Sous-section 3 : La notion de discrimination : une reconnaissance implicite des minorités ?

La notion de discrimination526, de par son application à des domaines très larges527, montre la complexité croissante des sociétés libérales. Le développement du recours à cette notion pour mettre fin à certains litiges va souvent de pair avec le constat d’une différenciation du corps social. Cela apparaît notamment en droit du travail, droit qui semble avoir une fonction correctrice et qui tend à répudier l’égalité juridique stricte pour lui préférer une prise en considération des inégalités de fait. Est-ce cette logique particulière de ce droit qui a conduit un auteur à qualifier le droit du travail de “droit des groupes”528 ? En droit communautaire, le phénomène discriminatoire s’analyse également à l’aide d’une comparaison de groupe à groupe529.

La “catégorisation” croissante de nos sociétés modernes, c’est-à-dire leur découpage en termes de catégories, a ainsi élargi les possibilités d’application du principe de non discrimination, fait que traduit avec force le nouveau Code pénal, dans la définition de cette notion530. La gestion pragmatique des différences, comme l’écrit Mme D. Lochak531, semble exister, bien qu’elle soit souvent dissimulée par le principe affiché d’une égalité juridique abstraite des droits des individus.

Le principe de non-discrimination a pour objectif de rendre plus effectif et donc à donner quelque réalité au principe d’égalité, principe par trop général dans sa formulation et tendant à s’appliquer à des domaines les plus divers532. Le principe d’égalité, jugé trop abstrait, tend à prendre une forme plus concrète, évolution que traduit désormais le recours au principe de non-discrimination. On veut ainsi interdire la généralisation de traitements qui se fondent sur des motifs définis comme étant illégitimes de manière relative533 (sexe, nationalité) ou absolue534 (race ou ethnie). Plus précisément, ce qui est recherché à travers ce principe c’est le rejet de tout arbitraire dans l’édiction d’un acte juridique ou dans la prise d’une décision juridictionnelle.

Notes
526.

V. D. Lochak, “Réflexions sur la notion de discrimination”, et A. Lester “La législation anglaise contre la discrimination “, Dr. soc nov. 1987, respect. pp 778-790 et pp 791- 797. V. égal. J. Rivéro, “Les notions d’égalité et de discrimination en droit public français” in Travaux de l’association Henri Capitant, “Les notions d’égalité et de discrimination en droit interne et en droit international”, Tome XIV , 1961-1962, Dalloz, 1965, pp 343-360.

527.

Cette notion apparaît souvent en matière de droit du travail, V. M.Th. Lanquetin, “La discrimination en raison du sexe en droit international et communautaire”, Dr. soc. 1988, p. 806.

528.

F. Ewald,” Le droit du travail : une légalité sans droit ?”, Dr. soc., 1985, p. 724, où l’auteur affirme que “c’est un droit des groupes et non plus un droit des individus”, car l’individu bénéficie d’un droit dans la mesure de son appartenance à un groupe.

529.

CJCE 27 oct. 1993 Pamela Enderby, Aff. C 127 /92, Rec. p. I 4, point 18 (notion de discrimination apparente). M.T Lanquetin, “La preuve de la discrimination : l’apport du droit communautaire”, Dr. soc., N°5, mai 1995, p. 437, note que “même si la demande de la salariée a un caractère individuel, la CJCE va resituer l’intéressée dans son groupe d’appartenance et c’est à l’aide d’une comparaison de groupe à groupe que s’analyse le phénomène discriminatoire”.

530.

V. l’article 225-1 C. pén.

531.

D. Lochak, “Les minorités et le droit public français : du refus des différences à la gestion des différences”, in A. Fenet et G. Soulier (dir), Les Minorités et leurs droits depuis 1789, L’Harmattan, 1989.

532.

F. Luchaire, “Un janus constitutionnel : l’égalité”, in RDP, 1986, pp 1229-1274.

533.

V. Art. L.123-1 et s. ainsi que l’Art L. 133-5 (9°) et (10°) du C. trav., respect. sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, et l’égalité de traitement entre français et étrangers.

534.

C. Entrevan, “Réflexions sur le problème des discriminations humaines dans le système démocratique français”, in Ann. fr. des dr. de l’homme, Vol.1, Pedone, 1974, p. 180.