Il s’agit d’analyser ici le rôle de la police dans le cadre de sa mission de protection et de garantie des droits des individus.
A l’origine, la force publique a été instituée en vue de cette mission essentielle1400. L’accent mis à l’heure actuelle sur le principe du respect des droits de la personne, qui est affirmé avec force dans la législation pénale française, et de manière implicite dans la législation criminelle anglaise, nous donne l’occasion de mettre à l’épreuve ces principes. Quelle meilleure analyse que celle qui consiste à éprouver l’effectivité de ces principes lorsqu’on les applique à l’égard d’individus dont la fragilité juridique semble souvent évidente : la portée réelle des droits fondamentaux se mesure, selon nous, lorsque ce souci de protection s’adresse à des individus qui connaissent une certaine infériorité juridique au sens d’une absence de jouissance pleine et entière des droits ; les étrangers, certes, mais aussi plus généralement les citoyens d’apparence non-européenne.
Le renforcement de la lutte contre le racisme et la xénophobie fait l’objet d’une préoccupation grandissante au sein du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.
Le Conseil a ainsi créé en 1993 la “Commission européenne de lutte contre le racisme et l’intolérance“ dont le but est d’évaluer les mesures juridiques et politiques prises par les Etats pour combattre ce phénomène”1401.
L’Union a, quant à elle, créé en mai 1994 la “Commission consultative de lutte contre le racisme, la xénophobie et l’intolérance” qui se donne pour objectif non seulement de renforcer la coopération des Etats en ce domaine, mais aussi de mettre en place des actes de formation pour sensibiliser les administrations publiques concernées par ce problème. Il faut enfin relever que les études préalables à ces actions ont été confiées, pour ce qui est de l’Union européenne, au groupe de travail “criminalité organisée” qui dépend lui-même du groupe directeur II “Coopération judiciaire“ inscrit dans le Traité de Maastricht de 1992. Certaines dispositions du Traité d’Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, viennent réaffirmer et renforcer cette lutte contre le racisme.
Ainsi le racisme, saisi dans son aspect transfrontalier, s’inscrit dans le cadre de la lutte contre le “crime organisé“. Dès lors, le souci d’une coopération internationale en cette matière ne peut que conduire à une recherche d’harmonisation des législations nationales antiracistes1402.
Les législations anglaise et française actuelles sont à saisir dans cette perspective européenne. La France et l’Angleterre ont une approche différente du phénomène. Mais la police de ces Etats emprunte un schéma assez semblable par certains aspects dans la recherche d’une protection juridique des personnes susceptibles d’être victimes d’actes à caractère raciste.
Pour ce qui est de la répression de tels actes, la police joue un rôle essentiel, même si elle doit agir en partenariat avec d’autres institutions publiques ou privées. Les limites d’une telle protection policière face à de tels actes criminels ou agissements délictuels ne peuvent être éludées. Une interrogation sur l’opportunité ou non de créer une incrimination spécifique de “violence raciale” est dès lors évoquée. Si au sein du Parlement anglais un tel débat a pu avoir lieu, en France une telle réflexion ne peut a priori être exclue.
Dans l’attente d’une évolution notable en ce sens, l’accent semble à l’heure actuelle mis sur l’image que doit donner l’institution policière à l’égard des victimes potentielles d’actes à caractère raciste, individus issus en majorité de groupes minoritaires immigrés ou ethniques, qui s’estiment davantage surveillés que véritablement protégés par la police. Apparaît une autre forme de protection, plus symbolique certes, mais qui trouve une traduction juridique toute aussi importante comme le soulignent certains textes, protection qui consiste à rendre la police plus représentative de la population qu’elle sert.
La police anglaise s’est très tôt intéressée à un recrutement de type ethnique au sein de ses différents corps. Ce souci semble trouver son origine dans le principe anglais dit du “policing by consent”. L’idée qui semble guider cette démarche est qu’une bonne police exige le soutien de la communauté locale qui elle-même doit être représentée au sein des corps de police. Le recrutement ethnique doit dès lors renforcer la légitimité de l’action policière, en particulier à l’égard des individus qui connaissent un conflit latent avec l’institution, à savoir les minorités raciales.
