Sous-section 2 : La loi de 1984 sur la Police et les Preuves pénales

La légalisation des pouvoirs de la police a renforcé la légitimité de l’institution, et partant l’extension de ses compétences, avec un souci toutefois d’améliorer les relations entre la force publique et le citoyen, et cela en particulier à l’égard des minorités. C’est en ce sens que la loi a ressenti “‘le besoin de protéger le citoyen contre une atteinte excessive à sa liberté, surtout parmi les personnes jeunes et les minorités raciales qui, fréquemment, pensaient être excessivement harcelées par la police’“788. A la lecture des dispositions contenues dans la loi de 1984, nous constatons en fait que la plupart des recommandations du rapport Scarman, et relatives aux pouvoirs juridiques de la police intéressant de près les minorités, ont été reprises par le législateur.

La garantie de ces droits et libertés de la personne, est, de manière assez symbolique, “reléguée” dans des textes annexes. Cette garantie est en effet inscrite dans des décrets d’application qui prennent la forme de codes de pratique (codes of practice). La portée juridique de ces codes est assez faible, ils forment en quelque sorte un sorte de guide, ou mieux, des codes de “bonne conduite” à l’usage des agents de police. 

L’histoire de la police anglaise peut être lue à travers l’histoire de l’office, au sens de fonction, du “ constable 789 : évoquer les pouvoirs de la police anglaise c’est évoquer les pouvoirs du policier de base, le constable. La loi de 1984, qui légalise pour la première fois les pouvoirs de la police, ne semble pas manquer à cette règle.

La police anglaise est d’une création toute pragmatique : ce sont d’abord des citoyens ordinaires qui peu à peu ont acquis un statut particulier, statut qui dérive pour l’essentiel de la common law. Le “parish constable ”, agent non professionnel à la compétence territoriale limitée mais aux pouvoirs assez importants, a, dès l’origine, la charge de préserver la paix publique (the preservation of the Queen’s peace)790, et secondairement d’exécuter les ordres et les mandats délivrés par les “Justices of the peace” (juges de paix). A cette période dite du “common law constable” va succéder, à partir du XIX° siècle, un véritable statut professionnel celui du “police constable”, sous l’effet notamment d’une institutionnalisation progressive des forces de police. Le constable exerce son office en tant que “serviteur de la Couronne”. Sa mission essentielle est la recherche d’infractions et la surveillance préventive. Il lui est statutairement reconnu une liberté dans ses activités professionnelles, et en particulier judiciaires. La conséquence majeure est le développement important de son activité judiciaire, qu’affirme par ailleurs avec force la loi de 1984, au détriment d’une activité que l’on pourrait qualifier de police administrative. Les pouvoirs de l’agent, qui appartient désormais à une organisation policière moderne (“Home Office”, “Police authority” et “Chief constable”), s’inscrivent dans un cadre légal et jurisprudentiel qui s’est élargi sous la pression d’une criminalité sans cesse croissante. Par l’absence de catégories d’officier ou d’agent de police judiciaire, tous les policiers, quel que soit leur grade, exercent les mêmes pouvoirs. La loi habilite tout policier à procéder à des actes de police judiciaire. C’est davantage le degré de responsabilité qui distingue les différents corps de police. Ce pouvoir de police et de responsabilité semblent se refléter dans la terminologie même des grades allant du moins élevé au plus élevé : le constable et le chief-constable.

Enfin, soulignons le fait, qui nous semble essentiel et sur lequel nous reviendrons par la suite, que tout policier anglais débute sa carrière par le grade le plus bas, à savoir celui de constable. Il s’agit pour l’essentiel d’un recrutement policier à la base.

Le législateur du XIX° siècle n’a pas seulement établi une “nouvelle police”, il a également multiplié le nombre des agents de la force publique en créant le statut des “special constables”, agents non rémunérés, dont les conditions de nomination791 et l’étendue des pouvoirs les rapprochent statutairement des “police constables792. Ce rapprochement entre les fonctions exercées par les “police constable” et les “special constable” peut s’observer au regard de la mission dévolue à ces derniers. Ces citoyens volontaires effectuent ainsi le plus souvent, et ce de manière régulière, certaines tâches sur la voie publique ou encore dans des postes de police. En pratique, la distinction des pouvoirs de ces deux types d’agents est délicate à faire. Les “Specials” ont en effet des pouvoirs identiques, notamment en matière d’arrestation (Arrest), à ceux des constables ; le public établit difficilement une distinction entre ces agents lorsque, par exemple, il saisit l’Autorité des plaintes contre la police suite à un acte de police qu’il estime illégal .

