Sous-section 1: Un pouvoir aux sources juridiques diverses

A l’origine, la police anglaise est instituée et se fonde sur l’opposition au modèle de police français, c’est ainsi qu’elle apparaît comme une institution soumise avant tout au droit et non à l’autorité politique : le concept même de “police nationale” est étranger au vocabulaire juridique anglais. Ce concept est à exclure dans toute appréhension de l’objet “police” et par conséquent des pouvoirs exercés par cette institution. La police anglaise entretiendrait ainsi avec le droit une relation permanente. Ces règles législatives et jurisprudentielles constituent ce que l’on appelle le droit criminel (criminal law). Ce droit inclut également des textes épars puisés dans des sources diverses et auxquels la police se réfère dans l’exercice de ses pouvoirs. 

Des textes historiques fondamentaux, qui ont le souci de définir les droits et libertés des citoyens et de délimiter les pouvoirs de la Couronne et du parlement, doivent être ici évoqués. Des sources historiques de la procédure anglaise ont encore à ce jour un effet non négligeable sur l’action policière.

Ces règles de procédure sont contenues dans les textes dits “fondamentaux”, qui souvent sont liés à des affrontements avec la souveraineté royale : la Grande Charte de 1215 (droit à un procès équitable prévu à l’Art. 39), Petition of Right de 1627765, l’Habeas Corpus Act 1679 (droit de la défense)766, et le Bill of Rights de 1689767 (victoire du Parlement sur l’absolutisme qu’exprime le principe de légalité). Ces sources historiques sont réaffirmées et confirmées par l’Acte d’Etablissement de 1701768. Ces textes doivent être néanmoins complétés par des “sources légales” qui, à l’heure actuelle, sont constituées par la jurisprudence et la loi. 

La pratique policière laisse apparaître des pouvoirs étendus des agents, révélés en particulier par certaines affaires769. Ce risque d’extension des pouvoirs n’est pas à exclure, ce d’autant plus que par le jeu du système de procédure de type accusatoire, la phase policière est peu réglementée. Selon L.H. Leigh, la police est l’acteur principal de la phase préparatoire du procès pénal770. Deux éléments affirment ce rôle central : son pouvoir d’investigation et de poursuite des auteurs d’infractions, et le fait que son activité est pour l’essentiel régie par les règles dégagées par le juge. Il n’existe ainsi pas de séparation absolue entre les fonctions de poursuite et d’enquête. Si cette dernière est une tâche essentielle de la police, la police détient aussi le pouvoir de déclencher les poursuites. L’action du juge de paix (Justice of the peace), juge non professionnel, qui, face aux nécessités de la pratique policière, semble davantage aller vers l’acceptation d’une extension des pouvoirs d’une police spécialisée. Il est malgré tout tenu à un contrôle des actes de police, au coup par coup. Sur la base de ces actes, il peut délivrer des mandats de perquisition, de saisine ou d’arrestation. Le juge intervient également en cas d’infraction grave ou mixte771. Ainsi, la police et le juge ont des pouvoirs coercitifs importants, qui ont été réaffirmés voire renforcés par la s.3 (2) de la loi sur la Poursuite pénale de 1985 (Prosecution of Offences Act 1985) 772.

Une législation s’avère le plus souvent nécessaire lorsque certains domaines font problème ou sont jugés, de par leurs conséquences sur les droits et libertés du citoyen, sensibles773. En l’absence d’une législation bien établie, la solution du conflit doit être recherchée dans la jurisprudence774 : en effet le juge anglais, à travers les décisions de justice qu’il rend, participe de manière significative à une protection efficace des libertés publiques. Cela s’explique en partie par l’absence de déclaration des droits et libertés du citoyen. Toutefois, cet état du droit anglais doit de nos jours être quelque peu nuancé.

Le principe fondamental du droit public anglais à savoir, comme l’écrit W. Ivor Jennings775, la “suprématie du Parlement” (qui comprend la Couronne, la Chambre des Lords et la Chambre des Communes) demeure776, mais exige d’être quelque peu relativisé. La Convention européenne des droits de l’homme de 1950, ratifiée dès 1951 par le Royaume-Uni, qui par ailleurs a admis le recours individuel en 1966, n’a pas d’effet direct. Si elle n’est pas d’applicabilité directe, elle n’en n’a pas moins une influence grandissante sur le droit anglais777. Le Parlement, lorsqu’il légifère, notamment en matière criminelle, ne peut pas ne pas prendre en considération la jurisprudence de la Commission ou de la Cour européenne des droits de l’homme. La même remarque peut être faite à l’égard du juge anglais. Et ce d’autant plus que le Royaume-Uni s’est vu condamner à plusieurs reprises778, suite à certains manquements aux règles posées par ladite Convention.

