La dichotomie policière, c’est-à-dire la division de la police en deux notions définies chacune par un but supposé distinct, et appelant par conséquent l’application d’un régime juridique différent, n’existe pas en Angleterre qui ne connaît qu’un seul droit et où l’unité de juridiction est le principe180.
Ainsi, pour le juriste anglais A. V. Dicey, un seul droit régit les relations entre les particuliers (équivalent français du droit privé) et entre les particuliers et les fonctionnaires (droit public)181. Des auteurs comparatistes observent que “la distinction entre le droit public et le droit privé, distinction qui en Angleterre n’a qu’une portée exclusivement académique et pédagogique, est en France la plus fondamentale”182. La distinction retenue en Angleterre semble la partition du droit en common law et equity : c’est dans ce cadre juridique que s’inscrit la notion de police. Au contraire du droit français, où prédomine l’aspect fonctionnel de la police, le droit anglais définit la police par son sens organique.
Le sens fonctionnel s’entend en France comme celui qui s’attache à l’activité juridique ou matérielle, c’est-à-dire au contenu de l’acte ou de la situation qu’il s’agit de définir. Le sens organique fait référence lui aux autorités ou aux forces chargées de cette activité.
La police anglaise a pour tâche essentielle de rassembler les preuves et de décider de l’inculpation ou non des auteurs d’infractions pénales, et à ce titre elle est d’abord et avant tout un organe (Police service) qui prépare la répression judiciaire. De plus, la notion de prévention est, en droit anglais, résorbée dans celle de fonction répressive qui paraît prédominante outre-Manche183. Non pas que la police anglaise ne fait pas montre de sa fonction séculaire de police préventive, mais nous entendons signifier par là que la police judiciaire, au sens français du terme, a un sens plus large en droit anglais, sens qui tend à englober, à la faveur des agents de police anglais, la notion de police administrative au sens du droit administratif français. En d’autres termes, la distinction police préventive / police répressive n’est pas admise, ou si elle est reconnue, elle est absorbée par une fonction plus large celle de répression. La police préventive apparaît davantage ici comme une méthode d’action policière et non pas tant comme une forme de technique juridique qui autorise l’exerce de certains pouvoirs de police. Ce privilège accordé à la fonction répressive tient sans doute au rôle particulier qu’a historiquement joué, et qu’exerce encore la police dans le procès pénal, à savoir le déclenchement de la poursuite pénale. A ce titre, elle est davantage saisie juridiquement comme un organe que comme une fonction ou une activité.
Les juristes anglais définissent ainsi la police par son sens concret, pragmatique : elle représente un ensemble de forces de police ou corps de police184. Ce souci du “concret”, qui conduit à définir la police par ses agents, semble trouver son origine dans le fait que les poursuites judiciaires ont, pendant longtemps, été une fonction de la police185, et à ce titre, elle est définie par les juristes comme un organe formé d’agents aux pouvoirs légaux particuliers. C’est alors le sens organique qui est ici essentiellement retenu. La police c’est d’abord, en droit anglais, un organe avant d’être une fonction au sens d’activité.
En France, la police est généralement définie comme une activité normative qui incombe aux autorités publiques compétentes pour maintenir l’ordre public, à l’opposé du service public qui tend lui à satisfaire certains besoins collectifs : la police, c’est une activité de réglementation et non un service de prestation.
La vision de la police, généralement admise, est celle d’une simple activité normative. Les juristes français saisissent l’entité “police” par deux notions juridiques distinctes que sont la police administrative et la police judiciaire.
Pour la police administrative, qui s’entend généralement comme la prévention d’une atteinte au bon ordre, à la salubrité ou à la tranquillité publics, on distingue les polices administratives générales, exercées par certaines autorités compétentes (le maire en matière de police générale municipale, le préfet pour la police générale départementale et le Premier ministre compétent normalement en matière de police générale nationale), des polices administratives spéciales, c’est-à-dire des pouvoirs conférés, par un texte spécial, à certaines autorités qui disposent ou non de pouvoirs de police générale, en particulier les ministres.
