Dans la situation juridique des deux pays, le pouvoir d’appréhender la personne présumée auteur d’une infraction, appartient en principe à tout citoyen.
En France ce pouvoir est défini à l’article 73 CPP précité, en Angleterre, toute personne exerce cette prérogative s’il constate et établit de manière raisonnable qu’il y a lieu à une “breach of the peace”. Dans ce cadre juridique, l’exercice de la contrainte voire de la force, mais aussi l’irresponsabilité en cas d’appréhension fondée sur des apparences trompeuses ou d’indices ambigus, n’est pas le privilège de la police. Ce pouvoir trouve toutefois une application assez restreinte1098 : cette disposition législative paraît davantage une représentation de l’image d’une police “citoyenne” proche des attentes de la population, que d’un pouvoir spécialement aménagé et dévolu au citoyen.
Ce qui semble commun, c’est l’usage mesuré de la contrainte voire de la force pour arrêter la personne suspectée de commettre ou d’avoir commis une infraction. A un niveau de gravité de l’infraction semble correspondre un degré de coercition exercé par les agents de police.
L’infraction sérieuse accorde les pleins pouvoirs à la police anglaise, une infraction mineure les restreint quelque peu. Le pouvoir d’arrestation de la police anglaise trouve à s’appliquer dans de nombreux cas1099, et peut également être élargi à certaines “non-arrestable offences”, qui sont des infractions qui ne tombent pas dans la catégorie des “arrestable offences”, mais qui ne remplissent pas moins les conditions générales posées par les textes pour opérer une arrestation.
Les circonstances de l’intervention policière paraissent ainsi davantage prises en considération que la catégorie d’infraction recherchée ou constatée. Toutefois, l’arrestation doit se réaliser de manière correcte : selon la s. 26 de la loi de 1984, il doit être signifié à la personne arrêtée qu’elle est en état d’arrestation et l’agent doit lui expliquer les motifs et les raisons de son arrestation.
En France, les catégories d’infraction définies comme un crime ou un délit flagrant puni d’emprisonnement, semblent établir également une telle distinction dans l’étendue des pouvoirs des agents de la force publique. La jurisprudence qui exige “un indice apparent” semble davantage aller dans le sens d’une multiplication des cas qui peuvent se présenter aux agents de police pour opérer une arrestation. Ce pouvoir d’arrestation paraît alors davantage déterminé par les circonstances de temps et de lieu que de la recherche d’une infraction bien définie.
La qualification précise de ces catégories d’infraction n’est pas aisée à établir par l’agent de police confronté à un événement auquel il doit répondre avec célérité. Nous pouvons observer avec M. Jean Paul Doucet qui, parlant du contexte de tension parfois aiguë de l’action policière, que plus “la menace présente un caractère imminent plus la riposte relève du simple réflexe et échappe dès lors au droit criminel”1100.
Pour épouser au mieux cette réalité de l’action policière tout en demeurant dans un cadre juridique libéral, le juge anglais ou la doctrine française ont construit peu à peu des notions susceptibles de répondre à ces deux critères. Les notions de “reasonable suspicion ” ou soupçon raisonnable et d’ “apparence” tendent chacune à leur niveau et au sein de leur propre ordre juridique respectif, à rechercher une conciliation entre la sauvegarde de l’ordre public et la garantie de la sûreté du citoyen.
Les juges anglais et français interviennent a posteriori pour requalifier, si besoin est, la lecture juridique policière qu’autorise ces deux notions. Les notions de “soupçon raisonnable“ et d’ “apparence“ sont essentielles. En effet, elles se trouvent au fondement même de l’exercice de la coercition voire l’usage de la force par les agents de police, dans leur pouvoir d’arrestation de l’auteur présumé de l’infraction.
Cet usage graduel de la force est à rattacher avec une notion commune et toute aussi fondamentale dans la pratique policière des deux pays : l’opportunité d’action ou encore l’action discrétionnaire de l’agent de police, ou en anglais “discretion”. Mais aussi, plus généralement, la force est justifiée par l’ordre de la loi et le commandement de l’autorité légitime. Toute infraction flagrante n’appelle pas, dans tous les cas, l’appréhension de son auteur présumé : il ne faudrait pas que la réaction policière aggrave davantage le désordre public qu’il s’agit de combattre. Si tout agent de la force publique doit agir, les circonstances de temps et de lieu facilitent ou non le recours à une norme de contrainte. Ainsi, se dégage implicitement l’idée d’un usage discrétionnaire de la force pour procéder à une arrestation pour infraction flagrante.
Cet exercice discrétionnaire du pouvoir de police est consubstantiel au système pénal d’une société libérale qui affirme ou reconnaît une certaine marge de liberté d’action des individus : la police ne peut prétendre contrôler et sanctionner toute violation à la règle pénale. De ce fait, elle ne peut se saisir que de certains faits de délinquance, avec le risque toutefois de s’attacher ou de porter son attention à certains comportements, c’est-à-dire indirectement à certaines catégories de population. L’intérêt porté à ces infractions qui désignent ces catégories vont de ce fait augmenter, au cours de la chaîne pénale, la représentativité de certains individus.
Dans le système juridique anglais, le rôle particulier de la police au cours du procès pénal, conduit à affirmer cette large opportunité d’action dans l’acte d’arrestation. Elle peut à cet égard décider de ne pas arrêter le suspect.
