3.3. Mots recréables en français 

Il faut également envisager que certaines survivances puissent être le fruit non d’une tradition ininterrompue, mais d’une réapparition dans la langue : c’est principalement le cas pour des régionalismes lexicaux morphologiquement complexes, et dont les formants sont encore vivants dans la langue. On a montré au chap. 4 que certaines « survivances » (par ex. démêler [40], mouliner [98], etc.), en fait très peu vivantes en français ancien, devaient probablement leur emploi en français régional à une re-création. Le même phénomène peut s’envisager pour des traits ayant été bien vivants en français ancien, qu’ils soient de nature lexicale (par ex. mauvaiseté [117] ou parlement [88]), sémantique (cf. la polygenèse sémantique de Geeraerts) ou syntactique : le genre des noms, notamment, qui est arbitraire en français, peut changer soit par analogie (par ex. moustiquaire [8], peut-être m. sous l’influence de moustique), soit parce qu’il n’a pas de marque formelle très nette. Ainsi, un grand nombre de mots commençant par une voyelle ont vu leur genre fluctuer parce que l’article ne le marquait pas (le défini l’ ne renseigne pas sur le genre ; quant à l’indéfini un, il est prononcé, jusqu’au XIXe s., comme le f. une devant un nom à intiale vocalique. Donc, en français populaire notamment, ‘“Tout substantif [...] qui commence par une voyelle a tendance à devenir féminin. [...] la préférence accordée en certains cas au genre masculin peut même être interprétée comme une tentative erronée de réaction.”’, Gougenheim 1929, 87-88). Le genre régional de appendice [126] et offre [138] s’explique peut-être par un changement de genre en français régional motivé par ce principe. Dans la même veine, Constantin et Désormaux (1902) motivent l’emploi de quand prép. [69] par une ellipse : “Il est parti quand mon frère” serait à restituer comme “Il est parti quand mon frère est parti”.

La re-création concerne même des traits connus du substrat patois, pour lesquels la convergence a encore pu être renforcée par le fait que la formation était encore décomposable (et recomposable) synchroniquement (ex. maladier [83], niaiser [119], ventraille [179], qu’on peut recréer à l’aide du suffixe collectif -aille, sur le modèle de cochonaille, tripaille).

Il convient de clore cette typologie des survivances par quelques remarques sur la « marge d’erreur » dont Tuaillon (1983) a exposé les problèmes qu’elle posait aux descripteurs du français régional. La description du français langue commune étant soumise à une certaine marge d’indécision, il s’ensuit que cette indécision se reporte sur les travaux prenant pour objet le français régional, que l’on définit justement en se servant du français commun comme repoussoir (cf. chap. 2). Elle entraîne donc certaines erreurs dans ce domaine, et touche inévitablement les régionalismes constituant des survivances. Le trait donné comme archaïque en français commun et relevé comme régionalisme est-il réellement régional, ou n’est-il pas plutôt un trait appartenant à une langue spéciale, c’est-à-dire un trait commun spécialisé ? Certaines survivances ne sont ainsi pas assurées d’être réellement des survivances, ce sont notamment des traits familiers ou populaires dont le statut est très incertain en français, d’autant que grammairiens et lexicographes divergent quant à leurs appréciations. De plus, l’attribution de la mention de « régionalisme » est tributaire, pour la classe des survivances, de l’évolution du français commun, et notamment de l’évolution en cours, qu’il s’avère assez difficile de cerner avec certitude en ce qui concerne le lexique. Aussi, l’attribution de la mention “vieilli” à un trait du français commun peut entraîner l’accession du trait aux inventaires de régionalismes, lorsqu’il est repéré encore en usage régionalement. Mais parfois, il s’avère que l’usage décrit dans les régions est en fait le reflet de l’usage effectif du français commun, et que ce sont les dictionnaires qui ont commis une erreur en qualifiant de “vieilli” un trait encore employé. Les quelques exemples qui suivent fourniront un aperçu des difficultés que l’on peut éprouver à identifier des régionalismes constituant d’authentiques survivances, et qu’en cette matière, aucune règle absolue ne vient guider le chercheur. Si, comme y invite Robez-Ferraris (1988, 37), c’est ‘“à chacun de prendre quelques risques dans la description des faits”’, il convient cependant d’être prudent et d’indiquer explicitement les hypothèses qui amènent à considérer tel trait comme un régionalisme.

