PREMIÈRE PARTIE : LA POLICE ET L’ACTION JURIDIQUE DE SURVEILLANCE DES MINORITÉS

Les relations entre la police et le public soulèvent des questions délicates relatives au pouvoir de l’Etat et aux droits de l’individu. La mission qui consiste à maintenir l’ordre public exige une police efficace ; un Etat de droit exige quant à lui le respect des droits de la personne et donc une police soumise à la légalité. 

La police, qui a la charge de faire respecter la légalité, doit avant tout s’y conformer elle-même dans son action. Les textes internationaux ou régionaux, notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, accordent à tout individu, quelle que soit sa nationalité, le bénéfice et la jouissance des droits et libertés contenus dans leurs dispositions ou proclamés dans certains cas par certaines déclarations d’égalité des droits.

Néanmoins, la Convention européenne des droits de l’homme attribue aux autorités publiques nationales, au regard des besoins légitimes de sécurité publique dans une “société démocratique”, selon les termes consacrés par la jurisprudence européenne des droits de l’homme177, toute discrétion dans la manière de faire respecter la loi et l’ordre public internes. A la police est ainsi explicitement reconnu un pouvoir discrétionnaire pour évaluer et définir les circonstances qui nécessitent une atteinte aux droits des personnes : les arrestations, les contrôles d’identité, les pouvoirs de maintien de l’ordre sont considérés comme des besoins légitimes, et à ce titre doivent être exercés en conformité avec les dispositions prévues par la Convention.

Les systèmes juridiques de l’Angleterre et de la France accordent une place respective aux pouvoirs de la police et aux libertés individuelles. La recherche d’un équilibre entre l’efficacité policière et la nécessité de veiller au respect des droits de l’homme est des plus difficile qui soit. Dans leur tâche de protection du corps social, notamment de la sécurité des personnes et des biens, les agents de police sont souvent conduits à empiéter sur les droits des suspects. Pour marquer certaines limites, et vérifier ainsi que la police remplit correctement sa mission, des procédures de contrôle sont nécessaires. Cette exigence libérale est d’autant plus pressante que certains suspects sont perçus de manière négative par l’institution policière, de par la fréquence de leur contact avec le système pénal, ainsi en est-il en particulier de ceux que l’on dénomme communément les “minorités immigrées” ou “minorités ethniques”.

L’analyse de l’action juridique de la police à l’encontre de cette population spécifique nous permet de rendre plus visibles les pouvoirs de cette institution qui sont les plus susceptibles de concerner ces individus. C’est ainsi que seront abordés successivement les pouvoirs de maintien de l’ordre urbain, d’arrestation pour infraction flagrante et de contrôle des personnes sur la voie publique. Mais les fonctionnaires de police ne sont pas des fonctionnaires comme les autres tant au niveau de leurs missions que des pouvoirs importants qu’on leur confie (usage de la force, port d’arme). Dans un Etat de droit, une contrepartie s’impose donc face à ces pouvoirs de restriction des libertés individuelles. Après la présentation de certains pouvoirs importants de la police, il faut définir les limites juridiques exigées pour demeurer dans le cadre d’un Etat libéral. C’est pourquoi, en ce qui concerne les limites posées aux pouvoirs juridiques des agents de police, des procédures de contrôle et de vérification des actes des agents de la force publique sont mises en place et doivent par conséquent être présentes dans notre analyse. En effet, l’action juridique de surveillance des individus et a fortiori des minorités doit être, en régime de droit libéral, strictement encadrée.

En droit anglais, la détermination des termes de notre sujet rencontre beaucoup moins de difficulté comparée à la situation que connaît le droit français. De ce constat, nous consacrons en général d’importants développements et portons par conséquent davantage ici notre analyse sur la situation juridique policière française. La comparaison avec le cas anglais nous sert ici d’éclairage, éclairage comparatif qui nous semble essentiel pour rendre plus visible et apporter une explication constructive de certains pouvoirs juridiques de la police française, en particulier ici à l’égard des minorités.

Compte tenu des considérations précédentes, une précision doit être apportée quant au sens à attribuer aux termes employés dans l’intitulé de notre sujet. Pour ce faire, il s’agit au préalable de définir le cadre conceptuel des termes de la relation (Titre I) entre la police et les minorités, en insistant ici davantage sur le système juridique français.

Une fois ce cadre conceptuel précisé, il s’avère nécessaire de délimiter le cadre juridique d’exercice des prérogatives des agents de la force publique à l’égard des minorités, c’est-à-dire leurs modalités juridiques d’intervention (Titre II) en retenant, à titre principal, celles susceptibles de concerner ce public spécifique.

Les larges pouvoirs ainsi octroyés aux agents de police font toutefois l’objet d’un contrôle dont la finalité est la recherche d’une conformité de l’action policière à une norme juridique ou technique, c’est alors que nous nous intéresserons au contrôle des pouvoirs juridiques des agents de police (Titre III).

Notes
177.

En ce sens V. V. Fabre-Alibert, “La notion de “société démocratique” dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme“, Rev. trim. dr. h., n° 35, 1er Juillet 1998, pp 465-496.