Une comparaison avec la situation juridique anglaise, nous permet d’examiner cette question à l’aune de la législation en vigueur en Angleterre. La législation anglaise, qui semble en cette matière plus développée, fait porter notre attention sur ce qui a pu être adopté en France en ce domaine. Le droit de la police anglaise est en effet plus “visible”, dans sa mise en oeuvre, à l’égard des minorités que ne l’est le droit français.
La police, marquée par les traditions historiques et politiques propres à chaque Etat, se prête difficilement à une comparaison générale, mais une étude du droit permet une telle démarche. Ce choix s’explique par le rôle fondamental généralement attribué au droit dans le fonctionnement et l’organisation des sociétés libérales. Une société organisée suppose la “suprématie du droit”, selon une expression souvent en usage en France82, ou le règne du droit ou la “rule of law” pour les anglo-saxons83. Le rapprochement entre ces deux systèmes juridiques, notamment depuis l’European Communities Act 1972 84 , et surtout la ratification en 1998 par la Grande-Bretagne du Traité d’Amsterdam, qui a été signé le 2 octobre 1997 et qui vient modifier le Traité de Maastricht de 199285, se traduit par la diffusion d’une conception hiérarchique des normes assez proche.
Cette évolution peut s’observer dans le souci commun aux deux pays d’attribuer au droit un rôle essentiel au maintien de la cohésion sociale. Etablir un certain ordre social appelle par là même une intervention grandissante du législateur. L’ordre libéral se fonde en effet sur le respect de la loi, au sens général, et donc de l’autorité, représentée ici par la police : dès lors, au sein de ces deux pays, la nécessité du droit, comme méthode d’organisation de la société, n’est pas contestée ; si toutefois une contestation survient ce n’est qu’une preuve supplémentaire de sa nécessité : ce qui est alors recherché c’est un souci de justice sociale non une volonté d’abolition du droit. La police, par son action quotidienne, permet l’existence concrète d’un tel droit.
La France, dont la tradition juridique diffère pour l’essentiel de celle que l’on connaît en Angleterre, s’est néanmoins résolue à ne pas se désintéresser de ce thème qu’elle aborde sous le rapport police-immigrants, migrants, ou immigrés, ou encore communautés immigrées voire les jeunes86. Le problème ici soulevé est commun aux deux polices d’Etats libéraux, seules les solutions juridiques diffèrent. Ces solutions à apporter semblent fonction de la formation historique et du rôle attribué à leur droit respectif. Néanmoins, et bien que le statut des “minorités” soit différent en France de ce qu’il est en Angleterre, le souci actuel d’une ”bonne police” rapproche ces deux pays quant au problème rencontré et donc aux solutions juridiques à apporter.
A l’inverse du droit français, issu en général de l’application de grands principes, il s’agit en droit anglais de privilégier la mise en place de procédures d’accès au droit en prenant mieux en compte la réalité concrète des justiciables. Le droit ou la loi, au sens du terme anglais law, est tout ce qui est applicable par le juge. L’attention se porte ici sur l’intervention du juge. Pour un juriste anglais, une loi, note M. Eric Agostini, ne devient “règle de droit”, dans le seul cas où elle s’est vue consacrée par une ou des applications jurisprudentielles87. Le droit anglais est alors souvent défini comme un droit “pragmatique”.
Dans le système juridique anglais, appliquer le droit c’est non seulement le mettre en oeuvre mais également le créer. Création et application du droit semblent inséparables. Le pragmatisme dont il est question est la prise en considération de l’efficacité. Celle-ci, qui par ailleurs est le souci majeur des policiers en action, semble ici dominer le raisonnement des juristes anglais, au détriment d’un droit qui serait par trop “abstrait” ou considéré comme “éloigné” de la réalité. On pourrait alors émettre l’hypothèse suivante : la police anglaise est une institution dont le respect du droit est la caractéristique majeure. Cette caractéristique est renforcée par le fait que le droit anglais est pour l’essentiel issu ou est le produit de la réalité et de la vie sociale. La pratique policière, consacrée en dernière analyse par le droit, ne peut dès lors qu’être entourée de toutes les garanties juridiques nécessaires. La méthode comparative ici retenue, qui s’attache davantage aux pratiques policières, nous permet de vérifier le bien fondé d’une telle assertion.
R. David, “Le dépassement du droit et les systèmes de droit contemporains”, in Le droit comparé- Droits d’hier, droits de demain, Coll. études juridiques comparatives, Economica, 1982, pp 141-158.
La “rule of law“ est le principe fondamental du gouvernement constitutionnel. En ce sens, V. P. Craig, “Formal and substantive Conceptions of the Rule of law- An analytical Framework“, Public Law, autumn 1997, pp 467-487 où l’auteur distingue la conception formelle (formal conception) développée par A. V. Dicey qui ignore ou feint d’ignorer tout pouvoir discrétionnaire (power discretion) , la conception substantielle (substantive conception) présente chez R. Dworkin qui retient les défenses et recours de l’individu pour faire valoir ses droits et enfin celle du positivisme (legal positivism) chez J. Raz qui s’attache pour l’essentiel aux seules règles existantes qui assurent une telle protection.
Halsbury’s Statutes of England and Wales, Vol.10, pp 617-635, V. égal. O. Moréteau, “Droit anglais : particularisme et union européenne”, Gaz. Pal.,15-16 Fév.1995, pp 2-6. Plus généralement V. L. Collins, European Community Law in the United Kingdom, 4th. ed., Butterworths, London, 1990, p. 44 où l’auteur considère le droit communautaire comme une partie intégrante du droit britannique.
Sur le Traité de l’Union et le Traité d’Amsterdam en droit anglais, V. L. Fransman, British Nationality Law, Butterworths, London, 1998, p. 20. Notons toutefois que le Royaume-Uni n’a pas adhéré à la Convention de Schengen de 1990 ; le Traité d’Amsterdam consacre une partie importante de ses dispositions à cette Convention dont les pays membres de l’Union souhaitent, à terme, inscrire son renforcement et sa mise en oeuvre dans le pilier communautaire et non plus intergouvernemental ; par conséquent, et à terme, le droit anglais, qui certes n’intègre pas l’ “ acquis de Schengen”, ne peut être insensible à cette évolution et ne pas subir l’influence du droit européen de libre circulation des personnes. En France, la ratification du Traité d’Amsterdam , qui au préalable nécessite une révision constitutionnelle, n’est pas à ce jour encore assurée, mais semble en voie de l’être prochainement par l’appel au Congrès et non à un référendum populaire, semble-t-il.
V. par ex. les thèmes des Universités d’été de Gyf-Sur-Yvette, lieu de formation des policiers : 1988 “Vers une société multiculturelle” ; 1991 “Cultures et différences culturelles” ; 1992 “Intégration et exclusion des jeunes en France et en Europe” ; etc.... Ces thèmes ne font que traduire les problèmes rencontrés par les policiers avec certaines franges de la population.
E. Agostini, Droit comparé, Coll. Droit fondamental, PUF, Paris, 1988, p. 188.