[7] bouchon n. m. “enfant (t. de tendresse)”.Bouchon

Bouchon (dér. de l’afr. bousche < lat. vulgaire *bosca) est apparu comme terme affectif utilisé à l’adresse d’un enfant au 17e s. (1661 chez Molière, TLF). Il s’agit d’un emploi métaphorique à partir du sens “tortillon de paille utilisé pour frictionner certains animaux” (cf. aussi le v. bouchonner “caresser”). A la même époque, on emploie également le f. bouchonne, surtout dans le style comique (HLF 4, 797). L’emploi de bouchon est vivant au 18e s. (cf. Trév 1743, Fér 1787), mais est qualifié de “vieux” à partir du 19e s. par les dictionnaires, qui n’en recensent des emplois qu’à l’époque classique (Land 1843, Li ; Lar 1899 : “vieilli”) et au 20e s. (Lar 1928 ; Rob 1953 qui en restreint l’emploi au 17e s. en s’appuyant uniquement sur son emploi par Molière ; GLLF : “classique et familier”). Repéré au 20e s. en usage dans la Haute-Loire, l’Ardèche (Annonay) et la Drôme, il est considéré comme un régionalisme par archaïsme (Fréchet 1995, 76, qui se base sur l’affirmation de Rob 1953 et le fait que les dictionnaires récents qui mentionnent bouchon se basent tous sur l’attestation de Molière). En fait, il y a de grandes chances pour qu’on n’ait pas affaire ici à un régionalisme conservant vivant un usage classique : en effet, à l’époque même où les dictionnaires donnent cet emploi de bouchon comme vieux (Land 1843 par ex.), on en trouve un emploi chez Dumas (1850, TLF). Au 20e, on le trouve encore employé chez Bazin (1954, TLF), de sorte que TLF considère l’emploi mon petit bouchon comme une “locution familière” vivante, et que Rob 1985, bien que ne disposant toujours que de l’attestation de Molière, est revenu sur l’appréciation de son éd. antérieure et marque simplement le mot comme “terme familier de tendresse”. Il s’agit ici sans doute d’un emploi familier relevant du registre oral presque exclusivement, et son absence des textes a été interprétée comme une trace de vieillissement, et par conséquent comme un régionalisme là où on l’a trouvé encore vivant.

