INTRODUCTION

Rendre compatible la notion de force et la notion de droit est au fondement même de l’existence d’une force publique. Cette démarche dialectique est exprimée par l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 17891. Comme le souligne avec justesse M. Etienne Picard, cet article, en “‘proclamant la force du droit à l’encontre du droit de la force, (...) entend, au sens propre, d’une part, fortifier ces droits et, d’autre part, assujettir au droit cette force publique afin que, dans l’une et l’autre intentions, ces droits se trouvent doublement garantis’”2.

De nos jours, l’institution policière doit, dans l’exécution matérielle de ses missions, trouver un équilibre entre l’ordre et la liberté. L’idéal à atteindre pour une démocratie libérale est l’harmonie entre l’ordre et la liberté3, que traduit le principe selon lequel la liberté ne vaut rien sans l’ordre, l’ordre ne vaut rien sans la liberté4. Il faut toutefois préciser que le contenu et le sens à attribuer aux termes “ordre” et “liberté” sont souvent déterminés par les circonstances.

L’antinomie de principe entre “droit” et “police” ou entre “légalité” et “efficacité policière” apparaît avec force dans l’effort actuel des autorités compétentes, qui vise à maintenir la légitimité de “l’institution de réalisation du droit”5 qu’est la police, auprès d’une catégorie de population jugée hostile ou dont le rapport à cette institution publique est perçu comme difficile voire conflictuel : les minorités.

Dès lors, entreprendre une recherche sur la relation juridique particulière qui peut exister entre la police et les minorités, en France et en Angleterre, permet de mieux faire apparaître la place du droit dans la pratique policière, question abordée avant nous par différents auteurs6, et de poser la question actuelle de l’intégration de ce thème au sein de l’institution policière.

Nous entendons ici provisoirement par “police”, les forces de police nationales pour ce qui est de la France (policiers et gendarmes) ; et, pour l’Angleterre et Pays de Galles, les quarante trois forces de police locales, réparties sur tout le territoire. Le terme “minorités” désigne les individus qui, citoyens de l’Etat ou non, sont issus de catégories sociales qui sont définies, implicitement ou explicitement, par leur origine ethnique non européenne ou se définissant par une telle appartenance. Enfin par Angleterre, il faut entendre “Angleterre et Pays de Galles”. L’univers juridique de l’Angleterre et du Pays de Galles, où le système de police est identique, recouvre en effet ce que l’on appelle le droit anglais7 .

Une connaissance aussi objective que possible de l’institution policière appelle selon nous à inscrire notre étude dans une démarche comparative. Une comparaison du droit de la police anglaise nous semble en effet fructueuse, comparaison suscitée notamment par l’actualité de la question policière dans le cadre d’exercice du pouvoir des agents à l’égard des minorités.

L’apport d’une analyse juridique à dimension comparative et l’actualité d’une telle question, fondent ainsi le choix et l’intérêt d’entreprendre une recherche portant sur la police et les minorités en France et en Angleterre.

Notes
1.

L’article 12 dispose : “La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique; cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux à qui elle est confiée”.

2.

E. Picard, “Commentaire de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen”, Les Cahiers de la sécurité intérieure, n° 5, mai-juillet, 1991, p. 201.

3.

Sur le rôle du juge administratif dans cette dialectique fondamentale, en régime politique libéral, entre l’ordre et la liberté, V. D. Loschak, Le rôle politique du juge administratif, Préf. P. Weil, Bibliothèque de droit public, Tome CVII, LGDJ, Paris, 1972, p. 161 et s.

4.

B. des Saussaies, La machine policière, Ed. du Seuil, Paris, 1972, p. 7 ; J. Aubert, R. Petit, La police en France- service public, Berger-Levrault, Paris, 1981, p. 25.

5.

J. Buisson, L’acte de police, thèse droit, Lyon III, 1988, p. 24 et s.

6.

V. Doreen J.Mc. Barnet, “Arrest : the legal Context of Policing” in S. Holdaway (ed.), The British Police, Ed. Arnold, 1979, p. 28 ; David J. Smith, “The framework of Law and policing practice” in J. Benyon & C. Bourn (ed.), The police, powers, procedures and proprieties, Pergamon press, 1986, pp 85-94 ; En France, V. C. Barberger, De la criminalité apparente, thèse droit, Lyon III, 1981, 684 p. qui considère la police comme “une institution critique du droit” c’est-à-dire une institution où le droit a un effet structurant et pervers ; des auteurs notent que c’est “dans son rapport au droit que la police se découvre” V. J.J. Gleizal, J. Domenach, Cl. Journès, La police -Le cas des démocraties occidentales, Coll. Thémis Droit public, PUF, Paris, 1993, p. 41.

7.

R. David, X. Blanc-Jouvan, Le droit anglais, Coll. “Que sais-je ?”, PUF, n° 1162, Paris, 1994, 126 p.