Sous-section 1: L’arrestation pour infraction mineure ou sérieuse

Le pouvoir dit de “Powers of arrest”, consiste, comme le précisent les auteurs anglais J. Smith et B. Hogan1036, en l’arrestation sans mandat de l’auteur présumé d’une infraction punissable d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Ce pouvoir est souvent jugé comme celui qui paraît le plus susceptible de porter gravement atteinte à la liberté individuelle1037. La légalisation de ce pouvoir a été dans le sens de son élargissement1038

La loi de 1984 a inscrit l’infraction pénale dans trois catégories possibles : “arrestable offence”, “serious arrestable offence” et celles qui ne sont ni dans l’une ou l’autre de ces catégories (offences tribale either way )1039.

La section 24 de la loi1040 définit de manière simple le pouvoir dit “summary arrest”, c’est-à-dire l’arrestation sans mandat qui fait suite au constat d’une infraction ressortissant de la première catégorie, à savoir “arrestable offence”, c’est-à-dire toute infraction dont la peine est fixée par la loi et qui s’élève à cinq ans d’emprisonnement minimum. Cette infraction entraîne l’arrestation1041. Ce pouvoir est en revanche fort délicat à saisir en pratique.

Cette catégorie d’infractions est celle dont les peines sont déterminées par la loi et passibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement, ou encore définies par des textes spéciaux1042. Nous retenons essentiellement ici les infractions incluses dans la première et troisième catégorie précédemment soulignées1043. Est ainsi défini d’ ”arrestable offence”, toute infraction qui est “serious arrestable offence1044 en certaines circonstances.

Le rapport Philips de 19811045, à l’origine de la loi de 1984, s’est interrogé quant à savoir si l’exercice du pouvoir de contrainte ne doit pas au fond se justifier pour une certaine catégorie d’infraction. Il consiste à se demander si l’étendue du pouvoir de coercition n’est pas appelée à varier avec la nature de l’infraction. C’est ainsi qu’est suggérée l’idée de créer une nouvelle catégorie d’infraction qualifiée de grave (grave offences ). Ces grave offences autorisent le recours au pouvoir de contrainte, c’est-à-dire sans consentement de la personne. Sans consentement de la personne signifie, précise deux auteurs1046, que la police n’agit que dans la seule cadre de la coercition. Le gouvernement suivra la Commission Philips en créant le concept fondamental de “serious arrestable offence “.

La première mouture du projet de loi de 1984 (Police Bill) précisait qu’une infraction est qualifiée de “serious offence” si l’agent de police la juge ainsi afin de légitimer une extension de ses pouvoirs, et ce dans le but de mettre fin à une atteinte grave à l’ordre public. Cette atteinte est elle-même “qualifiée” de grave au regard de la nécessité, dans laquelle se trouve l’agent de police, de préserver la “paix du royaume”.

C’est ainsi, qu’aux termes de la loi de 1984, le policier de base est souvent maître quant à la définition d’une infraction, c’est-à-dire de sa qualification pour la faire entrer dans telle ou telle catégorie juridique1047. Si la loi donne la liste limitative des infractions dites “sérieuses ou graves”1048, en revanche toute infraction peut être qualifiée ainsi, si elle a pour conséquence une “atteinte à la sécurité de l’Etat ou à l’ordre public” voire un “gain financier substantiel”, ou encore cause un préjudice grave à une personne, préjudice qui peut être d’ordre moral ou physique.

Toutes ces notions assez vagues acquièrent une portée juridique par un jugement subjectif du policier, qui décide de la signification à donner aux termes “sécurité de l’Etat ou à l’ordre public”, “substantiel” ou encore “préjudice grave”1049.

La portée juridique d’une telle démarche policière est non négligeable car elle autorise le plus souvent l’exercice de la coercition pour limiter la liberté du citoyen mais aussi le recours légal ou l’usage de la force à son égard.

Une telle interprétation du pouvoir de la police anglaise n’est pas dénuée de tout fondement puisque la loi de 1984 va jusqu’à définir les conditions générales d’arrestation (Arrest), qui pour l’essentiel se résument à la notion, pour le moins vague analysée précédemment, à savoir “la soupçon raisonnable”, ou plus précisément la notion relative aux “motifs de présomption raisonnables” (reasonable grounds for suspecting ).

