Sous-section 1 : Vers une priorité policière affirmée

Nous allons voir la réponse policière, puis celle où l’organe national de poursuite créé par la loi de 1985 intervient en complémentarité avec la police pour lutter contre les attaques ou le harcèlement à caractère raciste.

§ 1 : Une volonté policière de lutte contre le racisme

Le souci de cohésion de la société britannique conduit, nous semble-t-il, à considérer les attaques à caractère raciste non seulement comme une infraction à la loi pénale mais surtout comme des actes destructeurs du tissu social ou de division du corps social. Il s’agit avant tout d’un “problème de société” (social problem )1406.

Un rapport du ministère de l’Intérieur, daté de novembre 1981, souligne ainsi le lien étroit pouvant exister entre les attaques à caractère raciste et la situation sociale discriminatoire vécue par certaines personnes. Ce rapport officiel1407 établit en tout cas une relation entre de tels actes de violence raciale et une réflexion plus générale portant sur l’ordre public qui s’inspire notamment des réformes législatives souhaitées par Lord Scarman suite à son enquête sur les émeutes de Brixton. C’est dans le cadre défini par ce rapport ministériel, et ce dès le début des années 1980, qu’il faut mesurer la priorité donnée par la police anglaise à la lutte contre les actes à caractère racial.

La collecte des informations relatives aux violences raciales, en particulier par la police, et la transmission directe et immédiate à celle-ci de tout fait ou attaque à caractère racial, semblent les priorités du moment. D’une infraction de droit commun saisie comme simple manifestation du crime en général, la police doit, selon les auteurs du rapport, tendre à porter une attention particulière à de tels actes de violence qui portent gravement atteinte aux droits de la personne. L’activité policière se doit d’inclure dans ces tâches une telle priorité1408. Enfin, ce rapport ministériel souligne que les personnes victimes de ces attaques sont essentiellement les populations issues de l’immigration ou “Black people1409.

Un rapport parlementaire de juillet 19861410 recommande de prendre davantage en considération les attaques à caractère raciste en portant systématiquement de tels faits à la connaissance de la police. La police se doit, quant à elle, d’améliorer la collecte des informations relatives à de tels actes.

La réponse ministérielle1411, qui fait suite aux recommandations souhaitées par les auteurs du rapport parlementaire de 1986 précité, préconise une action vigoureuse et soutenue de lutte contre les attaques et le harcèlement à caractère raciste et xénophobe. Ce combat se fonde avant tout sur la nécessité de maintenir la confiance des minorités en leurs institutions, ou mieux, de la légitimité des institutions britanniques aux yeux des groupes ethniques minoritaires1412.

Faisant suite à ces recommandations issues de réflexions parlementaires et ministérielles, la Commission parlementaire des affaires intérieures a publié, en 1994, un rapport d’enquête intitulé “Attaque et Harcèlement à caractère raciste“ (Racial attack and harassment )1413.

Ce rapport se fixe pour but d’apprécier les incidences des attaques racistes sur la société britannique, d’examiner la réponse policière et celle des organes relevant du gouvernement face à ce phénomène, et d’évaluer l’évolution de ce phénomène jugé, à l’heure actuelle, préoccupant1414. Toujours est-il que la Commission a enjoint aux services de police les recommandations suivantes : la police doit traiter les attaques à caractère racial comme une tâche prioritaire de son action, des unités spécialisées de lutte contre de tels actes doivent être instituées au sein des services de police locaux qui sont situés dans des zones où la présence de minorités ethniques est importante, enfin la mise en place d’unités d’aides aux victimes. 

Les conclusions des rapports parlementaires et ministériels précités ne semblent, à l’analyse, que la reprise des idées développées par L’Association des officiers supérieurs de la police (ACPO). Dans leur document1415, qui vient définir les principes d’action dans la lutte contre le racisme, ces policiers de haut rang affichent une telle lutte comme une priorité institutionnelle. C’est ainsi que la prévention et la poursuite des actes racistes, dont la définition est reprise dans le rapport rédigé par la Commission parlementaire de 1994, doivent demeurer, selon le comité des relations raciales et communautaires de l’Association, une priorité absolue de l’action policière. 

De cette évolution, il découle que la réponse policière face aux attaques à caractère racial devient un critère de qualité des services de police1416.

