Sous-section 2 : La loi relative à la sécurité du 21 janvier 1995

C’est autour de la notion de sécurité que semble désormais s’organiser le cadre d’action et l’exercice des pouvoirs de la police. A la finalité première qui est d’assurer la sécurité, entendue dans le sens du maintien de l’ordre et de la paix publics, est subordonnée la protection des personnes et des biens. La sécurité, érigée en droit fondamental, détermine la liberté individuelle.

L’article premier de la loi de 1995 pose les principes d’action de la police nationale : “l’Etat a le devoir d’assurer la sécurité en veillant, sur l’ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre publics, à la protection des personnes et des biens”. Il découle de cette affirmation solennelle du législateur toute une série de dispositions, qui n’apparaissent, à l’analyse, que comme la mise en oeuvre progressive de ces principes.

Les articles 2 et 3 de la loi définissent les orientations de la politique de sécurité pour les années 1995 -1999835. Est ainsi évoqué l’extension à l’ensemble du territoire d’une “police de proximité”, c’est-à-dire d’une police dont la préoccupation majeure est de répondre aux attentes et besoins des personnes en matière de sécurité.

L’autre souci, auquel le texte tente de répondre, est le renforcement et le maintien de la sécurité par des mesures importantes d’affectation du personnel de police. Viennent ensuite les cinq missions prioritaires de la police nationale (Art. 4). Parmi ces missions, qui, est-il précisé, doivent être exercées dans le respect du Code de déontologie836, la lutte contre les violences urbaines, la petite délinquance, et la lutte contre l’emploi des clandestins et le contrôle de l’immigration, semblent faire l’objet d’attention et de préoccupation particulières de la part des pouvoirs publics837. Dès lors, toute mission ainsi définie ne se fixe pas pour but principal la garantie de la personne, mais le maintien de la sécurité dans le cadre et le respect de certaines règles protectrices des libertés publiques. Ce qui fondamentalement modifie la portée des compétences policières.

La notion de sécurité n’est pas seulement l’expression d’un souci de lutte contre le sentiment d’insécurité et de violence urbaine. Elle est également la traduction de cette évolution inscrite dans les textes, notamment depuis le code de 1958, à savoir un élargissement des pouvoirs des agents de la force publique en vue d’une finalité “extensible” : la sécurité. Cela conduit à renforcer l’autorité de l’Etat en matière de sécurité locale : le préfet, qui dirige les forces de police au niveau départemental, obtient de la loi une compétence générale d’animation et de coordination en matière de prévention de la délinquance et de l’insécurité.

Le préfet a également le pouvoir de fixer les missions des forces de police dans le domaine de la sécurité publique ; les responsables locaux de la police d’Etat rendent compte de l’exécution des orientations définies par l’autorité préfectorale838. Ce renforcement des attributions du préfet (art. 6) s’effectue au détriment des pouvoirs de police du maire. Ce dernier ne devient qu’un associé et n’a qu’un simple rôle de participation dans le cadre des programmes de prévention de la délinquance (art.7). Et ce d’autant plus que les règles relatives à l’institution d’un régime de police d’Etat ont été redéfinies839 (art. 8).

L’institution d’une police d’Etat n’est désormais plus saisie à travers la notion de seuil démographique (fixé par la loi de 1941 à 10 000 habitants), mais après une analyse de la situation de la commune au regard de la sécurité. Cette analyse se fonde pour l’essentiel sur un critère assez difficile à saisir, à savoir celui du besoin en matière de sécurité, qui s’apprécie notamment à travers certains critères tels que le cadre et le lieu d’implantation de la commune, les caractéristiques de la délinquance, les mouvements de population (Art. L 132-6 Code des communes). Ce régime est institué par arrêté conjoint des ministres compétents à la demande du conseil municipal ou après son accord. Dans le cas contraire, il est établi par décret en Conseil d’Etat. La suppression d’un tel régime obéit à la règle du parallélisme des formes, et s’opère donc dans les mêmes formes et selon les mêmes critères.

Ce régime nouvellement institué par la loi de 1995 paraît le plus souvent favorable à l’Etat, qui détient, en matière de sécurité, un large pouvoir et une forte capacité d’expertise. Le principe posé par la loi, selon lequel la sécurité est une prérogative souveraine de l’Etat, est ainsi pleinement sauvegardé.

La loi de 1995 marque ainsi une évolution importante en réaffirmant les missions prioritaires des agents de police, mais également et de manière indirecte, de la gendarmerie840 . La notion de sécurité dont il est sans cesse fait référence, mais qui ne reçoit aucune définition juridique précise, semble fonder ces priorités affichées. La sécurité légitime aussi l’intervention d’autres institutions publiques ou privées et conduit le plus souvent, de par le flou sémantique qui l’entoure, à une extension des pouvoirs des agents de la force publique. Cet élargissement des pouvoirs de la police s’effectue parfois au détriment de l’exercice des libertés publiques : l’évolution actuelle semble en tout cas subordonner la liberté individuelle à une finalité, affirmée de manière solennelle par le législateur de 1995, la sécurité.

C’est ce cadre juridique général qu’il faut avoir à l’esprit pour saisir la portée de certains pouvoirs de la police, notamment à l’égard des minorités, ce dont il va à présent être question.

Notes
835.

Ce texte se fixe pour but d’appréhender, selon les termes de M. Ch. Pasqua, ministre de l’Intérieur, “l’ensemble des composantes d’une politique de sécurité moderne”, JO Déb. A.N, 1ère séance du 5 oct. 1994, pp 4921-4922.

836.

Le code fixe globalement les mêmes priorités aux missions de la police nationale.

837.

Il faut resituer cette priorité définie par la loi de 1995 dans le cadre du dispositif général dit des “lois Pasqua”, à savoir les réformes du code de la nationalité, du statut des étrangers et des contrôles d’identité, toutes intervenues au cours de l’année 1993.

838.

V. la loi de 1995 complète le titre III de l’art. 34 de la loi n°82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions par quatre nouveaux alinéas qui globalement renforcent les pouvoirs du préfet.

839.

Le régime de police d’Etat fixé par la loi de 1941 portant organisation générale des services de police en France, ainsi que l’art. 88 de la loi n°83-8 du 7 janv.1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat, qui posait les conditions d’une telle institution, sont abrogés par l’art. 35 de la loi de 1995. Les critères désormais retenus pour ériger une telle police est la situation de la commune au regard de la sécurité.

840.

La loi évoque l’intervention conjuguée de la police et de la gendarmerie en certains domaines (art. 23, service d’ordre), (art.26 recherches de personnes disparues), mais également dans la lutte contre les violences urbaines, mission essentielle fixée par le législateur aux agents de la force publique. A cet égard V. Décret n°96-828 relatif à la répartition des attributions et à l’organisation de la coopération entre la police nationale et la gendarmerie nationale, J.O du 21 septembre 1996, p. 14 041.