Cette nécessaire ouverture de la police à la société apparaît dans les propos tenus par un représentant autorisé de la police britannique, Sir. John Alderson, alors Chief Constable (responsable de la force de police de Devon et Cornouailles), qui compare l’institution policière à un arbre : le tronc représente les fonctions opérationnelles et les branches, les départements spécialisés : “on a trop souvent examiné le tronc et les branches, dit-il, il faudrait davantage s’intéresser aux racines qui doivent être fermement encastrées dans la communauté” ; tant il est vrai que la police a l’obligation vitale de s’enraciner dans la communauté pour “‘résister aux pressions diverses de la société’”717. C’est, peut-on dire, toute la philosophie de la “police communautaire” anglo-saxonne qui est ici évoquée. Il nous semble que cette métaphore représente l’évolution actuelle de la police libérale et correspond bien à notre champ d’étude.
La police anglaise, face à la criminalité urbaine des “inner-cities”, veut renforcer son lien avec les communautés locales. En France, ce même souci de rapprochement avec le public paraît en effet timidement se développer. En France, le rôle de la police est défini à l’heure actuelle à travers sa mission essentielle qu’est le maintien de l’ordre social et partant de la nécessité d’un Etat tutélaire. La fonction policière est fondée sur une philosophie contractualiste718, philosophie dont s’inspireront, sous le vocable de “force publique”, les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789719 : la force publique doit être la force ultime pour protéger et garantir les droits et libertés des citoyens. La police a un rôle fondamental dans la préservation du “contrat social”, qui se traduit de nos jours par la sauvegarde du “lien social”, puisqu’elle représente l’image de l’organe d’application et de respect des lois du groupe, lois qui sont nécessaires au maintien d’un ordre social, ordre social dont la meilleure traduction est “le règne des lois”.
Le terme d’“ordre social” contient en lui même l’idée d’une contingence des réalités historiques : la notion de “police” ne peut être donnée et donc définie qu’au regard du contenu attribué à ce premier terme. Cela s’explique par le fait essentiel qu’à l’origine, la formule “ordre social”, qui se fonde sur les théories de la souveraineté monarchique, va se définir, souligne M. Pierre Legendre, comme une “virtualité de compétences pouvant se décliner ou s’étendre selon les besoins”720. Le sens global que tend à prendre le terme “ordre social“ va constituer le mot police au sens général, en incluant alors des domaines très variés et très larges721, ce qui conduit par conséquent à renforcer et à étendre les pouvoirs de l’Etat sur le corps social : l’Etat est en effet le seul à assurer et à réguler cette organisation sociale “globale”, c’est-à-dire qu’il définit seul cet “ordre public”. Peu à peu la police va se voir cantonner à intervenir dans un domaine plus restreint celui du maintien de l’ordre public, ordre public qui est souvent défini par le but que poursuit la police administrative et qui contient à ce titre trois éléments, à savoir, la tranquillité, la salubrité, et la sécurité.
L’ordre public, partie intégrante de l’ordre social722, qui lui même s’est peu à peu substitué à l’ordre divin puis à l’ordre naturel, oblige à une analyse plus concrète du rapport entre la police et le corps social. L’intérêt de souligner une telle évolution est de montrer que le changement de société, la recomposition de ce qui fait la substance même de toute société, à savoir sa population, et partant des nécessités de l’ordre qui lui font écho, ont des répercussions fortes sur l’institution policière, plus peut être que sur toute autre institution publique.
L’ordre public est une notion contingente, soulignent MM J. Aubert et R. Petit : de “police universelle de la société” au sens du droit monarchique, à celui de protection de l’individu et de la propriété dans l’ordre social émanant de la Déclaration des droits de 1789, à la “réalisation du bien commun” sous le XIX° et XX° siècle, cette notion devient synonyme d’ordre républicain au sens de défense des institutions et de la légalité républicaines. Les mêmes auteurs poursuivent en écrivant que “‘la protection des institutions et de l’Etat, c’est d’abord la défense de la nation organisée qui peut être menacée par des organismes étrangers ou même par des minorités nationales qui, par déviation idéologique, n’acceptent pas la loi de la majorité et s’organisent pour détruire le pouvoir légitime’”723. La police a un rôle fondamental dans la cohésion des sociétés modernes constituées aujourd’hui majoritairement d’Etats-nations. La police agit par et pour la nation. Ces deux termes ne peuvent être dissociés : la nation est la raison d’être de la police, la police est une nécessité pour maintenir la cohésion de la société. Le regard, dont est l’objet l’institution policière, se modifie alors : sa mission, voire même sa pérennité, est le plus souvent définie et dépend désormais étroitement de son enracinement sociétal, de son ancrage dans le corps social pour lutter plus efficacement contre la criminalité. La cohésion de la nation se pose de nos jours en des termes particuliers, notamment depuis la préoccupation suscitée par la montée des “violences urbaines”.
IV° Cours international de haute spécialisation pour les forces de polices, “La police des années 80: problèmes juridiques, criminologiques et technologiques”, CIRESPP, Messine, 1981, p. 103.
Celle-ci trouve ses sources notamment chez des auteurs comme Hobbes (idéal d’ordre et de sécurité), Locke (le principe de liberté) ou encore Rousseau et Kant (le principe d’égalité) V. M. Villey, La formation de la pensée juridique moderne, Ed. Montchrestien, 1975, p. 59.
“La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc constituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée”, déclare Art. XX du projet de déclaration du 6° bureau, juillet 1789, article qui sera repris, au terme près, dans la Déclaration du 26 août 1789, cité par S. Rials, op. cit, 1988, p. 623.
P. Legendre, op. cit, p. 246.
A.F. Vivien, “Etudes administratives”, 1859, reproduit dans Procès, n°15-16, 1984, p. 57.
Ainsi pour M.R. Polin, L’ordre public, PUF, 1996, 116 p. , l’ordre public est “l’ensemble des institutions, des moyens et des droits dont dispose la puissance publique pour garantir et maintenir le respect d’un ordre pacifique contre les éventuelles infractions dont se rendraient coupables ceux qui pourraient être mauvais ou méchants”.
J. Aubert, R. Petit, op. cit., p. 35. Souligné par nous.