3. Survivances sans convergence avec le substrat

L’existence de survivances complètement indépendantes d’un phénomène de convergence, même si elle est plus rare, n’est pas à nier. On peut essayer de distinguer plusieurs causes à ces régionalismes par retard d’évolution.

3.1. Isolement des régions conservatrices

L’explication « classique » fournie par la géographie linguistique consiste à considérer comme normal que des aires isolées ou situées de manière périphérique par rapport au foyer d’innovation soient conservatrices par rapport à celui-ci. Le conservatisme du français régional n’est une surprise pour personne :

‘“On pouvait s’y attendre, puisqu’il est généralement admis que dans un domaine linguistique donné, les parlers de la périphérie évoluent en général moins vite que ceux du centre” (Darbelnet 1976, 1138). ’

Ainsi, le français de Belgique par ex. (Piron 1973, 296), et plus encore le français du Canada (Lavoie 1995, 372), sont caractérisés par leur aspect conservateur. Cependant, l’isolement peut ne pas être simplement géographique : l’éloignement par rapport au centre directeur implique certes que les innovations qui en proviennent sont adoptées avec retard ; mais si la coupure avec le centre est renforcée par une autonomie locale par rapport à ce centre, celui-ci finit par ne plus fonctionner comme tel, et la variété de français ainsi isolée acquiert son autonomie (cf. 5.2.2.2). C’est ainsi qu’au Canada, la coupure géographique a été renforcée au milieu du XVIIIe s. (1763) par une coupure politique sans doute aussi importante, qui a abouti à l’autonomie du français du Canada (d’ailleurs souvent appelé franco-canadien, tandis qu’en France personne ne saurait parler d’un franco-normand, d’un franco-lorrain ou d’un franco-auvergnat). Les innovations ayant lieu en France ne s’y diffusant pas, le français parlé au Canada a pu préserver un certain nombre de traits linguistiques, tandis qu’il évoluait également (ce qu’on oublie souvent de mentionner) dans une direction inconnue du français de France (notamment par emprunt à l’anglais et aux langues amérindiennes, ainsi que par création interne). A l’heure actuelle, les Québécois refusent d’ailleurs le statut de français régional que l’on attribue en France à leur parler, et revendiquent celui de variété nationale de français, sur laquelle l’influence du français commun (de France) est bien moindre que sur les français régionaux de France (Poirier 1995, 17-18). Cette position aboutit ainsi à l’identification de francismes, traits linguistiques propres à la France et sentis comme régionaux (de France) dans les autres variétés nationales de la langue. Le français du Québec, de Belgique (Pohl 1979, 11) et de Suisse sont ainsi des variétés nationales, dont les particularités sont d’ailleurs généralement cultivées (cf. les régionalismes de bon aloi) et d’un emploi beaucoup plus répandu que dans les français régionaux de France, qui subissent de façon très forte l’influence de la norme française.