La compétence ratione loci d’un membre de la force publique ne se limite désormais pas à la seule zone d’action de la force à laquelle il appartient, mais peut s’étendre sur le territoire d’autres forces de police. L’agent de police détient et exerce ainsi tous les pouvoirs qui lui sont reconnus à la s.19 (1) du Police Act 1964 . Certes, la fonction générale de maintien de la paix publique demeure, mais pour remplir cette mission, des pouvoirs particuliers sont attribués à l’agent de police. Ce renforcement des pouvoirs juridiques de l’agent trouve son fondement dans le fait que le premier devoir de l’agent de police est la prévention du crime.

Ainsi, s’il juge, de manière raisonnable, que l’action d’un individu est un risque d’atteinte à la paix publique, son statut l’oblige à prévenir, à empêcher ou à mettre fin à un tel agissement793. L’autre devoir qui lui incombe légalement est la sécurité des personnes et des biens (protection of life and property)794. En ce sens, il détient des pouvoirs assez larges pour faire respecter les règles relatives au code de la route, ce large pouvoir de contrôle des conducteurs de véhicules s’inscrit dans ce cadre général de protection de la vie des personnes795. L’agent peut demander, dans l’exercice de ses fonctions légales, l’assistance d’un citoyen ordinaire ; le refus d’assistance de ce dernier peut engager sa responsabilité pénale796. Enfin les “police cadets797, jeunes élèves-agents de police, placés sous l’autorité du chief constable, participent, sous certaines conditions et dans le respect de la durée de travail définies au plan réglementaire798 , au maintien de la sécurité publique.

La notion de “constable” est au fond assez extensible : toute personne appelée à participer un temps soit peu à certaines missions dévolues au “police constable” exerce par là même les attributions qui y sont afférentes et est soumis par conséquent à certaines règles, qui sont normalement destinées aux seuls agents “officiels” (s. 51 (1), (3) de la loi de 1964). La notion de Constable s’entend ainsi comme une fonction de droit ou de fait.  On peut l’illustrer, par l’exemple bien connu mais rarement exercé en fait, à savoir l’exercice du pouvoir d’arrestation. Ce pouvoir n’est pas un “pouvoir propre” de la police, au sens de privilège attribué au seul policier mais est également un pouvoir accordé à tout citoyen. Dans ce cadre, ce dernier connaît, en cas d’atteinte à sa personne, la même garantie et protection pénale que celle d’un agent de police officiel.

L’évolution retracée ici brièvement paraît montrer l’importance, de par leur nombre et leurs larges attributions, des pouvoirs de la police anglaise. Cela tend à relativiser les effectifs, souvent minorés, des agents de police anglais799

Les pouvoirs de tous ces agents qui se recoupent pour l’essentiel, trouvent leur fondement juridique dans des textes qui manquent pour le moins d’unité. Le découpage de ces pouvoirs semble plus fonction de l’efficacité dans la poursuite des différentes infractions que de la nécessité de mise en ordre législative de l’action de la police. Une définition légale et cohérente des pouvoirs des agents de la force publique aurait l’avantage de répondre à un meilleur souci de protection juridique du citoyen. C’est à cette dernière oeuvre de “compilation” et de clarification de textes que s’est attelé, dans le but de renforcer et de garantir les droits du citoyen, le législateur de 1984.

Il nous paraît nécessaire de retracer ici les principales dispositions de cette dernière loi pour en saisir toute la portée, notamment à l’égard des minorités. C’est pourquoi sont ici évoqués les pouvoirs susceptibles de concerner davantage ce public spécifique : l’interprétation des pouvoirs de contrôle sur la voie publique, ceux relatifs à l’arrestation, ainsi que des conditions d’usage de la force policière800

La loi de 1984 est issue en grande partie des recommandations émises, dans son rapport de 1981, par la Commission royale sur la procédure criminelle (Royal Commission on Criminal Procedure)801, instituée en 1978 à la suite de l’ “affaire Confait” (the Confait case)802, affaire qui sera à l’origine de l’institution de la Commission Fisher803

La Commission royale sur la procédure criminelle, au lieu de souligner en premier lieu le principe fondamental de garantie des droits de la personne appréhendée par la police, relève au contraire la contradiction, jugée tout aussi fondamentale selon elle, entre, d’une part, les intérêts de la communauté dans la poursuite et la mise à disposition de la justice des auteurs d’infraction, et, d’autre part, les droits et libertés de la personne suspectée ou accusée de crime. Cette démarche amène subrepticement à porter l’attention sur les nécessités de la pratique policière, qui, jugées en décalage par rapport aux textes en vigueur, méritent d’être davantage prises en considération par le législateur. Le principe général de liberté est quant à lui défini au regard de ce but, à savoir la maintien de la sécurité publique. 