La police judiciaire se trouve quant à elle définie par les articles 12 et suivants du Code de procédure pénale : elle représente, selon M. Jean Larguier, “l’autorité ayant pour rôle de constater l’infraction, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs”186.
Cette distinction entre la police judiciaire et la police administrative, qui paraît peu pertinente en pratique, de par le fait qu’une même opération puisse s’attacher à la fois à l’une et à l’autre notion187, voire délicate, de par l’identité du personnel assumant la fonction de police, comme le souligne par ailleurs une partie de la doctrine188. La démarche logique aurait consisté, pour saisir la notion de “police”, de partir des faits pour qualifier une situation juridique.
Il s’agit pour nous, non pas de constituer la notion de “police”189, mais plus modestement de montrer la souplesse de la dichotomie policière telle que définie, notamment par la doctrine publiciste, afin de faire apparaître l’aspect organique auquel nous nous intéresserons plus particulièrement, c’est-à-dire les forces de police. Cette relativité de la distinction une fois soulignée, le rapprochement avec la situation juridique anglaise apparaîtra d’autant plus pertinent.
Les Judicature Acts de 1873 et 1875 créent une Cour supérieure unique : la Supreme Court of Judicature comportant au premier degré la High Court of Justice (au civil), qui comprend trois divisions (Banc de la Reine ou Queen’s Bench, la Chancellerie, puis la Famille) et la Crown Court (au criminel) ; au deuxième degré on trouve la Court of Appeal ; au sommet de la hiérarchie domine la Chambre des lords en formation judiciaire. Les Cours supérieures ont pour rôle de “dire le droit”, les Cours inférieures de “résoudre les litiges”. V. R. David, X. Blanc- Jouvan, op. cit.
A.V. Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 10 th ed., London, 1959, pp. 193-195.
Kahn-Freund, Lévy et Rudden, Source book on French Law, 2th ed., 1979, p. 204, cité par J.A. Jolowicz (dir.), Droit anglais, Précis Dalloz, 2° éd., 1992, n. 68, pp. 56-57. Cependant, pour Ch. Eisenmann, ”Droit public et droit privé”, RDP, 1952, p. 903 ; “les notions de droit public et de droit privé ne définissent que les cadres qui peuvent recevoir les tableaux les plus divers”.
J.C. Smith, Brian Hogan, Criminal law-Cases and Materials, Butterworths, 1990, pp 237-240.
F. Lyall, An introduction to British Law, Nomos Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 1994, p. 95 ; D. Foulkes, Administrative law, 7 th. ed., London, 1990, pp 34-38 ; La police est étudiée dans le chapitre relatif aux compétences des autorités locales, V. F.H. Lawson, D.J. Bentley, Constitutional and administrative law, Butterworths, London, 1961, pp. 230-236.
Avant 1985 (Prosecution of Offences Act 1985), la police, conseillée par le Director of Public Prosecutions (créé en 1879), déclenchait lors d’un procès les poursuites, poursuites qui étaient confiées à un Solicitor du service judiciaire local ou à un Barrister engagé par la police, notamment devant la Crown Court.
J. Larguier, Procédure pénale, Mémentos Dalloz, 14ème. éd., Paris, 1994, p. 32. L’Art.16 C.proc.pén. donne la liste personnes ayant la qualité d’Officier de police judiciaire ou OPJ, l’art.20 et 21 respectivement d’Agent de police judiciaire (APJ) et d’Agent de police judiciaire adjoint (APJA) ; enfin les articles 22 et suivants comprennent les fonctionnaires et agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire.
J.M. Auby, R. Drago, Traité de contentieux administratif, T1, LGDJ, Paris, 1984, p. 612, n. 497.
J. Rivéro, Droit administratif., 13° éd., Dalloz, 1990, pp. 539-540, n. 434 ; R. Chapus, Droit administratif, T1, 5° éd., Montchrestien, 1990, p. 501.
Nous renvoyons pour cela à la thèse de M. J. Buisson, op. cit., sur laquelle nous nous appuyons pour la définition du terme “police”. L’auteur tente une reconstruction de l’objet “police” par une déconstruction préalable de la distinction rigide entre la police administrative et la police judiciaire.