La définition souvent étroite généralement donnée au terme “droit” explique en partie la difficulté d’une approche juridique de certaines pratiques policières.
La recherche d’un fondement à la notion de police, au sens normatif du terme et partant de son unité, évoque déjà la difficulté d’établir un tel fondement sans référence implicite à certaines valeurs. M. E. Picard distingue ainsi la “proposition de droit” de la “norme juridique”. “L’ordre public, écrit l’auteur, recouvre, d’une part, un ensemble de “normes juridiques” qui sont celles que l’expérience commune saisit le plus facilement : par exemple, un certain nombre d’exigences de salubrité, de sécurité, de sûreté générale qui se manifestent par l’édiction d’actes de police ; il recouvre d’autre part, une “proposition de droit”, concept purement théorique par lequel s’exprime, parce qu’il les inspire tous, l’unité de tous ces actes ou normes juridiques”, et de préciser “la police apparaît donc comme la fonction de concrétisation de cette proposition de droit (qu’est l’ordre public) en normes juridiques, elle est bien fonction d’ordre public ou de nécessité”474.
La nécessité, qui souvent se trouve à la base de la justification de certaines interventions de police475, évoque implicitement, pour trouver un tant soit peu un certain fondement, un jugement de valeur. Elle introduit alors la notion de valeur, terme qui est souvent exclu, dans la définition du droit. Les théoriciens du positivisme juridique n’hésitent pas en effet à repousser avec véhémence toute démarche tendant à inclure tout élément finaliste dans le droit476.
La notion fondamentale d’ordre public, qui est une “norme habilitante“477 pour fonder l’extension du pouvoir législatif en matière de sécurité, évoque l’idée d’un caractère strictement impératif 478. Il s’agit d’une notion souvent définie comme étant un “‘ensemble de standards et valeurs fondamentales d’une société, auxquels il est interdit de déroger sous peine de nullité’”479. Avant de devenir une notion juridique, la notion d’ordre public a d’abord été et demeure une référence à des valeurs480. Bien qu’étant insusceptible de définition législative a priori, cette notion n’en a pas moins des conséquences juridiques. Mais la notion d’ordre public a un contenu qui varie dans le temps et l’espace481. Des auteurs font ainsi observer que “les notions textuelles d’ordre public et de liberté publique sont des notions dynamiques qui évoluent, et l’analyse globale qui en est faite à un moment donné, n’est plus que partielle quelques années après”482. Il appartient ainsi au juge de préciser le contenu de ce que M. Stéphane Rials analyse comme un “standard” (ici l’ordre public), standard auquel le juge a recours pour résoudre un litige, litige qui appelle à son tour une solution qui est souvent le fruit d’une étude spécifique au cas par cas483. C’est dès lors une souplesse plus qu’une rigidité du droit que semble laisser entrevoir le recours à une telle notion.
Le droit positif n’est que le miroir, le reflet des valeurs et l’expression d’une civilisation484. Le droit est une science sociale qui se propose de réaliser certaines valeurs collectives, il poursuit et se fonde sur une certaine finalité, dont le contenu évolue avec le contexte. “Tout système juridique, écrit Mme. Danièle Lochak, reflète un ensemble de croyances et de valeurs qu’en même temps il façonne et contribue à imposer”485. A ce titre, il est quelque peu vain d’arrêter une quelconque définition générale du droit.
Le droit de la police, comme tout droit, fonctionne en tant qu’un système des valeurs collectives reconnues dans la société486. Il reflète de manière implicite une certaine image de la police et partant de ses missions réelles ou supposées. L’action policière, comme toute action, trouve sa justification dans la finalité qu’elle se propose de réaliser. Les normes juridiques, qui encadrent l’action d’une police libérale, véhiculent par là même certaines valeurs qui trouvent un écho et viennent s’imprimer dans des représentations collectives. Ces normes sont également façonnées par la réalité sociale du milieu d’action et le souci de l’efficacité policière.A ce niveau du droit étatique, il est nécessaire de rappeler, comme l’a écrit l’éminent juriste Bruno Oppetit, que “le droit ne saurait se réduire à la volonté qui l’édicte. Il comporte inévitablement un aspect moral qui conditionne l’adhésion des assujettis : on n’obéit qu’à un ordre juste et pas seulement parce qu’il est établi”487. Ce choix méthodologique, qui nous a conduit à approcher le “droit de la police”, apparaîtra plus clairement avec la précision qui va être donnée au terme “minorités”.
Ces quelques considérations nous permettent d’analyser à présent l’acception du terme “minorités” dans le système de droit français, en nous attachant à dégager le sens qui nous permet d’établir une comparaison avec la situation juridique anglaise, une comparaison propre à justifier l’intérêt de notre étude.
E. Picard, op. cit., 1984, pp 540-541 et p. 544.
Ibid.
N. Bobbio, “Sur le positivisme juridique, Mélanges Paul Roubier, Dalloz, 1961, Paris, pp. 56-57.
E. Picard, op. cit.
H. Battifol, P. Lagarde, Droit international privé, 7° éd., T1, LGDJ, 1981, pp. 409-428. Dennis Lloyd, Public policy- A comparative study in English and French law , 1953, cité par les auteurs, a montré que la notion d’ordre public, malgré une différence d’étendue au sein des deux droits a une inspiration et une application communes.
A.J. Arnaud (dir.), Dictionnaire d’Eguilles, LGDJ, 1988, p. 279.
L’ordre est en effet un concept fondamental dans l’univers institutionnel indo-européen, il est ce principe sans lequel “tout retournerait au chaos”, V. E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, éd. de Minuit, 1969, p. 100. Le droit contient ainsi dans sa définition la notion d’ordre ; sous l’Ancien Régime, le terme police, c’est-à-dire la loi de l’ordre social, de la cité, était d’ailleurs l’équivalent du terme droit ; on saisit dés lors le lien intrinsèque entre ces deux termes.
V. à ce sujet Ch. Perelman et R. Van der Elst, Les notions à contenu variable en droit, Travaux du CNRL, éd. Bruylant, Bruxelles, 1984, 377 p.
P. Colonna d’Istria, P. Paoletti, X. Philippe, “Le degré du contrôle contentieux sur les mesures de police administrative”, in D. Linotte (dir.), La police administrative existe-t-elle ?, PUAM, Economica, 1985, p. 61.
S. Rials, Le juge administratif français et la technique du standard, L.G.D.J., Biblio. de droit public, N°135, 1980. Le mouvement du standard semble remonter à F. Gény, Pour une analyse doctrinale de cette notion fondamentale de standard, V. S. Rials, “Les standards, notions critiques du droit “, in Ch. Perelman, R. Van der Elst , op. cit., pp 39-53.
P. Roubier, Théorie générale du droit, histoire des doctrines juridiques et philosophie des valeurs sociales, éd. Sirey, Paris, 1946, cité par Ch. Atias, op. cit..
D. Lochak, op. cit., 1992, p. 139.
Ch. Grzegorczyk, op. cit., pp. 266-267.
B. Oppetit cité par Y. Lequette, “In memorium -Bruno Oppetit (1936-1998)”, Rev. crit. dr. internat. privé, 87 (3), juillet-septembre 1998, p. V.