Depuis les années 1980, on a ainsi qualifié les troubles à l’ordre public d’ “inquiétants”, en référence aux “émeutes urbaines”, à la “crise des banlieues” ou encore à la “montée des violences raciales”724 : dans ces zones “déshéritées” la police est en effet appelée à intervenir dans des circonstances délicates. L’intervention policière semble alors, en un lieu géographique donné, s’opérer à l’égard d’individus qui cumulent un ensemble d’inégalités sociales, ou qui connaissent un traitement juridique défavorable tel que l’absence d’une égalité effective devant l’emploi, le logement, les services : étant l’autorité publique la plus visible, la police peut autant renforcer sa légitimité, et partant celle du système politique en général, par une action efficace et à effet positif, autant, par certains incidents ou dérapages, augmenter la désillusion et le ressentiment de cette partie de la population, mettant ainsi à mal l’acceptation des règles du jeu social, car cette institution lui apparaît comme indifférente à son sort, et ne peut alors qu’être “oppressive”. Dès lors, adapter l’action policière en ces zones urbaines spécifiques est désormais un élément à prendre en considération dans toute politique de sécurité urbaine, c’est-à-dire essentiellement ici de la lutte contre la criminalité urbaine dont est chargée la police de sécurité.
La police française semble saisir les “violences urbaines” actuelles avec les seules catégories juridiques classiques, à savoir “ordre public” et “infraction pénale” : ces catégories sont certes nécessaires mais, avec l’évolution actuelle de notre société, connaissent certaines limites. Toute atteinte à “l’ordre public urbain” appelle la référence à des vocables tels qu’ “émeutes”, “désordre urbain” et donc le recours à des unités spécialisées du maintien de l’ordre (CRS, gendarmerie mobile...) ; ou encore la référence à des “trafiquants émeutiers” ou “casseurs”, auteurs “d’infractions graves”, de violences physiques et de destructions matérielles qui viseraient à déjouer l’action policière, tend à renforcer et accroître le nombre et le rôle des unités spécialisées dites “répressives” (Brigade Anti-Criminalité ou BAC, Brigades nocturnes...).
La situation particulière de ces territoires, et partant de la population qui y réside, conduit à s’interroger sur les pratiques policières, qui souvent se trouvent à l’origine ou du moins liées, comme l’ont souligné la plupart des rapports officiels anglo-saxons, au déclenchement de certains incidents ou “violences urbaines”.
En France, aucune étude ou rapport officiel, suite à de tels événements urbains, n’ont à ce jour été entrepris, et par conséquent n’a pu établir ce lien : prévaut alors le schéma “classique” de l’intervention et du rôle de la police. L’appréhension de ce phénomène à travers les catégories juridiques classiques évoquées précédemment, trouve ici leurs limites, notamment lorsqu’il s’agit de lutter contre la criminalité urbaine. La lutte actuelle contre la petite et moyenne délinquance mobilise les forces de sécurité urbaine. La police d’Etat pour maîtriser cette évolution et maintenir la cohésion du corps social, va constituer et définir le contenu du terme “sécurité” : face à des risques mal définis, à un sentiment d’insécurité diffus, à des menaces probables ou imprévisibles, parfois idéologiquement accentuées, il paraît urgent à l’Etat d’exprimer avec force et évidence son “pouvoir du verbe”725.
Comme le souligne un Conseiller à la Cour de cassation, auteur d’un rapport officiel remis en 1997 au Premier ministre, “dans sa panoplie de moyens pour gouverner, le plus sûr dont dispose l’Etat est le verbe. Selon les circonstances et les besoins, le discours devient norme, le verbe se fait loi, l’Etat transforme la promesse en réglementation“726. L’Etat seul donne sens au mot “sécurité” à l’exclusion de tout autre. Il est en effet le seul à désigner l’origine possible des atteintes à l’ordre public urbain, dont la protection et la garantie incombent à la police de sécurité. Cette approche conduit inéluctablement à multiplier les services de police et les unités spécialisées, pour un résultat escompté de faible portée au regard des moyens engagés.
La “pacification de l’ordre urbain”, ne paraît pas encore, à long terme, se réaliser : c’est semble-t-il l’absence de prise en considération de la spécificité de la sécurité publique urbaine qui conduit parfois à certaines “impasses” induites par de telles approches et partant de telles actions policières. Cet obstacle semble néanmoins déjouer par l’action implicite d’une police de sécurité qui tend au contraire à montrer une adaptation des règles à un public spécifique, malgré l’affirmation explicite d’une application uniforme de la loi.
The Scarman Report, p. 79 et s.
J. J. Gleizal, art. cit., 1980.
P. Maynial, op. cit., p. 18.