1. Fausses survivances

Parmi ce qui peut être présenté comme des survivances du français commun, une part importante (une estimation chiffrée reste à faire) correspond à de fausses survivances, c’est-à-dire à des traits qui n’ont pas vu leur usage se restreindre jusqu’à devenir exclusivement régional, puisqu’il l’a toujours été (chap. 4). L’appartenance antérieure de ces traits à la langue commune résulte d’une illusion qui est due, pour la période de l’ancien et du moyen français, à une sous-interprétation des attestations antérieures, dont le caractère régional apparaît après examen. Roques (1991, 585) a mis en garde les chercheurs trouvant dans des textes d’ancien et de moyen français des traces de régionalismes actuels :

‘“l’aspect philologique et historique touchant l’histoire des mots régionaux antérieurs au XVIIe siècle me paraît être le point faible des études sur le français régional. [...] trop souvent les notations afr. ou mfr., empruntées au FEW, ne sont que des cache-misère qui devraient être remplacées par des représentations géographiquement plus précises”.’

Ne peuvent être considérés comme de véritables survivances que ‘“des mots qui étaient déjà attestés en ancien et moyen français par des textes assez variés pour qu’on puisse y voir avec vraisemblance des formes qui, dès une époque ancienne, n’étaient pas tenues pour dialectales mais faisaient partie de la langue commune”’ (Picoche 1969, 326-327).

En ce qui concerne la période du français moderne, les jugements émis par les dictionnaires se substituent aux attestations à localiser. Mais là encore, les régionalismes non identifiés comme tels foisonnent, les lexicographes commettant eux-mêmes des erreurs de jugement. Rappelons ici la mise en garde de K. Baldinger (1961, 157) :

‘“les dictionnaires français ont enregistré des termes régionaux sans indiquer leur provenance”.’

Afin de ne pas tomber dans le piège de la fausse survivance, deux tâches se présentent aux chercheurs : d’une part l’étude critique des textes anciens et de leurs auteurs, qui s’avérerait très utile pour interpréter de nombreuses attestations relevées par Gdf ou le FEW ; d’autre part, celle des lexicographes et de leurs méthodes. C’est ce second aspect qui est pour l’instant le moins développé, alors qu’il est prometteur : certains dictionaires, et notamment ceux du XIXe s., sont particulièrement riches en régionalismes, et leur dépouillement permettrait sans doute de dater bien des faits et d’apporter des témoignages dont tirerait profit l’étude historique des régionalismes.