Sous-section 1 : Les minorités et la question de la légitimité

Dans le cadre d’un Etat qui se définit comme un Etat de droit, la notion de légitimité est éminemment d’ordre juridique. Hans Kelsen a bien souligné le rôle fondamental des fictions dans la construction de la légitimité juridique de l’Etat. Il observe ainsi que “la communauté de pensées, de sentiments et de volontés, la solidarité d’intérêts où l’on veut voir le principe de son unité (celle du peuple) sont, non pas des faits, mais de simples postulats d’ordre éthique ou politique que l’idéologie nationale ou étatique donne pour réalités grâce à une fiction si généralement reçue qu’on ne la critique même plus (...) le peuple n’apparaît un, dans un sens quelque peu précis, que du seul point de vue juridique: son unité normative résulte au fond d’une donnée juridique, la soumission de tous ces membres au même ordre étatique”513.

Les Etats français et anglais adoptent une attitude à l’égard de leurs minorités qui est fonction du mythe et de l’imaginaire social qui fondent leur légitimité514. Plus généralement, il semble s’établir un lien entre l’histoire de la légitimité politique et le groupe désigné comme minoritaire. La construction ”artificielle” de l’Etat515 sera en effet toujours confrontée à une légitimité naturelle, historique d’une minorité : pour recourir à un semblant de légitimité, l’Etat national fait appel à des prétendus antécédents historiques, qu’ils soient fondés ou non516, pour asseoir sa “puissance étatique”, sa souveraineté517.

La notion de légitimité possède ainsi cette capacité de rendre synthétique, d’unifier une réalité sociale dynamique et fuyante. Les minorités sont l’image qui peut perturber la vision globale et uniforme de cette réalité, elles sont dès lors perçues et définies à travers la notion qui lui est opposée à savoir l’illégitimité. C’est pourquoi la réflexion juridique du terme “minorités” intéresse en premier lieu l’ordre juridique interne : la légitimité ainsi entendue est au fondement de la relation Etat-minorités. Mais l’ordre juridique interne se fonde sur deux entités de base que sont l’Etat et l’Homme, entre eux il n’y a, en principe, rien. Dés lors, les minorités ne peuvent faire l’objet d’une formulation conceptuelle car ce terme échappe à une saisine juridique où subsiste une conception individualiste du droit. Se trouverait-on alors ici devant une impasse juridique ?

L’impasse juridique à laquelle semble mener l’approche individualiste du droit doit toutefois être relativisée face l’infléchissement actuellement constatée d’une telle conception.

Notes
513.

H. Kelsen, La démocratie, sa nature, sa valeur, Trad. Ch. Eisenmann, Présentation M. Troper, Coll. “Classiques” Série politique et constitutionnelle, Economica, Paris, 1988, p. 26.

514.

A. Fenet, “La question des minorités dans l’ordre du droit”, in Les minorités à l’âge de l’Etat-nation, GDM, Fayard, 1985, p. 27.

515.

Ibid. p. 37.

516.

Le fait de ne retenir que les seuls aspects historiques “glorieux” pour constituer une nation semble une nécessité pour E. Renan qui dans son ouvrage, “Qu’est-ce qu’une nation ?”, Oeuvres complètes, t.1, Calmann-Lévy, Paris, 1947, déclare que “l’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation”, cité par G. Noiriel, Le creuset français- Histoire de l’immigration XIX°-XX° siècle, Points Histoire, Editions du Seuil, 1988, Paris, 1992, p. 13.

517.

R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, rééd. CNRS, Paris, 1968, t1, pp. 92-95.