7.2.2.2. Régionalismes-survivances de genre

Le n° 17 étaye l’hypothèse, mais le trait patois a été emprunté au fr. Le n° 132 n’a pu être tranché faute de pouvoir déterminer le genre des attestations patoises.

[17] dinde n. m. “dindon (espèce)”.Dinde

Le lat. médiéval gallina de India (13e), désignant la pintade (originaire d’Abyssinie, alors dénommée Inde), a donné lieu (14e) au syntagme fr. poule d’Inde, qui a ensuite (1e moitié 16e) été appliqué à l’espèce dindon, découverte au Mexique par les Espagnols. Par ellipse, le syntagme a donné dinde f. (depuis 1600, FEW). Une création concurrente, apparue au milieu du 16e, coq d’Inde, a donné par ellipse également dinde mais avec le genre m. (attesté plus tardivement : 1721) : “En plusieurs endroits au lieu de dire coq d’Inde, on fait un nom substantif de ce génitif d’Inde, & l’on dit un dinde, le dinde” (Trév 1721). Le genre m., encore admis par Fér 1787 (chez qui il correspond à une différenciation sémantique : “Plusieurs le font masculin et féminin. Un dinde pour le mâle, une dinde pour la femelle”), s’est maintenu en français populaire au 19e et début du 20e s. (Desgranges 1821 ; Platt 1835, Bauche 1920, FEW ; les deux genres sont dans DG sans mention ; Lar 1900 : “par abus” ; Lar 1929 : “on disait autrefois [...] abusivement un dinde”). On le trouve également employé en français régional : Louisiane (1901), Canada (Québec, où il est attesté depuis 1743-52 ; Acadie ; vieilli fin 20e d’après Chauveau 1993), Normandie (sud de la Manche (attesté à Saint-Lô depuis 1750), Orne, Eure ; coq d’Inde dans le centre de l’Orne), Champagne, Suisse (Genève 1852), Rhône, Loire, Isère (Villeneuve-de-Marc), Drôme. L’aire régionale est sans doute plus large : Grévisse (1993), outre des attestations normandes, signale aussi des emplois en Bourgogne (Vincenot) et en Auvergne (Pourrat). Il faut noter que, aux dates où le trait a été noté en usage en Louisiane et en Suisse, il était encore employé en fr. populaire. Le terme, emprunté par les patois, s’y trouve avec le genre m. en Normandie, à l’Ouest, en Champagne et dans la région frpr. où il désigne soit l’espèce, soit spécifiquement le dindon ou la dinde (FEW 4, 639b ; ALLy 359). Vurpas (1993, 116) considère l’emploi du genre m. en français de Lyon comme un “Régionalisme grammatical continuant le genre du patois (qui a été aussi le genre du français)”.

[132] doute n. f.Doute

Le fr. doute (1050), déverbal de douter (< lat. dubitare), a d’abord été employé avec le genre f. A partir du 14e s., le mot acquiert le genre m. dans quelques occurrences (Gdf), dont on trouve des traces plus nombreuses à partir du milieu du 16e s. (attesté chez Ronsard, Jodelle, Monluc dans Hu). Le f. est encore très en usage au début du 17e s. (HLF 2, 400-401 ; seul genre donné par Nic 1621 ; La Curne : “Malherbe le fait toujours de ce genre, soit en prose, soit en vers” ; cf. aussi Fér 1787 ; Li rem. 2), mais Vaugelas (1647, 299-300) statue en faveur du m., genre qui semble avoir triomphé dès la fin du siècle (seul genre donné par Rich 1680 et Fur 1690). Le mot a survécu dans son emploi f. en Louisiane (paroisse Evangéline 1936) et au Québec (1930), ce qui correspond à l’usage le plus fréquent à l’époque de la fondation de la colonie québécoise. Le type doute est connu de certains patois du Nord (Wallonie, Normandie, Lorraine), frpr. et occ. (Provence, Languedoc) (FEW 3, 169 ; bien que FEW n’indique pas le genre de ses attestations, le f. semble connu des patois : Can 1930 signale le f. dans l’Orléanais, et Jaubert 1864 le donne pour le Centre).