Sous-section 2 : Des condamnations pénales limitées

La limite apportée aux condamnations pénales des agents tient pour l’essentiel à la procédure pénale de poursuites et à l’exigence posée à l’acception des preuves visant des membres des corps de police.

L’agent de police, auteur présumé d’une infraction pénale, est traduit devant les tribunaux répressifs. Il en est ainsi, par exemple, lorsqu’il est établi qu’un agent de police a agi en violation de la loi ou a fait un usage abusif de ses pouvoirs légaux de “Stop and search” ou d’arrestation1346

La victime de tels agissements policiers a le choix entre soit déposer plainte auprès du chef de police locale sous l’autorité duquel est placé le policier responsable d’une atteinte à un droit ou à une violation des dispositions de la loi PACE 1984, soit engager, contre l’agent de police, une action en dommages et intérêts, en saisissant le juge siégeant auprès de la County Court ou la High Court compétente, pour une demande en réparation d’un préjudice. Ce dernier moyen de procédure, la citation directe devant un tribunal, est en pratique rarement utilisé, de l’aveu même de certains auteurs1347 . De ce fait, il est essentiellement question ici des poursuites engagées soit par la police soit par la victime.

La position officielle de la victime est variable selon les situations pénales. Deux cas de figures existent en effet selon que les poursuites sont déclenchées par la police ou par la victime. 

Dans le premier cas de figure, la victime, à laquelle n’est pas reconnue le statut de partie au procès, n’a pas accès aux informations quant à la suite donnée aux poursuites déclenchées par la police. Elle n’a ainsi pas connaissance du classement ou non de l’affaire, et les négociations intervenant au cours du procès entre l’accusé (en l’occurrence ici un policier) et la police lui échappent totalement. L’autorité publique de poursuite prend ensuite la décision de continuer ou d’arrêter les poursuites déclenchées par la police et ainsi de traduire ou non l’agent fautif devant un tribunal répressif, c’est-à-dire de le soumettre à une procédure criminelle. L’une des difficultés tient à l’examen profond des preuves réunies par la police et à l’éventuelle demande d’un complément d’information diligenté par l’autorité publique de poursuite. Le “ministère public” n’a d’autre source d’information que celle produite par la police, il ne peut en obtenir davantage de par l’absence de pouvoir de coercition à l’endroit des agents de police.

Notons enfin que si le policier plaide coupable, la victime ne reçoit pas de convocation pour l’audience ; si au contraire le policier plaide non coupable, la victime n’intervient alors que comme simple témoin au procès.

La seule voie qui reste alors à la victime pour être partie au procès, est d’engager elle-même les poursuites.  Elle se voit ainsi accorder un droit d’information tout au long du déroulement de la procédure. Des écueils demeurent cependant : l’échec des poursuites déclenchées par la victime peut engager sa responsabilité à se voir condamner au paiement des frais du procès et des dommages-intérêts à l’accusé. De plus, le CPS saisi peut endosser, en son qualité propre d’autorité publique, les poursuites intentées par la victime, avec le risque ici de voir cette dernière perdre sa qualité de partie au procès, avec toutes les conséquences procédurales que nous connaissons. Enfin, si la victime, devant le refus de la police de déclencher les poursuites, saisit directement un tribunal, le ministère public ne se trouve pas dans l’obligation de conduire les poursuites ainsi engagées ; le CPS peut arrêter, ce qui toutefois est assez rare, les poursuites intentées par la victime.

Globalement, la victime semble quelque peu démunie, de par la non reconnaissance officielle de sa position au cours du procès pénal. Devant l’action engagée contre un policier, la situation de faiblesse de la victime paraît encore davantage prononcée.

La difficulté majeure consiste pour la victime à prouver les agissements illégaux de l’agent de police. Les éléments réunis par la police n’acquièrent pleinement la qualité juridique de “preuve” qu’à l’audience ; autrement dit les irrégularités qui pourraient être constatées au cours de la phase policière ne peuvent être soulevées qu’au jour du jugement. Les nullités de procédure ne sont retenues et admises qu’à l’audience1348.

Ce régime, semble-t-il, vise pour l’essentiel à ne pas entraver l’action de la police par la multiplication des plaintes qui seraient déposées auprès du chef de police locale. L’action policière efficace nécessite un cadre juridique qui ne place pas l’agent dans une position de faiblesse face à un risque constant de peur de mal faire ou de mal agir : son intervention ne doit pas subir une quelconque pression du public qui serait préjudiciable au maintien de la paix publique. En pratique, toutefois, ce régime si fondé qu’il soit, tend à instituer une certaine forme de protection juridique de l’agent. Cela apparaît en particulier à travers l’extrême exigence procédurale qui est imposée par le système de preuves.

Les règles de la preuve ont été fixées par le législateur et dégagées par la jurisprudence1349. Il y a un véritable régime légal de la preuve au contraire du principe de la liberté de la preuve en droit français1350.  Ces règles établissent les éléments de preuve admis par le juge et que doit réunir et apporter la présumée victime d’actes illégaux des agents de police. Le juge anglais est, tant au pénal qu’au civil, un simple arbitre ; c’est alors aux parties qu’appartient la recherche de preuve. Pendant longtemps, certaines forces de police locales engageaient des prosecuting solicitors, placés sous l’autorité hiérarchique du Chief constable, voire recouraient au service de cabinets privés de solicitors pour mener à bien le dossier de la police.

Ce dossier contient les preuves réunies par la police et jugées suffisantes pour le déroulement du procès mettant en cause un agent de police. Il va sans dire que dans ce cadre, la police, qui détient le pouvoir de coercition, joue un rôle de premier plan. La constitution de dossier des preuves lui appartient en sa qualité d’organe à la fois d’investigation, de rassemblement des preuves et de partie au procès.

La réforme de 1985 en instituant un organe de contrôle des poursuites engagées par la police a en pratique peu modifié, comme montré précédemment, cet état de droit. L’idée qui semble ici se dégager est qu’en droit criminel anglais le souci semble davantage celui de la défense de la société que celui de la protection effective de la victime d’actes de police illégaux.

Malgré un système juridique où la police ne joue fondamentalement pas le même rôle pénal et où est institué un véritable ministère public, la police française, et partant ses agents, connaissent, en pratique, un traitement particulier assez proche de la situation policière anglaise.

Notes
1346.

Pour une jurisprudence assez complète dans l’exercice de ce pouvoir par la police et à la mise en oeuvre de la responsabilité pénale des agents, V. Rob R. Jerrard, “Difficulties with arrest“, The Police Journal,  Vol. LXVII, janv.- mars 1994, pp 15-18.

1347.

M. Delmas-Marty (dir. ), op. cit., p. 133, p. 158 et p. 160. Les auteurs notent aussi que ce procédé est également très rarement utilisé par le simple citoyen ordinaire.

1348.

Le juge est seul compétent pour annuler ou non un acte de police vicié par la présence d’une irrégularité (s. 76 PACE 1984) ; à l’exception de l’exclusion obligatoire des actes produits à la suite d’ aveux obtenus par l’exercice d’une pression (s. 78 PACE 1984)

1349.

A l’origine toutefois, le système de la preuve, partie essentielle du droit anglais, a été créé par le juge, il s’agit avant tout d’un droit judiciaire qui sera par la suite légalisé. V. Rob R. Jerrard, art. cit., p. 15.

1350.

Pour une analyse comparative du système de preuve, V. Antoine J. Bullier, Frédéric-Jérôme Pansier, “Proof and evidence : la preuve pénale en droits français et anglais“, Gaz. Pal., 7-8 juillet 1993, p. 2.