Sous-section 4 : Un rapprochement perceptible des droits de la police

Une démarche comparative permet de constater ce fait, certes évident, mais qui est, dans une telle perspective renforcé, les règles pénales ont un lien étroit avec l’ordre public caractérisant un pays. Ces normes sont en effet “le corps de règles les plus protectrices des intérêts fondamentaux d’un Etat”99. Le pénaliste J.A. Roux a ainsi pu écrire que “‘le droit pénal met aux prises deux principes opposés : le principe d’autorité, dont la société doit user pour protéger l’ordre public et le principe des droits de l’individu que menace la poursuite pénale“100. Il est ainsi assigné au droit pénal, et partant à la procédure pénale, d’atteindre le difficile compromis “entre les impératifs de la sécurité juridique de l’individu et ceux de la répression’”101. Le but majeur assigné au droit pénal, noyau dur du droit étatique, est de protéger l’ordre social établi. On ne peut, lorsque l’on analyse la police, faire abstraction de la tâche essentielle qui lui est dévolue à savoir l’application des règles pénales : le droit, et notamment le droit criminel, fonde l’action de la police, sans cela elle apparaîtrait comme une force brute. Ce droit permet également à l’Etat libéral de légitimer son rôle de maintien de l’ordre. L’évolution marquante à notre époque est que “le principe dont la société est dépositaire (à savoir l’autorité) est allé sans cesse en s’émiettant“102. L’institution policière, qui symbolise d’abord et avant tout l’autorité, ne peut ne pas prendre en considération les éléments d’une telle évolution, dont l’une des conséquences importante est une modification profonde de son cadre juridique d’action .

La convergence relative actuellement observée dans les principes de droit criminel entre les pays dits “de droit écrit” et “de common law”, comme le souligne en particulier Mme Mireille Delmas-Marty103, conduit la police, auxiliaire du système pénal libéral, à fonder son action sur des sources de droit (français ou anglais) somme toute assez proches (la loi). L’importance actuelle prise par la législation anglaise (statute law) en matière pénale traduit certaines similitudes avec la situation française. Se fait ainsi jour, en Angleterre, une forme de conception plus légaliste104 que jurisprudentielle du droit, du moins dans le domaine qui concerne notre étude105. Il faut désormais relativiser cette distinction considérée comme intangible et “rigide” qui jusque là existait entre le droit français et anglais de la police106

La construction juridique de l’Europe des polices107, qui semble avoir infléchi certains principes d’action de la police anglaise (déclenchement du procès pénal par l’autorité publique108, organisation régionale (Regional Crime Squads) ou nationale (Home Office Crime Prevention Centre) de certaines structures policières109, a ainsi facilité un rapprochement des droits respectifs110. Nous assistons également à un élargissement des normes de référence dans l’action policière, ce qui traduit implicitement un certain infléchissement du dogme de la souveraineté nationale comme seule source de droit, pour ce qui est de la France, ou parlementaire, comme en Angleterre111, souveraineté qui jusque là fondait, de manière quasi-exclusive, les pouvoirs de l’institution. Dans ce cadre juridique européen, la préoccupation majeure des droits de l’homme112 ne fait que renforcer la tendance ici soulignée.

Notes
99.

G. Vermelle, Le nouveau droit pénal, Dalloz, 1994, p. 10. V. égal. J. Pradel, Droit pénal général, 2 ème éd., Paris, Cujas, 1995, 910 p., G. Roujou de Boubée, B. Bouloc, J. Francillon, Y. Mayaud, Code pénal commenté, Dalloz, 1996.

100.

J.A. Roux, Cours de droit criminel français, Tome 1, Droit pénal, Recueil Sirey, Paris, 1927, Préface.

101.

J. Rivéro, op. cit., 1997, p. 11.

102.

J.A. Roux, op. cit.

103.

M. Delmas-Marty (dir.), Procès pénal et droits de l’homme- Vers une conscience européenne, Coll. Les voies du droit, PUF, 1992, p. 291. V. récemment, du même auteur, “Vers un droit pénal européen commun“, Arch. pol. crim., n° 19, 1997, pp 9-23.

104.

J. Pradel, op. cit., pp. 10-13.

105.

En ce sens voir le Criminal Justice (International Co-operation) Act 1990, London : HMSO, 1990, 28 p. où ce texte de loi vise à permettre au Royaume-Uni de coopérer avec les autres pays, notamment européens, en matière d’enquêtes et de procédures criminelles, en particulier dans le domaine de la lutte contre la drogue.

106.

Ce phénomène n’est pas nouveau : en 1791, il est fait appel aux juristes anglais pour importer en France la procédure du jury, ou en 1860 pour la procédure du flagrant délit (cf. Loi du 20 mai 1863, V. D. 1863. L.110 pour connaître les motifs de ce projet de loi) ; plus récemment le législateur anglais s’est rendu en France, en 1990, pour envisager de modifier sa procédure pénale. V. J. Pradel, op. cit., pp. 11-13.

107.

V. à ce sujet, Loi autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l’article K3 du Traité sur l’Union européenne portant création d’un Office européen de police et la Loi autorisant la ratification du protocole établi sur la base de l’article K3 du Traité sur l’Union européenne concernant l’interprétation, à titre préjudiciel, par la Cour de justice des Communautés européennes, de la convention portant création d’un Office européen de police, JO du 28 novembre 1997.

108.

A.J. Bullier, “Le Crown Prosecution Service, émergence d’un parquet en Angleterre ?”, RSC, 1988, p. 272.

109.

Signalons au passage que la loi de 1997 relative à la Police (Police Act 1997) a renforcé la centralisation de l’action policière en établissant trois nouveaux services de police, le National Criminal Intelligence Service Authority dont le rôle est de diffuser aux forces les informations nécessaires à leur action ; le National Crime Squad dont le rôle est la prévention de la criminalité qui nécessite l’intervention de plusieurs forces de police, et enfin le Police Information Technology Organisation pour la logistique et le développement technologique. V. Public Law, autumn 1997, pp 552-553.

110.

L’influence du droit européen sur l’ordre juridique interne de ces deux pays n’est pas à démontrer : V. A.J. Bullier, F.J. Pansier, “Le déroulement du procès pénal en France et en Angleterre face aux volontés de réforme”, Gaz. Pal., 19-20 janv. 1996, p. 14, où ces deux auteurs observent “une certaine uniformisation des pratiques policières et des procédures juridiques”.

111.

Sur ce rapprochement des pouvoirs législatifs français et anglais saisi à travers leur moyen d’action, à savoir la loi, V. C. Hagueneau, “Le domaine de la loi en droit français et en droit anglais“, RFDC,  n° 22, 1995, pp 247-285 .

112.

Résolution 690 (1979) du Conseil de l’Europe, relative à la Déclaration sur la police V. égal. J. Alderson, Les droits de l’homme et la police, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1984.