CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

L’étude de la surveillance des minorités par la police, c’est-à-dire des pouvoirs de la police qui intéressent de manière spécifique cette frange de la population, nous conduit à relever les points suivants.

Cette relation est particulière au sens où la police agit sur des individus qui, de par la logique de fonctionnement des institutions pénales, alimente le système policier. Si en effet, l’objectif est, selon le terme familier au milieu policier, de “faire du chiffre”, ou encore de “lutter contre l’immigration clandestine”, une cible toute désignée existe. La police ne peut pas ne pas raisonner en termes de groupes et par conséquent constituer par là même des groupes dont les membres ne répondent pas de manière satisfaisante aux garanties de représentation, ou en tout cas sont perçus de manière négative par l’institution.

Ce constat général aboutit souvent à une perception négative des individus appartenant à ces groupes. Si au contraire, le souci de l’ordre public est l’objectif assigné à la police, il doit s’inscrire dans un cadre aussi exigeant que celui de la garantie effective des libertés publiques. Si l’ordre est une nécessité libérale, la liberté est une exigence légale. La légitimité de l’Etat de droit en dépend. La priorité accordée à l’heure actuelle à la sécurité renforce et élargit la prévention, la vigilance policière va alors se porter sur la population susceptible de porter atteinte à l’ordre public, notion qui a vu son contenu s’élargir à un ordre public européen sous l’effet de la construction d’une Europe de la sécurité. Comment, dès lors, concilier une telle pratique policière avec la morale actuelle des droits de l’homme ?

Les Etats européens libéraux trouvent un certain consensus dans l’idéologie actuelle des droits de l’homme. L’attachement des citoyens à leurs droits plus qu’à leurs devoirs rend sensible et réfractaire toute présence et intervention de la police dans leur vie quotidienne.

Les droits de l’homme, en devenant des principes de droit, sont devenus la morale de l’Etat de droit. La police s’inscrit dans cette évolution et ce nouveau dispositif européen des droits de l’homme cherche à encadrer son action, la contraindre au plan légal, la contenir au plan des moyens ou techniques employés. Il tend quelque peu à délimiter, si tant est que ce soit possible, son pouvoir discrétionnaire.

L’Etat de droit exige une police soumise au droit. La pratique cependant laisse plutôt apparaître une police qui s’accommode du droit pour demeurer dans ce cadre juridique d’un Etat de droit. Ce qui est alors en jeu c’est le respect du droit par la police et non pas tant la garantie des droits : l’intervention policière se fait au nom de l’ordre avant de se faire au nom du droit. L’ordre d’abord, le droit ensuite. C’est une telle approche qui a permis à la notion de sécurité de prospérer en dehors de tout cadre juridique un tant soit peu précis : la sécurité exclut par définition même tout encadrement juridique rigide et strict, elle a pour seul objectif d’épouser la délinquance du moment.

La démonstration peut en être faite dans l’étude de l’action juridique policière à l’égard des minorités, rapport qui rend visible la considération réellement portée aux principes des droits de l’homme proclamés.

Les pouvoirs de maintien de l’ordre public urbain font intervenir une police anglaise spécialisée dans les relations communautaires et une police d’ordre non spécialisée mais assumant toutefois avec une certaine efficacité cette mission ; une police d’ordre française fortement spécialisée et des brigades criminelles qui interviennent dans le cadre juridique de la lutte contre le désordre urbain et le grand banditisme. La saisie juridique des “violences urbaines“ est facilitée par le recours aux termes “ordre public ” et “criminalité”. Ces notions fondent, bien qu’elles soient inadéquates à rendre compte de la délinquance urbaine, la mise en place d’organes spécialisés aux pouvoirs coercitifs étendus.

Devant la difficulté de contenir ces violences, des cellules de veille et de renseignement sont mises en place pour prévoir ces événements. Des services de police spécialisés interviennent ainsi dans ces territoires de relégation pour contenir l’évolution de la délinquance urbaine. Ces territoires connaissent une vigilance policière accrue.

