Titre III : Le contrôle des pouvoirs juridiques des agents de police

Le contrôle s’entend ici comme la recherche d’une conformité de l’action policière à une norme juridique ou technique. L’interrogation consiste alors à se demander de ce qu’il advient si la police franchit les limites de ses pouvoirs légaux. Autrement dit, il s’agit d’évoquer les mécanismes juridiques institués qui visent à éviter que les pouvoirs des agents ne s’affranchissent de la loi au sens général du terme, ne dépassent pas certaines limites légales ou déontologiques.

En effet, en contrepartie de l’attribution de larges pouvoirs légaux aux agents de police, le contrôle d’un correct usage desdits pouvoirs s’impose. Il s’agit là d’une exigence fondamentale, soulignée notamment par M. Le Conseiller d’Etat Christian Vigouroux, pour demeurer un temps soit peu dans un système juridique démocratique et libéral, système qui est saisi par le concept d’ “Etat de droit”1106.

La question qui est alors à soulever paraît, plus généralement, celle relative aux droits du citoyen face aux pouvoirs juridiques de la police1107. Sans exclure cette approche générale, nous portons davantage ici notre attention aux pouvoirs juridiques de la police susceptibles de concerner, de manière directe ou indirecte, les “minorités”, selon le terme même d’un rapport officiel relatif au contrôle de la police française1108 . Il nous semble en effet que l’action policière à l’égard des minorités est celle où le risque d’un traitement discriminatoire semble le plus “visible”1109 : c’est d’ailleurs essentiellement dans le cadre de cette relation particulière qu’un mécanisme juridique de contrôle paraît le plus souvent avoir été réfléchi récemment1110, voire institué, comme le montre l’exemple anglais1111.

En Angleterre, le terme “control” a le sens de “maîtrise” ou mieux de “pilotage” de l’action policière, opéré pour l’essentiel par le système politique local, ainsi que par la procédure d’enquête diligentée par l’Autorité de plainte contre la police suite à des plaintes contre des comportements policiers contraires à la loi.

Il nous semble que dans ces deux pays, le contrôle de la police s’entend plus généralement comme la mise en place de mécanismes tendant à une transparence du fonctionnement de l’institution. Il nous paraît cependant que si le contrôle de l’activité des polices anglaise et française est, dans son principe, défini de manière assez large (Chapitre 1), il semble en pratique toutefois limité dans ses effets (Chapitre 2).

Notes
1106.

V. en ce sens, Ch. Vigouroux, “Le contrôle de la police“, in Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, “L’Etat de droit”, Dalloz, 1996, pp 743-759. L’auteur dénombre, en reprenant les données d’un rapport de l’IGPN, pas moins de douze contrôles à l’endroit de la police : l’auto-contrôle du policier, le contrôle hiérarchique, le contrôle syndical, le contrôle des inspections générales, le parlement, la presse, le contrôle local du maire, le contrôle scientifique (IHESI), les autorités administratives indépendantes (Médiateur, CNIL), les tribunaux judiciaires et administratifs et enfin le contrôle du citoyen (dépôt de plainte ou encore récemment film vidéo de certaines interventions policières). Nous nous limiterons pour notre part aux contrôles administratif et pénal de la police. Toujours est il qu’il nous semble assez significatif qu’une telle interrogation sur le rôle de la police dans un Etat de droit s’inscrit dans le thème développé par ces mélanges.

1107.

Ce souci est notamment présent dans les instruments juridiques internationaux, et en particulier ceux du Conseil de l’Europe, relatifs à l’exercice de la fonction policière au sein d’un système de droit démocratique ; à ce sujet V. Code de conduite des Nations-Unies pour les responsables de l’application des lois ; et plus particulièrement la Résolution 690 (1979) relative à la déclaration sur la police, qui a pour une grande partie influencé la rédaction de codes de déontologie ou de conduite de la police, respectivement en France et en Angleterre ; V. J. Alderson, op. cit.,1984, annexes V et VII. Pour un commentaire de ces textes, V. J. Susini, “Déontologie et police (Contribution à la renaissance de l’éthique comme condition de la vie de la loi)”, RSC, n° 3,  juil. / sept. 1980, pp 773-792. Pour la gendarmerie nationale, V. Colonel Lafaurie, “A propos d’un code international de déontologie policière”, Rev. gend. nat., n°138, 1984, pp 6-7.

1108.

Le rapport Belorgey de janvier 1982 relève, en ce qui concerne les déviances ou “bavures policières” que si ces dernières frappent certes “les déviants politiques, et les délinquants de droit commun”, elles frappent davantage aussi “les étrangers, les gens de couleur, et toutes les sortes de minorités”. Ce rapport ne sera suivi que par la publication, en 1986, d’un Code de déontologie, rédigé en des termes presque identiques à ceux de la déclaration sur la police de 1979 du Conseil de l’Europe précitée. V. rapport reproduit dans, J.M. Belorgey, La police au rapport - études sur la police, PUN, 1991, p. 77. Souligné par nous.

1109.

Ce lien entre action policière et risque de discrimination ethnique, raciale, voire religieuse, est en particulier souligné par le Conseil de l’Europe, auteur de la déclaration sur la police de 1979, déclaration qui a surtout une portée morale et éthique de la fonction policière ; “Une société homogène, monoculturelle, et sans classe demande moins d’adaptabilité aux fonctionnaires de police qu’une société comportant des différences ethniques, religieuses, culturelles et autres. Dans ce dernier cas, il importe de ne jamais les perdre de vue si l’on veut que soit respecté l’article 14 de la Convention européenne qui proscrit toute discrimination dans la jouissance des droits de l’homme”, ou encore “La conduite de la police devra (...) se fonder sur la compréhension et l’acceptation de principes éthiques dans l’application de la loi, non en tant que fin en soi, mais comme un moyen d’assurer un traitement équitable et juste à tous les hommes, indépendamment de leur race, de leurs convictions philosophiques, de leur religion ou de leur statut social. Telles sont les exigences minimales en effet qu’imposent à la police les dispositions législatives en matière de droits de l’homme sur le plan de son comportement et de son action”. J. Alderson, op. cit., pp 28-29. Souligné par nous.

1110.

En France, le rapport Belorgey de 1982, qui préconisait l’instauration d’un Conseil supérieur des activités policières, instance indépendante chargée du contrôle de la police, faisait suite à un débat sur la “transparence” de l’action policière sous la pression de certaines “bavures” ou violences policières, dont d’ailleurs étaient souvent victimes des personnes d’origine non-européenne. V. note 1 ci-dessus.

1111.

Le Police Complaints Board, dont les 9 membres étaient nommés par le Premier ministre, a été établi par la s.1 (1) Police Act 1976. Pour la procédure devant cette institution administrative, V. Police (Complaints) (General) Regulations 1977, S.I 1977 No 578, reg. 4. et P. Harvey, op. cit., n. 275. Cette instance est remplacée en 1984 ( s.83 (1), (2) et (3) Police and Criminal Evidence Act 1984) par la Police Complaints Authority, autorité à l’indépendance renforcée.