Sur cette dernière notion, un auteur observe “qu’il ne suffit pas pour l’agent de police que la personne concernée ait commis ou s’apprête à commettre une infraction, il est exigé d’avoir un soupçon basé sur des éléments concrets qui se rattachent directement à la personne suspectée et soupçonnée, soupçon qui serait perçu tout autant par un observateur raisonnable et objectif“1050.

Cette dernière notion a été précisée par la Chambre des lords dans un arrêt rendu avant la loi de 1984, l’arrêt Holgate-Mohammed v. Duke1051, qu’il nous semble important d’évoquer ici.

Dans cette affaire, le policier, chargé d’une enquête portant sur un vol de bijoux, a jugé, plutôt que d’interroger la personne chez elle, plus opportun de conduire Mme Holgate-Mohammed au poste de police pour obtenir des aveux. Pour ce faire, il doit procéder à une arrestation sans mandat, au terme de l’article 2 (4) du Criminal Law Act 1967, qui dispose que, l’agent de police qui a “des motifs raisonnables de soupçonner que l’infraction commise entraîne l’arrestation sans mandat”, peut “arrêter sans mandat toute personne qu’il a des motifs raisonnables de soupçonner être coupable de ladite infraction”1052

Le pouvoir d’arrestation de l’agent s’inscrit dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire qui lui est légalement reconnu (police discretion ). La s. 28 de la loi PACE de 1984 pose un principe fondamental qui vient toutefois encadrer ce pouvoir discrétionnaire. Une arrestation n’est légale que si l’agent notifie à la personne qu’elle est en état d’arrestation et le motif de celle-ci doit être donné au moment où elle se déroule ou dès que possible. Un simple “je vous arrête“ (I arrest you) suffit, selon la jurisprudence1053.

L’appréhension de la personne en violation de la loi de 1984 constitue l’infraction de “Battery“, c’est-à-dire l’usage actuel et instantané de la force sur la personne d’autrui. Cette infraction recouvre, selon une jurisprudence, un large champ d’application, qui va de la prise ferme et déterminée de l’épaule du suspect, au besoin par la force, à un simple toucher1054.

De plus, les dispositions qui accordent à la police un pouvoir d’arrestation sans mandat doivent être strictement interprétées. Si une disposition paraît obscure ou ambiguë, l’interprétation qui doit être retenue, selon le juge Lord Diplock dans un jugement rendu en 1980, est celle qui fait prévaloir la protection des droits de l’individu, quitte à se référer à la common law si cette protection est mieux assurée dans ce cadre1055.

Le pouvoir discrétionnaire, pouvoir fondamental d’action s’il en est, doit aussi se soumettre à un principe qui délimite ou autorise l’exercice de ce pouvoir, à savoir le principe de proportionnalité, que l’on retrouve par ailleurs en droit français de la police. Le recours raisonnable à la force pour appréhender une personne sans mandat doit se mesurer à cette aune. Le terme “reasonable force “ s’entend alors ici comme ce qui est raisonnable ; et ce qui est raisonnable dépend des circonstances qui entourent le recours à la force. L’usage de la force doit se conformer au principe de proportionnalité. La force doit être proportionnelle à l’arrestation visée, elle doit être proportionnée.

Dans le cas contraire, la jurisprudence reconnaît à la victime un titre pour fonder son action civile sur le fondement d’un abus ou excès de force (use of excessive force)1056. Cette remarque a son intérêt car, soulignent deux praticiens du droit1057, la majorité des cas d’arrestation sont ceux qui s’exercent sans mandat sur la base d’une infraction dont la peine est définie par loi et qui appelle un emprisonnement d’au moins cinq ans (Arrest without warrant for an arrestable offence).

La juridiction suprême, pour établir si oui ou non l’agent a procédé à une arrestation légale, a fait application du principe dégagé auparavant par Lord Greene M.R dans l’affaire Wednesbury1058, à savoir que ce pouvoir discrétionnaire n’est fondé que s’il est exercé de bonne foi et raisonnablement ou de manière raisonnable. Les tribunaux inférieurs avaient retenu que l’agent de police, en procédant à l’arrestation de Mme Holgate-Mohammed, avait agi de bonne foi mais pas de manière raisonnable par l’absence de prise en considération d’éléments ou de faits pertinents. Faisait ainsi défaut ce second élément défini dans l’affaire Wednesbury précitée et le tribunal a par conséquent donné raison à la victime.

