Les compétences de la police, au sens de la nature et de l’étendue des pouvoirs des agents de la force publique, sont saisies par une notion, dont le contenu varie avec les circonstances de temps et de lieu, à savoir la notion cardinale d’ordre public ou encore de paix publique. L’élargissement des pouvoirs des polices anglaise et française paraît s’expliquer comme la contrepartie de la perte d’estime de certains membres de la collectivité à l’égard de ces institutions d’autorité. L’accroissement du taux de criminalité et la violence relevée dans certaines zones du territoire, violence dite urbaine qui semble gagner la France et l’Angleterre, ont imprimé un changement profond dans la relation de la police avec sa population.
Le juriste M. L. H. Leigh observe fort justement, parlant de la police anglaise, que “de nos jours, à cause, en partie au moins, non seulement d’un taux de criminalité violente trop élevé dans certains quartiers mais aussi de préjugés raciaux, la police a perdu l’estime d’une partie de la population, au moins parmi les jeunes, et cette perte a amené la police, à Londres en particulier, à s’appuyer davantage sur ses pouvoirs coercitifs que sur la coopération du public. La police se trouve ainsi dans un traquenard. Plus elle emploie ses pouvoirs de façon abusive, plus elle perd l’estime de ceux qui s’en trouvent victimes“762. Une telle évolution ne peut-elle pas être constatée en France ?
C’est en tout cas sous cet éclairage assez pertinent que nous allons analyser les pouvoirs actuels des deux polices, en nous limitant aux compétences policières qui s’appliquent plus particulièrement à certains territoires ou qui concernent de manière directe ou indirecte, ou en tout cas plus fréquemment, une partie de la population. Ce choix méthodologique se fonde sur la distinction que nous établissons entre les compétences générales et les compétences spécifiques.
Les compétences générales sont celles qui s’inscrivent dans le cadre légal et réglementaire défini à l’heure actuelle par les autorités publiques anglaise et française en charge de la police et qui intéressent, dans la mesure du possible, notre champ d’étude. Conscient d’une présentation par trop générale d’un tel cadre juridique, cette approche risque de sacrifier la précision de l’analyse à une exhaustivité par trop descriptive. Ce qui nous conduit à retenir et à approfondir davantage les compétences spécifiques de la police.
Les compétences spécifiques de la police s’entendent ici de celles qui s’exercent en certains domaines ou à l’égard de certaines catégories de personnes ; il s’agit pour l’essentiel des interventions policières qui intéressent plus particulièrement les minorités. Nous ne pouvons pas donner là aussi de manière exhaustive la nature et l’étendue de toutes ces compétences, nous nous attachons plus particulièrement à celles qui ont soulevé des questions relatives à la nécessité d’améliorer certaines pratiques policières, notamment les pouvoirs juridiques de maintien de l’ordre public urbain, ceux de contrôle et d’arrestation des personnes sur la voie publique.
Avant d’aborder les pouvoirs juridiques de la police qui intéressent plus particulièrement les minorités, il nous paraît nécessaire d’inscrire notre réflexion dans le cadre des législations récentes en matière de sécurité adoptées tant en France qu’en Angleterre (Chapitre 1), pour mesurer la portée des pouvoirs juridiques des policiers retenus ici (Chapitre 2), à savoir les pouvoirs de maintien de l’ordre urbain, de contrôle des personnes et enfin d’arrestation sur la voie publique.
L.H. Leigh, “ Une réforme fondamentale de la procédure pénale anglaise : le Police and Criminal Evidence Act 1984 “, Rev. dr. pén. crim., n° 1, janvier 1985, p. 207.