Conclusion

L’étude de la notion générale d’ « archaïsme » du français régional, mise en avant dans mainte publication sur le sujet (à tel point que Chambon 1994a, 270, la qualifie de “vache à lait” des auteurs traitant de régionalismes)236, nous a conduit à définir un objet précis, qui correspond à la survivance régionale de traits linguistiques disparus du français commun, c’est-à-dire de traits qui sont sortis de l’usage de la langue commune (y sont devenus archaïques) pour se maintenir uniquement dans des usages régionaux (chap. 1). Notre étude fait ressortir que les survivances ne forment pas un groupe homogène, mais se répartissent en plusieurs espèces qui ont le plus souvent été amalgamées. Cet amalgame a d’ailleurs été cultivé par un certain nombre de personnes s’intéressant au français régional, l’ancienneté des traits linguistiques servant d’argument à une revendication régionaliste. En linguistique comme ailleurs, l’histoire est le recours habituel des défenseurs des valeurs locales ancestrales, menacées par l’évolution, qu’elle soit linguistique, sociale ou politique (chap. 3). Dans ce cadre, l’analyse linguistique ne visait qu’à démontrer une thèse que l’on avait adoptée par avance, et a donc souffert dans sa rigueur au profit des intérêts visés, les matériaux linguistiques devant se plier à la doctrine.

En linguistique, l’ « archaïsme » du français régional s’insère dans les études dialectologiques, où elle est une application du modèle de diffusion des traits linguistiques élaboré par la géographie linguistique (modèle des aires). Le français régional, dans sa dimension historique, relève certes d’un processus de diffusion de la langue (chap. 5), mais également d’une substitution de langues. Cette double perspective, mise en avant ici, a permis de distinguer différents types de survivance :

Notes
236.

On ne dispose pas d’évaluations chiffrées permettant d’estimer la part occupée par les « archaïsmes » parmi les régionalismes. Martin (1997, 63) parle simplement d’un “nombre non négligeable”. Les proportions semblent varier selon les régions, mais dépendent également de la perspective des auteurs : ainsi, certains (par ex. Carton-Poulet 1991 ou Gagny 1993) indiquent les régionalismes par « archaïsme », mais leur recherche n’est pas systématique et donne donc une idée imprécise de l’ampleur du phénomène. Fréchet (1992) donne le compte suivant pour Annonay : environ 100 régionalismes sont attestés en afr., environ 100 en mfr., et 120 en frm. dans FEW mais absents des dictionnaires contemporains ou avec une mention. Ce qui représente à peu près 20% de la masse totale des régionalismes d’Annonay (320/1767). Ces chiffres représentent cependant une estimation brute qui devra être révisée à la baisse, car tout trait attesté dans un stade antérieur de la langue peut y avoir connu des vitalités très diverses.