des écrivains comme Zola ou Gide). Vergogne est (enfin !) tout à fait sorti de l’usage de la deuxième moitié du 20e s. (Rob 1964 : “vieux ou archaïque”), excepté dans la locution sans vergogne, dans des emplois littéraires relevant de l’archaïsme, et dans des emplois régionaux (cf. Rob 1985 : “vieux, littéraire ou régional” ; TLF : “régional (notamment Sud-Est)”) : on le trouve, dans le sens “honte”, dans le Rhône (Beaujolais : loc. verbale faire vergogne “déplaire, faire honte”), l’Isère (Villeneuve-de-Marc : loc. verbale faire vergogne “inspirer du dégoût” ; La Mure “honte ; parties sexuelles”), la Drôme, l’Ardèche, la Haute-Loire et dans le Midi (Nouvel 1978). On trouve aussi l’adj. vergogneux “honteux” (1170-1669, FEW) en Haute-Savoie et Savoie (“honteux ; qui fait des manières”), dans la Drôme, à Annonay, et en Haute-Loire. Le type vergogne a été conservé par les patois de l’Est, depuis la Bourgogne jusqu’en Provence, et ailleurs en occitan (FEW 14, 280b-281a). Le régionalisme est considéré comme issu du patois en plusieurs points : Drôme (< occ. vergougno, et vergogneux adj. < vergougnous), Velay (< vergonha). Certaines formes régionales apparentées à vergogne et vergogneux témoignent quant à elles directement d’emprunts aux patois : Ardèche (Mariac) vergougnoux adj. et n. “timide, honteux” (< vergougnous), Haute-Loire vergougnoux adj. “qui éprouve un sentiment de honte” (< vergonhas) ; dans le Midi (Nouvel 1978), on trouve aussi la forme bergogne qui témoigne d’une erreur de francisation à partir de l’occ. vergonha (cf. bergne/vergnevernhe “aulne”).

[4] septante adj. numéral “sept fois dix”.Septante

[2] nonante adj. numéral “neuf fois dix”.Nonante

[120] octante adj. numéral “huit fois dix”.Octante

[177] huitante adj. numéral “huit fois dix”.Huitante

Ces quatre adjectifs témoignent de la numérotation régulière par dizaines héritée du latin, qui a été remplacée par les formes irrégulières soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt-dix.

Septante est issu du lat. pop. septanta (1220 setante , forme régulière ; 1265 septante, forme refaite d’après le latin). Il est concurrencé dès le 16e s. par soixante-dix, et le grammairien Palsgrave (1530) atteste que le peuple préfère cette façon de compter, septante étant surtout utilisé par les gens instruits (HLF 2, 309). Au 17e, il est condamné par Vaugelas, qui en restreint son emploi au domaine religieux (1647, 420 : “Septante n’est Français, qu’en un certain lieu où il est consacré, qui est quand on dit la traduction des septante. Hors de là, il faut toujours dire soixante-dix”, repris par Rich 1680). A la fin du siècle, il n’est plus employé que dans le sens religieux (pour désigner les 70 auteurs de la traduction de la Bible hébraïque en grec) ; on le trouve encore employé au 18e (par ex. par Voltaire en 1763, Li), mais son emploi est dénoncé comme gasconisme à Toulouse en 1766. Au 19e, il est signalé à Genève (1852) ; Li déplore sa perte (“bien préférable à soixante-dix, puisqu’il est dans l’analogie de quarante, cinquante, soixante”) et indique qu’il est toujours en usage dans le Midi. On le trouve encore employé, au 20e s., en Acadie (1925 : “dans la bouche de quelques vieillards du Sud de la Nouvelle-Ecosse” ; mais toujours employé en 1946-47), Belgique (où il est “officiel”, d’après Grévisse 1986, §573), “à différents endroits de l’Ouest et du Centre” (d’après TLF, cf. son usage chez Sand au 19e, non confirmé par les dictionnaires régionaux concernés), en Lorraine (“perçu comme vieilli”), dans le Jura (Morez : “Cette façon de compter est en voie de disparition”), en Suisse (où il est “officiel”, d’après Grévisse 1986, §573 ; cf. Humbert 1852 : “d’un usage universel dans la Suisse française” ; Neuchâtel 1926, attesté depuis 1741 : “d’un usage général en Suisse romande”), dans le Rhône (depuis 1894), la Loire (le Pilat), la Drôme, l’Isère (Villeneuve-de-Marc), et en Vallée d’Aoste (“d’un emploi très fréquent”). Le type septante est connu des patois wallons et picards, dans tout l’Est jusqu’en Provence, et en occitan (FEW 11, 484b).