[135] fréquenter v. tr. “avoir des relations amoureuses (avec qn)”.Fréquenter

Cet emploi spécialisé de fréquenter (< lat. frequentare), issu du sens “aller voir souvent (qn)”, est un développement secondaire, apparu au début du 18e s. (1723 en Suisse d’après Pierrehumbert 1926 ; GLLF le date de 1848, chez Sand). Il a dès l’origine un caractère familier ; on le trouve attesté, en emploi tr., absolu ou pron. réciproque, à la fin du 19e s. chez des auteurs comme Labiche (1864) ou Zola (1883), puis au 20e chez France (1914), Malraux (fréquenter avec) et des écrivains régionalistes comme Mauriac (1933), Giono (1947), etc. (TLF). Il est également signalé comme un régionalisme (peut-être alors parce qu’il est absent des dictionnaires généraux jusqu’à Rob 1957, et que le type fréquenter “faire la cour” est connu des patois du Maine et du Centre, ainsi qu’en frpr. : FEW 3, 776b) dès le milieu du 19e en Suisse (Genève 1852 : “Dans le langage des ouvrières et des domestiques, ce mot se prend en bonne part et signifie : recevoir la cour d’un jeune homme, avoir un bon ami”), à la fin du siècle au Québec (Clapin 1894) et à Lyon (1894), et au début du 20e s. en Louisiane (1901) et en Suisse (Neuchâtel 1926). On le trouve également, dans la deuxième partie du 20e s., en Belgique (où il est courant d’après Grévisse 1993, §292, 4°), en Haute-Savoie et Savoie, dans le Rhône (depuis 1894), la Haute-Loire, en Ardèche, dans l’Isère (Villeneuve-de-Marc), dans le Languedoc et les Pyrénées-Orientales (l’emploi est donné comme typique du Midi par R. Gary, cité par Grévisse, et est bien employé par les écrivains originaires de cette région). Cette étendue géographique peut laisser planer des doutes sur le caractère réellement régional du trait : GLLF et Rob 1985 penchent sur le caractère régional, en indiquant respectivement : “familier et dialectal”, “régional ou par plaisanterie”, mais fréquenter “avoir des relations amoureuses” est qualifié de “populaire” par Grévisse 1993, et est recensé comme tel par Cellard-Rey (1991), en emploi tr., absolu et pron. Rézeau (1989a, 250) qualifie lui aussi le trait de plus populaire que régional. L’origine récente du trait, et sa diffusion assez large à l’époque actuelle, qui témoigne de sa vitalité, rendent assez inexplicable la mention “vieilli” décernée par le TLF (“familier, vieilli ou régional”), qui implique qu’un emploi devenant archaïque en fr. de la norme se maintient dans des usages régionaux ou/et familiers, alors qu’il s’agit visiblement d’un trait familier en pleine expansion.

[66] licher v. tr. “lécher ; boire, manger avec excès”.Licher

Licher est une variante de lécher (< abfrq. *lekkon), probablement due à l’influence d’un autre verbe, peut-être lisser (TLF). La phonétique en -i- apparaît dès le 12e s. dans les dérivés. Licher lui-même apparaît à la fin du 15e (1486, TLF), d’abord dans le sens “lécher”, puis (1772, TLF) “boire, manger avec gourmandise”. Le terme est marqué à partir du 19e comme populaire (Desgranges 1821 : “prononciation vicieuse” ; Land 1843 : “barbarisme” ; Besch 1855 : “populaire” ; etc.). Dans la seconde moitié du 20e, certains dictionnaires considèrent le sens “boire, manger avec gourmandise” comme “vieilli” (Rob 1985) ou même “vieux” (GLLF), ce que ne corroborent pas les dictionnaires d’argot, pour qui licher, dans le sens spécialisé “boire”, est toujours vivant (Cellard-Rey 1991, Caradec 1988, Colin-Mével 1996). Ce terme populaire a été signalé dans certaines régions depuis le milieu du 18e s., dans le sens “lécher” : Québec (1743-52), Anjou (env. 1750), et en Normandie (Saint-Lô Manche, 1750), sous la forme liquer, caractéristique des parlers normands. Au 20e s., licher est répertorié dans un grand nombre de relevés régionaux : on le signale en Louisiane (1901 : “rechercher la bonne chair, les bons mets ; lécher ; flatter bassement”), au Québec (1894, 1930 : “lécher”), en Acadie (“lécher”, attesté depuis 1744), Bretagne (Quimper 1909-10 : “lécher” ; 1910-11 : “boire un coup de trop”), dans le Bordelais (“boire”), le Jura (Morez : “boire”), en Suisse (Neuchâtel 1926 : “manger et boire son bien, dépenser sans compter”), dans le Rhône (Beaujolais : “lécher”), la Loire (Poncins : “lécher ; boire”), en Ardèche (Mariac : “lécher ; boire avec excès”), Isère (Villeneuve-de-Marc : “licher ; boire en excès” ; Vourey : “boire”). Licher “lécher”, “boire” ne semble pas comme devant être considéré comme un régionalisme, même si le type en-i- est attesté dans de nombreux patois (FEW 16, 459), et même si le mot a été décrété “vieux” par plusieurs dictionnaires depuis Li (“archaïque” ; cf. Pierrehumbert 1926, qui justifie l’inclusion de licher dans son dictionnaire par la différence sémantique d’avec le fr. commun : “En français populaire licher signifie surtout boire, boire avec excès (Bauche, Larchey). Littré croit à tort licher archaïque”). Licher est en fait un terme encore vivant en fr. commun, dont l’usage est restreint au registre familier/populaire, ce qui l’amène à être pris pour un régionalisme (cf. Robez-Ferraris 1995 qui considère licher soit comme un mot d’argot général, soit comme un régionalisme issu du substrat dialectal). Les seuls emplois effectivement régionaux consistent en la forme liquer, attribuable à un emprunt aux patois ayant conservé le [k] (principalement occitans), que l’on trouve employée dans le sens “lécher”, dans la Loire (le Pilat, aussi v. intr. “boire”), en Haute-Loire (var. léquer < liquar), Ardèche (Annonay : “emprunté à un parler plus méridional”), et dans la Drôme (< lica).