Le gouvernement conservateur de l’époque reprend à son compte les conclusions de ce rapport, notamment le concept de “balance” (principe d’équilibre) dégagé par la Commission, c’est-à-dire l’idée contradictoire précédemment soulignée, dans le but de mieux justifier une extension des pouvoirs de la police. La loi de 1984 semble ainsi s’organiser autour d’une double finalité qui ne font en réalité qu’une, la loi et l’ordre (“law and order”) : à la justice pénale l’application de la loi, à la police le maintien de l’ordre public. Ce principe affirmé de la loi et l’ordre est davantage mis en avant que celui du souci de garantie des droits et libertés de la personne présumée innocente.

Les occasions de l’exercice du pouvoir légal de contrainte se sont en effet multipliées, ainsi que le nombre de cas d’usage de la force, qui devient dès lors plus fréquent. Les pouvoirs de contrôle sur la voie publique et d’arrestation804 illustrent bien cette évolution, comme nous le verrons par la suite. A cette loi, sont ainsi annexés des codes de pratique, dont l’examen montre, malgré tout, un souci général de sauvegarde des droits de la personne appréhendée par la police.

Le code de conduite, de nature réglementaire, ne modifie guère le schéma de l’ ”inversion des buts” de la police libérale précédemment exposée.

Les pouvoirs de la police sont pour l’essentiel contenus dans la loi, les garanties des droits de la personne sont inscrits dans le code, qui par ailleurs possède une faible valeur juridique. Ainsi, une mauvaise interprétation ou application de ce code ne lie pas l’agent de police. Celui-ci n’est en effet pas justiciable des tribunaux civils ou pénaux en cas de manquements graves à certaines dispositions du code. Par contre, des procédures disciplinaires peuvent être diligentées à l’encontre de l’agent fautif. Ce code affiche une volonté de protection contre certains abus des pouvoirs de la police. Il se fonde sur l’idée selon laquelle, ces règles de conduite peuvent agir sur les comportements déviants des agents de police. Ainsi, à terme est attendue une forme d’adhésion à certains standards quant à l’exercice correct de l’autorité. Ce souci traduit également la recherche d’une égalité de traitement, sans considération de l’origine ou de la qualité de la personne.

Le passage d’un strict respect de la liberté, à un souci plus affirmé d’une égalité de traitement, peut être saisi dans l’évolution actuellement constatée d’une réglementation progressive et détaillée des pouvoirs de la police. L’intérêt jusque là porté par les juristes anglais au seul principe de liberté semble se compléter voire parfois laisser place à un souci grandissant de recherche d’une égalité de traitement. En effet, pendant longtemps, la phase policière était peu réglementée, ce qui a suscité des atteintes graves à certains droits fondamentaux. L’irruption de certaines affaires mettant en jeu le respect de la personne arrêtée, interrogée ou gardée à vue, ont nécessité la mise en place de commissions officielles dont la tâche a, pour l’essentiel, consisté à réfléchir à une redéfinition de certains pouvoirs de la police805 ainsi qu’au renforcement des contrôles opérées à l’égard de cette institution806

Le principe de liberté, pour qu’il ait quelque peu une réalité dans une société anglaise devenue hétérogène par la présence de “minorités ethniques”, tend à prendre en considération la situation concrète des individus, et ce notamment au cours de la phase policière du procès pénal. Cet effort de recherche d’une garantie des droits des individus doit néanmoins se concilier avec la priorité actuelle, exprimée par le principe dit de la loi et l’ordre (“law and order” ). La loi de 1984 met en avant un souci croissant de lutte contre la criminalité, dont la montée est jugée préoccupante. La loi anti-criminalité de 1998 (Crime and Disorder Act 1998), dont il sera parlé plus avant, ne fait qu’affirmer cette tendance.