Nonante est le représentant du lat. nonaginta (1120 nunante, TLF) ; dès le 16e s., il est concurrencé par quatre-vingt-dix, en faveur de qui l’opinion commence à se tourner : c’est ainsi que l’un des premiers grammairiens français, Meigret, désapprouve nonante (HLF 2, 309). Encore en usage au début du 17e (encore présent dans Nic 1621 sans mention), il est condamné par Vaugelas (1647, 420 : “il faut toujours dire [...] quatre-vingt-dix, & non pas nonante”, suivi par Rich 1680), et sort de l’usage général, hormis en arithmétique où on continue à l’utiliser par commodité (cf. Fur 1690, Ac 1694 : “dans le discours ordinaire on dit quatre-vingt-dix” ; Trév 1743 ; Molard 1810, qui condamne son usage à Lyon, l’admet cependant encore pour le calcul : “On se sert de ce terme en arithmétique ; mais, dans le discours, on doit dire quatre-vingt-dix”). Fér 1787 témoigne de la persistance de l’emploi du terme chez certains auteurs du 18e (il cite Bullet), mais à l’époque, son emploi est déjà un régionalisme : Desgrouais le note à Toulouse en 1766, puis Molard à Lyon en 1803). Au 19e, le terme a définitivement été remplacé par quatre-vingt-dix (Land 1843), mais Li indique qu’il est cependant resté employé dans certaines régions (“il est resté très-usité en Suisse, en Savoie, et dans le midi de la France”) ; Humbert l’indique en Suisse en 1852. Nonante est encore employé au 20e s. en Acadie (1925 : “dans la bouche de quelques vieillards du Sud de la Nouvelle-Ecosse”, “a presque complètement disparu ici” ; opinion non corroborée par Massignon 1962 qui l’indique comme vivant, et note les var. neuftante, neunante), Belgique (où il est “officiel”, d’après Grévisse 1986, §573), Lorraine, dans le Jura (Morez), en Suisse (où il est “officiel”, d’après Grévisse 1986, §573, cf. déjà Humbert 1852 : “d’un usage universel en Suisse” ; Neuchâtel 1926, var. vulgaire noinante), dans le Rhône (depuis 1803, var. noinante), la Loire (le Pilat), l’Isère (Villeneuve-de-Marc ; La Mure, var. noinante), en Vallée d’Aoste (“d’un emploi très fréquent”), et dans la Drôme. Le type lexical nonante s’est conservé dans certains patois, notamment à l’Est depuis la Lorraine jusqu’en Provence (FEW 7, 187a).

Huitante et octante sont les représentants du lat. octoginta, la première étant une forme régulière (1140 oitante) tandis que la seconde (fin 13e) est une réfection de huitante sur le modèle lat. octoginta. Huitante a été employé jusqu’au début du 17e s. (1616, Gdf), mais est concurrencé dès le 16e s. par quatre-vingt , et se raréfie au 17e (sans être cependant condamné par les grammairiens) pour se cantonner dans un usage mathématique (Oud 1660 : “Huictante est un terme d’arithmétique”, dans HLF 3, 286). Cet usage se maintient jusqu’à la fin du 18e s. au moins (cf. Fér 1788 : “Quelques-uns en calculant disent huitante”), mais huitante est signalé comme gasconisme à Toulouse par Desgrouais dès 1766, et au 19e, Li ne peut que déplorer la perte d’un mot s’inscrivant dans la série régulière des cinquante, soixante, etc., tandis qu’il est signalé en usage en Suisse (Genève 1852). Il est encore en usage au 20e s., mais de façon restreinte, dans certaines régions : (“A la différence de septante et de nonante, ce mot n’est plus usité en Belgique, où il l’a été avant le 19e s. comme emprunt au wallon ûtante”, Rob 1985), Suisse (Neuchâtel 1926, attesté depuis 1584, var. huictante vieillie ; Depecker 1988 : “encore usuel, moins toutefois que septante et nonante. Les trois ont été rendus obligatoire par l’Administration fédérale pour les appels au téléphone et doivent à ce fait un regain de vie”), Vallée d’Aoste (“d’un emploi très fréquent”). Le type huitante est connu de certains patois, notamment de l’Est (wallons, frpr.) et jusqu’en occitan (FEW 7, 309b).

Octante, apparu à la fin du 13e s. (TLF), est lui aussi concurrencé dès le 16e par quatre-vingt-dix, bien que plusieurs grammairiens se pronconcent alors en sa faveur : déjà Meigret considère quatre-vingt comme plus reçu (HLF 2, 310). Au 17e, il est banni par Vaugelas (1647, 420 : “on dit quatre-vingts, & non pas octante”) et se maintient comme ses confrères dans l’usage mathématique (Fur 1690 : “On dit en arithmétique, soixante, septante, octante, nonante”) jusqu’à la fin du 18e (encore présent dans Trév 1752 sans mention, mais donné comme vieux dans Fér 1788). Au 19e, Li déplore sa perte et témoigne qu’“il est resté en usage dans le parler du Midi”. On le trouve employé au 20e s. (mais le trait est en voie de disparition) en Acadie (1925 : “On l’entend dans la bouche de quelques vieillards du Sud de la Nouvelle-Ecosse” ; Massignon 1962 ne l’a pas relevé), et en Suisse (Neuchâtel 1926 : très fréquent dans les anciens textes, hors d’usage en Suisse romande excepté dans le langage administratif des postes). Le type lexical octante est connu de quelques patois d’oïl, à l’Ouest et à l’Est, mais vu la rareté et la non-concordance des attestations, ils ne semblent jouer aucun rôle dans la présence de octante en français régional. Bien que traité ici de par ses liens avec les autres numéraux septante, huitante et nonante, octante [120] est à classer en 7.2.3.5.

Rem. : Accomparer [91], agarder [124], aguetter [127], brodure [130], charrée [143] fournissent la contrepartie lexicale des changements phonétiques rétrogrades. On peut y voir des évolutions lexicales contrariées, en ce sens que ces mots sont apparus comme concurrents de mots déjà en place, auxquels ils ont échoué à se substituer. Le remplacement lexical potentiel a avorté, les concurrents ne se sont pas implantés dans la langue et ont disparu. Ce sont là des possibilités d’évolution lexicale qui ne se sont pas réalisées en français, tandis qu’elles ont eu libre cours dans les parlers apparentés.