[52] quasi, quasiment adv. “presque”. QuasiQuasiment

Quasi a été emprunté au lat. quasi “en quelque sorte” au début du 15e s. (1409, TLF ; on possède une première attestation isolée de la fin du 10e s.). Au 17e s., les puristes condamnent l’emploi de quasi, qu’ils jugent “bas”, et recommandent à sa place presque (cf. Vaugelas 1647, 24-25 : “Ce mot est bas, & nos meilleurs escrivains n’en usent que rarement” ; blâmé également par Ménage, d’après HLF 4, 751). Il s’est cependant trouvé des défenseurs du mot : on le trouve employé par Molière et Sévigné, et Rich 1680, sous l’influence de Mme de Lafayette, prend sa défense et trouve que “quasi vient mieux en de certaines façons de parler que presque”. Abandonné par les “bons auteurs”, quasi demeure cependant en usage dans le style familier au 18e (cf. Fér 1788) et au 19e, où Li prend à son tour sa défense : “Aujourd’hui l’usage n’est pas complètement revenu en sa faveur ; toutefois il ne faut pas hésiter à s’en servir”. Au 20e s., quasi est donné comme “vieilli, familier ou régional (notamment Ouest et Centre) ou littéraire” par TLF, “vieux ou régional” par Rob 1985.

Le dérivé quasiment, de même sens, apparaît au début du 16e s. (1505, TLF). Il subit le même abandon que quasi par la langue normée, et est indiqué comme un régionalisme à partir du milieu du 18e s. (en Anjou par Du Pineau ; Fér 1788 : “en certaines provinces”). Il subsiste au 19e s. également comme terme populaire, et continue à subir les attaques des puristes (Blondin 1823). Il est signalé comme régionalisme au Canada à partir de la fin du 19e (Québec 1894 ; Acadie 1925 : “Le terme est devenu désuet [...]. Il est en pleine jeunesse ici”), et en Louisiane au début du 20e (1901). Au 20e s., “Quasiment, adverbe, vieillit plus que quasi et est plutôt familier” (Hanse 1983, 778). Il est “vieilli, familier, populaire ou régional (notamment Canada)” pour TLF, “vieilli, par plaisanterie ou régional” pour Rob 1985.