Mais l’arrestation, qui est une condition préalable à l’exercice de certains pouvoirs de police (interrogatoire, rétention dans un poste de police ou détention provisoire accordée par le juge avant l’audience), est en général un pouvoir auquel recourt le plus souvent la police anglaise1101. La critique toutefois du “police discretion” porte, nous semble-t-il, sur le risque d’un abus de pouvoir, notamment à l’égard des minorités ethniques : le policier anglais peut rechercher ou poursuivre, de par son pouvoir discrétionnaire reconnu, plutôt certaines infractions que d’autres. Il peut donc implicitement viser certains individus pour infraction mineure ou majeur par rapport à d’autres qui peuvent connaître une simple procédure d’admonestation. Le traitement différentiel est à l’heure actuelle une question soulevée par de nombreux juristes anglais1102.
En France, l’exercice par la police de son pouvoir d’arrestation, débute par la saisine des situations de fait de la flagrance ; c’est-à-dire trouve son fondement sur une présomption d’infraction et non en partant de la constatation bien établie d’une infraction déjà consommée. Une telle infraction conduirait alors à intervenir dans un cadre juridique précis et mieux défini par le code de procédure pénale, à savoir l’enquête de crime ou de délit flagrant.
La présomption d’infraction, guidée par l’apparence1103, permet à l’agent de la force publique d’apprécier l’opportunité de son intervention. Ce large pouvoir d’appréciation1104 est par ailleurs reconnu par le code de procédure pénale à la lecture des dispositions de l’article 53. Il s’agit ainsi d’un pouvoir laissé à la discrétion de l’agent, pouvoir qui se fonde sur les notions essentielles précédemment évoquées et qui à l’analyse semblent présentes dans les systèmes juridiques français et anglais.
Dans la pratique policière, on semble observer un choix de la police pour un cadre juridique aux pouvoirs de coercition étendus, cadre que permet notamment la saisine d’une infraction flagrante. Cette analyse nous paraît aussi conduire à admettre l’exercice d’un “pouvoir propre“ des agents de la force publique, reconnu par ailleurs par chacun de leur ordre juridique respectif.
Cette évolution d’une police aux pouvoirs légaux assez larges semble être confirmée, par le souci voire la mise en place de mécanismes de contrôle de l’institution policière. En effet, instituer un contrôle de la police c’est implicitement admettre ou reconnaître une réelle autonomie d’action des agents de police1105. Il s’agit alors de réguler ces pouvoirs juridiques des policiers de base, en les complétant au besoin par l’introduction de certaines règles au contenu déontologique affirmé, et ce en particulier dans le but de remédier aux risques de certains comportements policiers discriminatoires notamment à l’égard des minorités.
Ainsi, la contrepartie à ces compétences importantes attribuées aux agents de la force publique, est la mise en place d’un mécanisme de contrôle des pouvoirs juridiques des policiers.
Récemment, en Angleterre, la Cour d’Appel a interprété de manière restrictive ce pouvoir d’arrestation déclenché par le citoyen : R. v. Self (1992) 95 Cr. App. R. 42, cité M. Delmas-Marty (dir.), PUF, 1995, op. cit., p. 164.
La jurisprudence retient au moins 20 cas, R. v. Howell (1981) 3 All ER 383. Moss v. McLachlan (1985). 149 JPN 149 D.C, cité par A. Reid, op. cit., p. 581.
Pour la prise en compte de ce “contexte de tension” pour apprécier la légitime défense, V.C. Lyon (Ch. acc.) 16 déc.1986 Negri Abdelonal c. Zaidi Marcel, Gaz. Pal., 1987, 1, Somm., p. 199, note J.P. Doucet.
Pour une analyse plus détaillée, V. L.H. Leigh, op. cit., 1989, pp. 45- 46.
Pour cette question, V. P.S. Atiah, Law and modern society, “law in theory and law in practice”, Oxford University Press, 1983, pp 68-71, où l’auteur juriste analyse ce pouvoir juridique discrétionnaire du policier anglais.
MM Ch. Parra et J. Montreuil, op. cit., p. 196, notent fort justement que “la découverte d’une personne trouvée en possession d’objets ou présentant des indices accusateurs, se concrétise souvent, au niveau des faits, dans une intervention de police à l’endroit d’une infraction simplement présumée, dont l’exacte nature n’est pas connue, pas plus que le moment de sa commission”.
“Cette appréciation se situe souvent dans le contexte d’une action rapide, requérant l’accomplissement de diligences qui ne peuvent être différées”, Ibid., p. 197.
V. Certains auteurs reconnaissent l’existence de cette autonomie d’action des policiers de base, A. Decocq et alii, op. cit., pp 269-270. MM Ch. Parra et J. Montreuil, dans leur ouvrage précité réédité en 1970, réitèrent leur voeu de voir un jour adopter un code de déontologie policière ; c’est implicitement admettre un contrôle éthique de cette autonomie policière, en sus des textes législatifs et réglementaires, Ibid, p. 441. En pratique cette autonomie peut en particulier s’exprimer par le choix d’agir dans un cadre juridique qui permet les pouvoirs coercitifs les plus larges ; V. à ce sujet, R. Lévy, Du suspect au coupable : le travail de police judiciaire, Coll. Déviance et société, éd. Médecine et Hygiène, Méridiens Klincksieck, 1987, pp 56-61.