En France, la lutte contre la délinquance quotidienne dite de “voie publique”, est devenue la préoccupation majeure de la police. Cette priorité affichée semble conduire à une évolution du droit de la police assez semblable, par certains aspects, de la situation que connaît la police anglaise.

Notes
788.

A. Reid, “Un nouveau départ dans la procédure pénale anglaise : le “Police and Criminal Evidence Act” “, RSC (3), juil.-sept., 1987, p. 578.

789.

Il est ainsi assez révélateur que les lois générales relatives à la police traitent longuement, avant l’organisation et le fonctionnement de cette institution, du statut de “constable ; V. Peter Harvey, Police, in Halsbury’s Laws of England,, 4th ed., vol. 36,1981, pp. 201-220. Le terme “constable” semble d’origine française et son apparition date du XIII° siècle.

790.

Cette fonction fondamentale a très tôt été définie par le juge : Glasbrook Bros Ltd v. Glamorgan Council (1925) AC 270 at 277, HL ; Rice v. Connoly (1966) 2 QB 414 at 419, (1966) 2 All ER 649 at 651, DC. Ibid., para.320.

791.

Police Act 1964, s.16 (1), s. 18, et s. 34 (1).

792.

Qui connaissent par ailleurs une protection pénale assez identique, V. Police Act 1964 s.53 (2).

793.

Duncan v. Jones (1936) 1 KB 218, DC ; Beaty v. Gillbanks (1882) 9 QBD 308 ; Wise v. Dunning (1902) 1 KB 167 DC ; Thomas v. Sawkins (1935) 2 KB 249, DC.

794.

Haynes v. Harwood (1935) 1 kb 146, CA.

795.

V. Peter Harvey, op. cit., para.328.

796.

R. v. Brown (1841) Car & M 314.

797.

Police Act 1964 s.17 (1). Les postulants à la fonction de constable doivent être âgés entre 16 à 18 ans, et remplir les conditions fixées par la loi de 1964.

798.

V. Police Cadets Regulations 1979, SI, 1979 No 1727, reg.7.

799.

En 1994, on évalue la police anglaise à environ 125000 agents, auxquels il faudrait en fait ajouter 40 à 45000 agents administratifs (“civilians”) et 15 à 20000 “Special constables”. En France, on trouve 215000 agents de forces de police, dont 125000 à la Police Nationale et 90000 à la Gendarmerie Nationale. V. P. Meyzonnier, Les forces de police dans l’Union européenne, IHESI, L’Harmattan, 1994, respect. p. 331 et p. 120 .

800.

Ce sont là quelques aspects “problématiques” des pouvoirs de la police à l’égard des minorités ethniques, V. David J. Smith, J. Gray, Police and people in London : a survey of Londoners, The PSI report, Aldershot Gower, 1985, 602 p .

801.

Royal Commission on Criminal Procedure, Report 1981, Cmnd. 8092.Cette Commission inscrit une évolution importante de l’action policière : du rôle classique d’assistance et plus généralement “social” (cf. rapport Royal Commission on the Police 1962) de la police, on semble assister, depuis les années 70 environ, à un rôle plus affirmé de la police en matière de lutte contre la criminalité.

802.

En 1972, trois jeunes gens âgés de 18, 15, et 14 sont accusés du meurtre du jeune Maxwell Confait. En 1975, Il s’est avéré que ces derniers n’avaient aucune responsabilité dans ce crime, et que la police a produit de faux témoignages lors des interrogatoires. L’émotion suscitée par ce “scandale” a conduit à une compensation financière du préjudice subi par ces “victimes malgré elles”, réparation qui n’interviendra qu’en 1981.

803.

V. Report of an Inquiry by the Hon. Sir Henry Fischer into Circumstances Leading to the Trial of three persons on Charges arising out of the death of Maxwell Confait , Session 1977/78, H.C. 90., cité par L.H. Leigh, art. cit., 1985, p. 205 .

804.

Pour la notion de “power of arrest”, V. G. Williams, Criminal law,  2° ed., Stevens & Sons Limited,1961, p. 213, n. 74.

805.

V. Le rapport officiel de 1993 présenté par Antoine J. Bullier, “Le rapport de la Royal Commission on Criminal justice“ RSC (1), janv.-mars 1994, p. 166. V. égal. l’analyse intéressante de P. Alldridge, “Reform movements in criminal procedure and the protection of human rights in England”, Rev. intern. dr. pén., vol.64, n° 3-4, 1993, p. 1115.

806.

V. Rapport Scarman de 1981.