La Chambre des lords, sans exclure ce raisonnement, s’est surtout attachée quant à elle à mettre en balance la protection de la liberté individuelle et la nécessité pratique dans la recherche de l’infraction. Pour le juge suprême, l’arrestation sans mandat opérée par l’agent de police, était, en ce cas d’espèce, justifiée car elle a l’avantage, en interrogeant la personne présumée au poste de police, de produire un aveu plus circonstancié et surtout dénué de tout propos mensonger, risque que ne permettait pas d’écarter un interrogatoire qui aurait été conduit au domicile de la prévenue. L’appel de cette dernière fut de ce fait rejeté par la Cour suprême. Cet arrêt nous semble montrer l’importance voire la “surdétermination” des faits et circonstances dans l’exercice légal des pouvoirs juridiques des agents de police.

Ainsi le pouvoir d’arrestation s’exerce lorsque l’agent suspecte, de manière raisonnable qu’une infraction, qualifiée d’ “arrestable offence”, vient actuellement de se commettre ou va être commise. Le recours à la notion fondamentale de “reasonable suspicion” légitime l’appréhension, au besoin par la force, de l’auteur présumé de l’infraction. Cette force doit toutefois être raisonnable. C’est sur ces motifs que le constable doit fonder son jugement et donc son action, s’il veut appréhender tout individu suspect, au sens de la s. 25 (1) de la loi PACE. L’usage raisonnable de la force mérite que l’on s’arrête quelque peu sur la notion de “reasonable force”.

Au cours du débat parlementaire qui a précédé le vote de la loi de 1984, le gouvernement a retenu le cas de “résistance“ du citoyen comme critère justifiant l’usage nécessaire de la force1059. La notion de “reasonable force ” n’est jamais définie en soi, elle n’est le plus souvent saisie qu‘en référence à une autre notion celle relative à ”un usage excessif de la force” (“use of excessive force”).

La jurisprudence1060 a dans le passé défini la notion de “reasonable force”, en prenant en considération tous les éléments susceptibles de fonder juridiquement l’action coercitive du policier : sa volonté d’agir de manière objective, les circonstances de l’infraction, sa gravité, le risque de préjudice à l’égard des tiers, la possibilité ou non de prévenir l’acte criminel par d’autres moyens que la force.

Tous ces éléments ne pouvaient que renforcer la protection et la garantie des droits de la personne : le recours à la force doit se baser sur un critère de nécessité impérieuse. La loi de 1984, dans sa s.117, ne donne pas de précision quant à la limite et au degré acceptable de la force : c’est alors au juge de déterminer si un tel recours “raisonnable” à la force, est justifié et nécessaire. Mais le changement notable, depuis la loi de 1984, est que la marge de manoeuvre du juge est limitée, pour ne pas dire faible au regard d’un texte de loi, qui a sensiblement accru le nombre de cas de recours à la force.

Pour saisir l’étendue des pouvoirs de la police anglaise, et en particulier l’usage plus fréquent de la force, il ne faut pas se limiter au seul texte de loi de 1984 au sens strict, il faut également évoquer le code de conduite détaillé et précis à l’usage des agents de police, et dénommé le “Code of practice”. Ce code autorise parfois un tel usage de la force, pour, par exemple, prévenir, dans le cadre d’une arrestation, la fuite du suspect ou un risque de disparition des preuves.

Ce pouvoir d’arrestation existe également en France, mais diffère quelque peu dans son fondement.

Notes
1036.

Sir John Smith, Brian Hogan, Criminal law, 8th. ed. par J.C. Smith, Butterworths, 1996, p. 311, n. 6.

1037.

A cet égard V. I. Cooper, The individual and the law, London, Butterworths, 1979, pp 108-111.

1038.

Ce pouvoir d’arrestation sans mandat est affirmé dans le Criminal Law Act 1967. La même loi reconnaît également un tel pouvoir au citoyen ordinaire.

1039.