Les pouvoirs de contrôle des personnes sur la voie publique ne peuvent pas ne pas, explicitement ou implicitement, se fonder sur l’allure extérieure de la personne interpellée, ce d’autant plus que la lutte contre l’immigration irrégulière semble la priorité actuelle, notamment en France. En Angleterre, les contrôles internes de l’immigration (Internal immigration controls), affirmés par les législations récentes, tendent également à diffuser, construction d’un droit européen de l’immigration aidant, une culture du soupçon. Cette priorité policière conduit, dans les deux pays, à traiter, sous un même régime juridique souvent défavorable, les citoyens d’apparence non-européenne et les étrangers. Elle évite difficilement la constitution de groupes aux traits ethniques assez homogènes. 

Les pouvoirs d’arrestation pour appréhender la personne présumée auteur d’une infraction flagrante s’adressent en principe et de manière indistincte à toute personne. Le fondement de la théorie de “reasonable grounds of suspicion” en droit criminel anglais et la théorie de l’apparence en droit pénal français se rapprochent en pratique. Ces notions trouvent davantage à s’appliquer ici à l’encontre d’individus à l’allure suspecte, à la physionomie et à l’apparence physique tout aussi suspecte. Cette vigilance est d’autant plus prononcée qu’une telle frange de la population connaît un taux de criminalité significatif.

La police agit sur des personnes, son action a un contenu éthique très affirmé. Les instruments internationaux et les conventions européennes ont inscrit la nécessité d’une déontologie policière. Faute de ne pouvoir être totalement encadrée par le droit étatique, la police va devoir obéir à une morale de l’Etat. La mise en place de codes de pratique au sein de la police anglaise, ou le code de déontologie pour la police française est l’aveu des limites du droit face à la pratique policière, constat rendu encore plus visible dans le cadre de son action à l’égard des minorités.

Enfin la mise en place d’un contrôle démocratique des pouvoirs juridiques des policiers est rendu difficile. Dans le cas anglais, le déroulement de la phase pénale, de l’investigation au déclenchement des poursuites, est de la compétence exclusive de la police.

La réforme de 1985, qui distingue ces deux phases, a institué un semblant de “ministère public” ; en pratique toutefois, de par l’absence de pouvoir de coercition de cette autorité publique de poursuites, la police, qui n’est pas sous l’influence ou la direction du “ministère public”, a gardé les larges pouvoirs qu’elle exerçait jusque là. L’absence au cours du procès pénal d’un statut officiel de la victime d’actes de police illégaux, rend enfin difficile l’engagement de la responsabilité disciplinaire et pénale des agents.

En France, la police, sous l’empire du Code d’instruction criminelle, est un organe aux pouvoirs officieux ; la consécration légale de ces pouvoirs par le Code de procédure de 1959 n’a pas effacé ce poids de l’histoire pénale : l’institution policière connaît difficilement un contrôle, notamment celui opéré par l’autorité judiciaire. Les dispositions des nouveaux Codes ont certes rendu transparents les pouvoirs de la police mais semblent, en pratique, maintenir des difficultés réelles dans la mise en jeu de la responsabilité des agents auteurs d’infraction ou de violations de certains droits fondamentaux.

A l’heure actuelle, la police française ne semble pas répondre au principe fondamental posé par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, principe selon lequel “La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration”.

Devant ces limites rencontrées dans les pratiques policières anglaise et française, l’accent est mis, faute d’une réelle remise en cause profonde, sur la nécessité d’une déontologie dans l’exercice de la police dans un Etat de droit.

Le retour en force dans les systèmes juridiques anglais et français de la déontologie policière révèle les limites réelles de tout contrôle institutionnel de la police. C’est sur l’agent de police, à la responsabilité déontologique accrue, que semble désormais peser l’exercice correct de la police dans un Etat de droit.

Il s’agit à présent de montrer cet effort de moralisation de l’agent de police appelé à être souvent en contact avec la population, notamment avec cette partie de la population qui est souvent perçue de manière négative, à savoir les minorités immigrées ou minorités ethniques.

Il semble en effet quelque peu réducteur de n’envisager que le seul aspect juridique de la surveillance des minorités par la police, une telle analyse doit être complétée par la protection accordée à ces dernières par l’institution policière. Dans ce cadre, la police fait alors ici fonction d’institution garante des droits et devoirs de l’individu et du citoyen en particulier. C’est alors la recherche d’une certaine forme de protection des minorités qui tend à s’exprimer au sein de l’institution.