La Cour européenne, soulignent certains auteurs779, appréhende de manière globale et concrète le procès pénal quant à “l’égalité des armes” des parties, au sens donné par la jurisprudence de la Cour780 . Cette question est notamment soulevée au cours de la phase préparatoire : la police anglaise, qui détient dans ce cadre l’essentiel des pouvoirs de poursuite et d’investigation, est l’institution concernée au premier plan par le respect des garanties d’un procès équitable, au sens de l’article 6 de la Convention.

La portée de certains pouvoirs de la police doit désormais être analysée, comme l’a fort justement montré M. L. H. Leigh, à la lumière de la Convention européenne781. La procédure criminelle ne peut méconnaître certains principes posés par ce texte, notamment à l’égard de l’activité policière782. Il n’existe certes pas un code de procédure pénale anglais, la codification porte un grand risque de rupture avec le passé “glorieux” du droit anglais. Il semble toutefois que l’on tende, avec l’influence de l’ordre juridique européen, vers un souci de codifier de telles règles783 dont les législations criminelles actuelles sont une prémisse.

Au sein de ces règles, se trouveraient définis, avec davantage de précision, les pouvoirs de la police et ce dans le but de se conformer au concept de “société démocratique” dégagé par les juges européens des droits de l’homme, dans les nombreux arrêts rendus. Cette tendance est renforcée par la conception “concrète “ du procès pénal qu’ont ces juges, dans l’examen qu’ils effectuent quant à la compatibilité de la législation nationale avec la Convention, au contraire de l’analyse in abstracto qu’opèrent les juridictions nationales, en particulier constitutionnelles, des Etats membres784

L’Angleterre n’a certes pas de constitution écrite et donc n’a pas à établir un contrôle de constitutionnalité des lois parlementaires (définies par ailleurs comme souveraines), à l’image de ce qui existe en France. Toutefois, cet état du droit est appelé à subir une importante modification. Le célèbre avocat Lord Lester a déposé, en novembre 1995, un projet de déclaration des droits (Human Rights Bill) auprès de la Chambre des Lords785, projet qui prévoit certaines dispositions qui conduisent pour l’essentiel à admettre, en droit interne, la suprématie des règles et de la jurisprudence de la Cour européenne. La plus notable des dispositions de ce projet est la création d’un droit de recours (constitutional tort ) contre les dommages causés par la violation, par les pouvoirs publics, des droits définis et protégés par la Convention européenne. L’incorporation progressive de la Convention par le droit interne anglais s’affirme donc786, ce qui tend à élargir les sources juridiques de l’action policière.

La police est concernée, au premier plan, par cette construction européenne des droits de l’homme787, en particulier à travers certains principes de procédure criminelle applicables au cours de la phase préparatoire. Parmi ces principes, la liberté individuelle est celle qui interroge plus spécifiquement l’action policière. La police doit assurer l’ordre public en vue d’une finalité libérale cardinale : la liberté. La police se doit de rendre effectif le principe de la liberté individuelle, dont l’exercice présuppose un cadre, c’est-à-dire exige le maintien d’un ordre public.

La conception libérale subordonne en effet l’ordre public à une finalité “absolue”, à savoir la garantie de la liberté. Cette finalité légitime les raisons d’existence de l’institution policière. Mais la police anglaise semble, sous la pression d’événements sociaux jugés préoccupants, avoir inversé ces présupposés libéraux. La liberté est subordonnée à l’ordre public. L’expression la plus visible de cette tendance à une “inversion des buts” est le Police And Criminal Evidence Act de 1984, loi qui sera par la suite désignée par les initiales PACE.

Notes
765.

V. Halsbury’s Statutes, Constitutional law, vol. 10, 4th. ed., p. 37.

766.

A ce sujet V. R.J. Sharpe, The law of Habeas corpus, Clarendon press Oxford, 1976, nota. Chap. VII “Restraint of Liberty as a Basis for the writ”, p. 158 et s.

767.

Dont le titre exact est ”Loi pour la déclaration des droits et libertés du sujet et pour le règlement de la succession de la couronne”.

768.

Dont le titre exact est “Acte pour une nouvelle limitation de la Couronne et une meilleure garantie des droits et libertés du sujet”.

769.

Les “4 de Guilford, les “7 Maguire” et les “6 de Birmingham” ont montré les défauts de la procédure pénale anglaise, ce qui a conduit à la mise en place de la Royal Commission on Criminal justice en 1991 ; pour de plus amples détails, V. Antoine J. Bullier, “La Royal Commission on Criminal justice”, RSC (1), janv.-mars 1993, p. 167 et s.

770.