Avant la loi de 1967 citée ci-dessus, la distinction des infractions s’établissait entre les “felonies” (arrestation sans formalité) et les “misdemeanours “ (nécessité d’un mandat d’arrestation). Cette distinction est abolie par la s.2 de la loi de 1967, qui sera de nouveau modifiée par la s.24 de la loi PACE. Depuis cette dernière loi, toute personne suspectée d’avoir commis une “arrestable offence”, infraction punissable d’au moins de cinq ans d’emprisonnement et qui se distingue des “non-arrestable offences”, peut être arrêtée sans mandat. En pratique cependant, la distinction s’établit entre les infractions qui nécessitent une procédure simplifiée (“summary offences” jugées par les Magistrates’ courts), celles qui appellent une procédure normale (“indictable offences” jugées par la Crown court) et enfin celles qui sont dites mixtes (“either way offences” jugées soit devant les Magistrates’ court soit devant la Crown court). Dans le cadre de notre analyse, nous conservons la classification définie par la loi PACE de 1984. V. pour plus de détail, Sir John Smith, Brian Hogan, op. cit., pp. 27-28 ; J.R. Spencer, “Droit pénal”, in J.A. Jolowicz, op. cit. , p. 411, n. 501.

1040.

La section 24 (1), intitulée “Arrest without warrant for arrestable offences”, c’est-à-dire le pouvoir d’arrestation sans mandat, énonce : “The powers of summary arrest confered by the following subsections shall apply - (a) to offences for wich the sentence is fixed by law ; (b) to offence for wich a person of 21 years of age or over (not previously convicted) may be sentenced to imprisonment for a term of five years (or might be so sentenced but for restrictions imposed by section 33 of the Magistrates’ Courts Act 1980) ; and (c) to the offences to wich subsection (2) below applies, and in this Act “arrestable offence” means any such offence” .

1041.

Par exemple, selon la s. 24 de la loi Pace de 1984, le meurtre, la trahison, et plus généralement toute infraction dont la peine est au moins égale à cinq ans d’emprisonnement. V.M. Zander, op. cit., p. 175 ; M. Delmas-Marty (dir. ), op. cit., 1995, p. 621.

1042.

Par ex. la s.1(1) du Customs and Excise Management Act 1979 ; l’Official Secrets Act 1920 et 1989 ; Sexual Offences Act 1956, Theft Act 1968 et le Football (Offences) Act 1991. V.  s. 24 (2) (a) à 24 (2) (e) du PACE 1984.

1043.

C’est-à-dire les infractions relatives aux atteintes à l’ordre public poursuivies par la police et qui doivent être transmises au juge de paix, ainsi que celles qualifiées de vol, recel, trafic de stupéfiants... Pour plus de précision, V. R. Munday, “Procédure pénale”, in J.A. Jolowicz, op. cit. , p. 388, n. 484.

1044.

Pour le sens donnée à cette notion, V. s. 116 de la loi PACE 1984.

1045.

Report of the Royal Commission on Criminal Procedure, 1981, Cmnd, para. 3. 7, rapport déjà cité .

1046.

St. John Robilliard, J. Mc. Ewan, Police Powers and the individual, Basil Blackwelle Ltd, Oxford, 1986, pp 8-10 .

1047.

GLC, A Police Act 1984- A Critical Guide, Policing London, Eagle House Press, p. 9.

1048.

par ex. meurtre, attaques à main armée, infractions liées au terrorisme...

1049.

Ibid., p. 10.

1050.

H. Fenwick, op. cit., p. 319.

1051.

Holgate-Mohammed v. Duke, 1984, 1 All E.R. 1054.

1052.

V. Jurisprudence reproduite dans Ann. Lég. fr. étrang., Vol. XXXI, 1984, pp 508-509.

1053.

Alderson v. Booth ( 1969 ) 2 Q. B 216, cité et commenté par R. Clayton, H. Tomlinson, Civil Actions Against the police, Sweet & Maxwell, London, 1992, p. 163.

1054.

Collins V. Wilcock ( 1984 ) 1 WLR 1172, cité par R. Clayton,  H. Tomlinson, Suing the police, 1 st . ed., Longman, London, 1989, p. 3.

1055.

Lord Diplock dans IRC v. Rossminster (1980) AC 952, 1008, Ibid.

1056.

Allen v. MPC (1980) Crim LR 441. Ibid.

1057.

Ibid.

1058.

L’affaire Associated Provincial Picture Houses Ltd . V. Wednesbury Corporation, 1947, 2 All E. R.680.

1059.

GLC, op. cit., p. 13.

1060.

arrêt R. Shaw, ex p Kane (1915) 27 DLR 494 ; V. Halsbury statutes of England and Wales, op. cit. p. 921 .