En France, les règles de la fonction publique policière excluent par principe toute prise en considération de la qualité des individus, à savoir le sexe, l’ethnie ou la race. Pourtant, pendant longtemps, un système de quotas a été institué pour favoriser le recrutement des femmes policiers. Ce système mérite d’être réexaminé à la lumière de la jurisprudence européenne qui a mis un terme à ce système de recrutement par quotas selon le sexe. La reconnaissance par une certaine catégorie de la population de la légitimité de l’institution policière est une nécessité dans l’efficacité de son action.
Cette analyse nous permet dès lors d’élargir notre réflexion sur les problèmes réels rencontrés par l’institution lorsqu’elle intervient dans les territoires de relégation urbaine. Le souci de recourir à terme à un recrutement spécifique des personnes qui y résident semble timidement faire son apparition dans certaines écoles de police françaises. La question minoritaire semble désormais faire partie intégrante de la formation et par conséquent de la profession policière. Cette démarche symbolique est inscrite dans des textes qui traduisent ce renforcement de la formation initiale mais également continue des agents de la force publique.
La formation est placée de nos jours au centre des préoccupations des autorités publiques chargées de la police. Elle est un moyen, et des plus efficaces, pour inculquer certaines valeurs nécessaires à l’exercice correct de la police en milieu démocratique, notamment celle de la nécessité d’une lutte efficace contre toute forme d’atteinte à la dignité de la personne, ainsi en est-il par exemple des actes à caractère raciste. La formation a, dans ce cadre, des conséquences importantes sur les pouvoirs juridiques des policiers. La formation est alors comprise comme la recherche de protection de certains membres de la collectivité face aux atteintes qui peuvent illégalement leur être portées. Il n’est dès lors pas étonnant de voir la question des minorités inscrite dans les programmes de formation des policiers.
L’intégration de la question minoritaire est généralement saisie à travers un enseignement des droits de l’homme, à l’acquisition des connaissances plus précises quant à la culture, l’histoire voire à religion des minorités immigrées ou ethniques. L’intérêt porté à ces populations est souvent lié au problème de sécurité publique dans les “inner cities” ou, en France des “banlieues”, notamment dans le cadre des politiques de la ville.
En Angleterre et en France, la police semble connaître une certaine perte de légitimité auprès d’un public spécifique, légitimité qu’il s’agit un tant soit peu de maintenir à un certain niveau, voire de retrouver au risque de voir l’action de la police en ces territoires discréditée et rendue totalement inefficace. La légitimité est en effet consubstantielle à l’exercice correct de la police en régime démocratique libéral. Dès lors, les polices anglaise et française paraissent contraintes de s’ouvrir à la question minoritaire, une démarche facilitée par le système juridique anglais, mais qui l’est beaucoup moins pour le système de droit de la police française. La pratique conduit toutefois à terme, nous semble-t-il, la police française à rechercher sa légitimité en s’ouvrant, dans le cadre de ses principes de droit, à la question minoritaire.
Nous allons ainsi voir successivement l’institutionnalisation progressive d’une protection pénale des minorités (Titre I), le recrutement des minorités au sein de l’institution policière (Titre II), pour enfin souligner le souci majeur des polices anglaise et française de recouvrer leur légitimité nécessaire à l’exercice correct et efficace d’une “bonne police” de sécurité urbaine. Ce dernier souci s’exprime notamment par la recherche d’une formation policière qui réponde de manière adéquate à la question minoritaire (Titre III).
V. G. Gondouin, op. cit., pp 206- 214.
En ce sens V. Conseil de l’Europe- Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), Mesures juridiques existant dans les Etats membres du Conseil de l’Europe en vue de combattre le racisme et l’intolérance, Rapport préparé par l’Institut suisse de droit comparé, Version préliminaire, Strasbourg 2 mars 1995, 487 p. Pour la législation française (pp 107-137) et du Royaume-Uni (pp 425- 487).
Pour une analyse de cette évolution qui ne peut être menée ici, V. N. Barthelemy-Dupuis, “Etude comparée des législations européennes”, in Séminaire européen du 11 et 12 avril 1995, Les violences racistes et xénophobes- Analyse et stratégies au sein de l’Union européenne, Présidence française de l’Union européenne, Ministère de l’Intérieur, Service de Coopération Technique Internationale de Police, Avril 1995, - IV-, pp 1-10.