Quasi et quasiment sont signalés comme régionalismes dans l’Ouest (“d’emploi fréquent dans le registre familier”), dans la Loire (Poncins quâsi), l’Ardèche (Annonay) et la Drôme. Leur situation à l’heure actuelle diffère peu de celle qui était la leur au 17e s. : ils sont employés régionalement, dans la langue familière ou populaire, quasi également dans la langue littéraire et comme élément de composition dans la langue usuelle. C’est-à-dire qu’ils sont d’un emploi général hormis dans la langue normée qui les a rejetés voilà trois siècles et continue à le faire, mais cette évolution forcée est rejetée par les usagers de la langue qui continuent à utiliser les mots disgrâciés. On voit pourquoi l’emploi de ces mots a été jugé comme un régionalisme depuis le 19e s., puisqu’il s’est maintenu partout là où la norme puriste n’était pas efficace, c’est-à-dire dans le fr. familier/populaire et dans les fr. régionaux, où en outre les traits ont pu être interprétés comme la permanence de traits patois (cf. Fréchet 1992 ; 1997 ; et l’emploi de quasi dans les romans paysans de G. Sand, Rob 1985), quasi et quasiment étant présents dans une grande partie des patois d’oïl et frpr., ainsi qu’en occ. (FEW 2/2, 1428b). Grévisse (1993, §951) remet ainsi en cause le vieillissement de quasi et quasiment mentionné par les grammaires et les dictionnaires : “Quasi et quasiment conservent dans la langue parlée comme dans la langue écrite, et pas seulement littéraire, une grande vigueur”, et des attestations sont fournies à l’appui de cette affirmation. La vitalité de quasi et quasiment comme survivances régionales à l’heure actuelle est fortement douteuse.

[139] riquiqui n. m. “eau-de-vie”. Riquiqui

Riquiqui (parfois graphié rikiki), issu de l’onomatopée rik-, est apparu à la fin du 18e s. (1789, TLF) dans le sens “eau-de-vie de qualité inférieure”, marqué comme terme populaire. Il est répertorié dans les dictionnaires d’argot depuis la deuxième moitié du 19e s. (Delvau, Larchey), et est encore en usage dans la première moitié du 20e s. (encore répertorié par Lar 1932 sans mention de vieillissement). Une marque de vieillissement apparaît dans Rob 1964 (“vieux”), mais cette appréciation n’est pas suivie par TLF et GLLF, qui le considèrent simplement comme “vieilli”, et par Colin-Mével (1996) qui le donnent sans marque. Il est inclus dans les relevés de régionalismes depuis le milieu du 19e s. : Humbert le signale à Genève en 1852, Puitspelu à Lyon en 1894. Il est alors abusif de le considérer comme un régionalisme, puisqu’il est en pleine vigueur dans la langue familière/populaire (il a sans doute été recensé de par son absence des dictionnaires généraux de l’époque). Au 20e, il est encore signalé comme régionalisme dans le Rhône (Beaujolais : “boisson obtenue en ajoutant du marc et du sucre au paradis” ; Lyon : “liqueur ou eau-de-vie”) et le Midi (Nouvel 1978), où il est vu comme un emprunt à l’occ., le type riquiqui étant connu d’un certain nombre de patois (FEW 10, 408a). Faut-il considérer comme véritablement régional ce terme encore présent dans les dictionnaires généraux, dont le vieillissement n’est pas assuré ? Ce que l’on décrit comme régional, parce que le mot est considéré comme “vieux” ou “vieilli” en fr. commun, peut bien ne faire que correspondre à la situation du mot dans l’emploi familier mais général de la langue.