L.H. Leigh, “L’enquête préliminaire en droit anglais”, in Rev.intern. dr. pén., “La phase préparatoire du procès pénal”, Vol.56, n°1-2, 1985, pp 313-329.

771.

Il existe trois catégories d’infraction, déterminées soit par la loi (statutory offence) soit par la jurisprudence (common law offence) : “indictible offences” (infractions graves) où la compétence appartient à la Crown Court, “summary offences” (infractions sommaires) où les magistrate’s court sont compétentes, et enfin “either way offences” (infractions mixtes) où la compétence est soit de l’une ou l’autre “court”. V. Criminal Justice and Public Order 1994.

772.

Cette section précise que le Directeur des poursuites (Director of Public Prosecutions) ne fait que prendre en charge les poursuites initiées par la police ; celle-ci ne peut être contrainte à déclencher les dites poursuites. V. Halsbury’s statutes of England and Wales, Criminal law, vol. 12, 4th. ed., London, Butterworths, 1994, p. 937.

773.

Nous pouvons donner deux exemples sur lesquels nous reviendrons par la suite,  la loi de 1984 relative à la police et aux preuves pénales et celle de 1985 instituant un semblant de “ministère public” .

774.

“Le système anglais”, in M. Delmas-Marty (dir.), Procédures pénales d’Europe, PUF, Coll. Thémis Droit privé,1995, pp 125-172.

775.

W. Ivor Jennings, “Les caractéristiques du droit public anglais”, Recueil d’études en l’honneur d’ Edouard Lambert, “Introduction à l’étude du droit comparé”, tome II, LGDJ, Rec. Sirey, 1938, p. 341.

776.

Toutefois depuis les Parliament Acts de 1911 et de 1949, qui limitent les prérogatives de la Chambre des Lords, le pouvoir législatif est essentiellement détenu par la Chambre des Communes.

777.

Il faut également avoir à l’esprit que la rédaction de la Convention de 1950 a subi une influence importante des conceptions du droit anglais, en particulier relativement aux mécanismes de protection des droits (art. 5), V. R. Pelloux, “Les mécanismes de protection prévus par la convention européenne des droits de l’homme à la lumière du droit comparé”, Etudes offertes à Jacques Lambert, éd. Cujas, CNRS, 1975, pp 681-690.

778.

De 1974 à 1995, sur 78 arrêts rendus par la Cour Européenne des droits de l’homme, 37 concernaient le Royaume -Uni. Les domaines visés sont, pour l’essentiel le droit des détenus, le droit des étrangers. A ce sujet, voir l’ étude de J. Brannan, The status of the european convention on human rights under united kingdom law -Incorporation, compliance or withdrawal ?, Univ. Lyon III, Institut de droit comparé, 1995, p. 61.

779.

V. Dervieux, B. Pesquié, “La Cour européenne des droits de l’homme et la recherche comparative”, Arch. pol. crim., n° 15, éd. Pédone, 1993, pp 55-63. Souligné par nous.

780.

Arrêt Lamy c/ Belgique, CEDH, 30 mars 19989, série A, n° 151 et arrêt Motta c/ Italie, CEDH, 19 fév. 1991, série A, n° 195-A.

781.

V. l’analyse assez exhaustive établie par L.H. Leigh, “La procédure pénale anglaise à la lumière de la Convention européenne des droits de l’homme”, RSC, juil.-sept. 1988, pp 453-467.

782.

L.H. Leigh, “La Convention européenne des droits de l’homme. Des délais en matière de rétention policière, garde à vue et détention provisoire. Note sur le droit anglais”, RSC, janv.-mars 1989, pp 45-53. 

783.

Avant même cette influence du droit européen, la Law Commission 1965 a procédé à quelques codifications ; V. L. Neville Brown, C.A. Weston, “Législation comparé- Grande-Bretagne, J. Cl. Droit comparé, 1990, p (3).

784.

V. Dervieux, B. Pesquié, op. cit., p. 58.

785.

J. Brannan, op. cit., p. 49. Ce projet, adopté par la Chambre des Lords, n’a pu être discuter par la Chambre des Communes, faute d’avoir été déposé avant la fin de la session parlementaire. Il peut être à l’avenir repris en l’état, en particulier par la majorité parlementaire travailliste issue des élections législatives de 1997.

786.

Vu le cadre limité de notre étude, la démonstration ne peut être faite ici, nous renvoyons pour cela à l’analyse minutieuse effectuée par J. Brannan, auteur précité .V. égal. récemment, J. Wadham, “Bringing rights home : Labour’s plans to incorporate the European Convention on Human Rights into U.K“, Public Law,  spring 1997, pp 75-79 .

787.

J. Alderson, Les droits de l’homme et la police, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1984, p. 11.