[5] tantôt adv. “cet après-midi”.Tantôt

Tantôt, composé de tant et de tôt, est apparu au 12e s. dans le sens “aussitôt” (1119 tant tost cum). A partir du 13e s., il est utilisé pour référer à une période de la journée, d’abord antérieure au moment où l’on parle (1230 : “peu de temps avant”), puis postérieure (1588 : “peu de temps après dans la journée, par rapport au matin”). Tantôt est notamment employé dans le sens spécialisé “cet après-midi”, pour lequel on relève également un emploi substantif depuis la 2e moitié du 18e s. : le n. m. est signalé (d’abord dans des emplois donnés comme régionaux) dans l’Hérault (Agde) vers 1770, à Genève en 1852, et est enregistré par la lexicographie générale en 1872 (Li). La plus grande confusion règne quant au statut actuel de cet emploi de l’adverbe et du nom. Leur usage est déclaré “vieilli” en français commun par un certain nombre de grammaires et de dictionnaires (par ex. TLF), et considéré comme survivance dans les régions où ils sont encore employés : “le sens “cet après-midi” a certainement été vivant à Paris comme en Province où il survit” (Hanse 1983, 907). On trouve tantôt “(cet) après-midi” en Basse-Normandie (adv.), dans l’Ouest (adv. et n. m.), en Indre-et-Loire (adv. et n. m. : “Emplois connus dans le Centre et l’Ouest dont ils sont peut-être originaires”), Aquitaine (n. m. : “Tantôt ainsi employé est un provincialisme”), Champagne (n. m. ), Bourgogne (Vincenot), Haute-Savoie et Savoie (n. m. : “usuel”), Suisse (Genève 1852 n. m. ; Neuchâtel 1926 n. m. : “Vaudoisisme”), dans le Rhône (n. m., depuis 1894), la Loire (le Pilat : adv. et n. m.), en Haute-Loire (n. m.), Ardèche (Annonay : n. m.), dans l’Isère (Villeneuve-de-Marc : adv. et n. m. ; La Mure, Vourey : n. m.), la Drôme, et en Provence (Brun 1931 : “cet emploi est encore très répandu”, d’après Lagueunière 1993). L’emploi adverbial est fortement suspect de n’être pas vieilli en fr., et donc de ne pas constituer un régionalisme valide par survivance : lorsque tantôt est apparu dans les relevés de régionalismes, c’est en tant qu’emploi nominal, tandis que l’emploi adverbial était considéré comme la norme fr. (cf. Humbert 1852 : “Le mot tantôt est un adverbe” ; d’après Lagueunière 1993 : “CDG recommande : « C’est un adverbe de temps. N’en faites pas un nom »” ; Massion (1987) note en Belgique le sens “dans peu de temps, il y a peu de temps”, qui s’oppose pour lui à l’usage moderne en France “cet après-midi”). Dans un certain nombre de cas (cf. attestations ci-dessus), le régionalisme n’est mentionné que sous la forme nominale, ce qui n’indique pas forcément l’absence d’utilisation adverbiale, mais que seul l’emploi nominal est considéré comme régional. L’adverbe est donné comme vivant par Ac 1935, et comme appartenant à l’usage moderne par Rob 1985 ; Grévisse (1993, §966 f), s’appuyant sur des dépouillements, atteste que “cet usage est prédominant dans la région parisienne”, bien que Hanse (1983, 907), à la suite d’une enquête (mais dans quel milieu ?), considère quant à lui que “Les Parisiens s’en défendent aujourd’hui et voient là un usage provincial”. L’emploi nominal, repéré à la fin du 19e dans la lexicographie générale (Li, DG) et chez des auteurs comme Châteaubriand, Daudet, Courteline, Maupassant, est considéré comme vieilli en fr. commun et demeuré comme régionalisme, à la fois par les grammairiens et les descripteurs de fr. régional : “Comme nom, le tantôt est devenu plus ou moins un régionalisme” (Hanse 1983, 907) ; “la fréquence en fait un régionalisme [...] dans un grand nombre de provinces où il est vraiment usuel” (Robez-Ferraris 1988, 228). D’autres voient dans le maintien du trait la trace du patois (par ex. Vurpas 1993, 263, qui y voit un “Continuateur du patois”, le type tantôt “après-midi” étant répandu dans un grand nombre de parlers d’oïl, frpr. et occ., FEW 13/2, 119a). Toutefois, là encore, rien n’est sûr : tout d’abord, le n. m. a d’abord été répertorié comme un régionalisme (Agde 1770, Genève 1852) avant d’être considéré comme du fr. commun (fin 19e). D’autre part, Grévisse a répertorié des emplois jugés parisiens du nom dans la première moitié du 20e s. (Péguy, Céline, Aragon), et les grammairiens et lexicographes n’excluent pas le fait qu’il s’agisse là non d’un emploi vieilli ou même régional, mais d’un trait du fr. familier ou populaire : “familier, régional” (Rob 1985) ; “Il est plutôt populaire” (Hanse 1983, 907) ; “familier, vieilli ou régional” (TLF). La large extension géographique du “régionalisme” le rend suspect de n’être qu’un trait familier commun qu’il faudrait exclure des inventaires régionaux.