Une étude récente du ministère de l’Intérieur vient éclairer et surtout nuancer la réponse policière aux attaques racistes et au travail de recherche et d’enquête sur les auteurs de tels actes1417. La réponse policière est, selon ce rapport d’étude, essentiellement de nature réactive : la police n’agit que suite à des dépôts de plaintes sur le fondement de la notion d’acte racial ou “racial incident “ au sens où l’entend et l’a définie l’ACPO. Une Instruction des services de 1997 réitère la conduite à suivre en matière de lutte contre les actes racistes : “Tout l’effort doit être fait pour bien s’assurer que tous les moyens nécessaires mis à disposition ont été utilisés au mieux pour rechercher et lutter contre les attaques racistes, et obtenir, dans toute la mesure du possible, tous les éléments de preuve, pour permettre et donner une suite favorable à la poursuite pénale contre les auteurs de tels actes“1418.

Malgré l’importance de l’information détenue par la police, il y a une absence d’actions menées contre les auteurs de ces actes répréhensibles. L’une des explications avancée est que ces personnes sont déjà identifiées et connues des services de police ce qui n’appelle par conséquent pas un effort institutionnel particulier en ce sens. S’il existe un système général d’information criminelle performant, il manque un organe d’information et de coordination sur les suspects d’actes racistes. Cette faible volonté policière d’identifier les suspects paraît s’expliquer par le fait que souvent ce sont des actes qui relèvent de mineurs ou de jeunes adultes, et que par conséquent donnent le sentiment aux agents de police que les attaques ou le harcèlement à caractère racial n’est pas vraiment un problème et partant le travail réel de la police. La police perçoit ces phénomènes comme des “disputes de voisinage” (neighbour disputes) ou de simples incidents domestiques.

Ces actes racistes sont aussi saisis par la police comme un élément de la criminalité en général, comme par exemple les atteintes à l’intégrité physique ou le meurtre. Les atteintes graves comme le meurtre ne sont pas, aux yeux de la police, des actes racistes, mais seulement des crimes graves. Il ne s’agit pas pour elle d’actes qui s’inscrivent dans le cadre précis et particulier d’attaques et de harcèlement à caractère racial, comme l’entendent les victimes potentielles, à savoir les minorités. Malgré les déclarations policières affichées, “nous traitons avec sérieux les actes racistes“ (We treat racial incidents seriously )1419, les minorités constatent la faiblesse voire l’absence de poursuites pénales contre les auteurs présumés, et cela tend à miner la confiance qu’ils peuvent avoir en la police, une perte de légitimité qui est à la mesure de l’espoir qu’ils ont placé en elle. En effet, les victimes potentielles d’attaques racistes estiment que la responsabilité première qui incombe à la police est de les protéger contre de tels actes de violence raciale répréhensibles.

C’est davantage à une prise de conscience institutionnelle de ce phénomène de société à laquelle nous semblons assister au sein de la police anglaise plus que l’existence d’un dispositif de lutte et de recherche efficace de ces infractions et de leurs auteurs. Le travail de la police avec l’organe national de poursuites créé en 1985 va-t-il améliorer la lutte contre les actes racistes ? C’est ce qu’il s’agit maintenant de voir. 

Notes
1406.

Ce problème est inscrit à l’agenda politique à la fin des années 1970, et s’est affirmé par la suite dans les années 1980 pour atteindre le niveau préoccupant actuel. De 4383 en 1988, les attaques raciales sont passées à 7734 en 1992. Toutefois, les statistiques officielles estiment la réalité à environ 135000 actes commis en 1992 !. V. T. Morane “Les stratégies policières au Royaume -Uni“, in Séminaire européen, op. cit., - VII-, p. 9.

1407.

Report of a Home Office Study, Racial attacks, Home Office, november 1981, 37 p. + Annexes. La définition du cadre de lutte contre les actes racistes est donné par le ministre de l’Intérieur de l’époque, M. W. Whitelaw : “Racial attacks are closely connected with other issues such a racial disadvantages, public order legislation, and Lord Scarman’s inquiry into the Brixton riots“, p. iii. (Les attaques à caractère racial sont intimement liées aux questions relatives à la situation d’infériorité tenant à l’origine raciale des personnes, à la législation sur l’ordre public et aux émeutes sur lesquelles le Rapport Scarman a enquêtées)

1408.

“For the police, the problem of racial attacks is necessarily only one particular manifestation of crime. It cannot claim an automatic priority. But there was, nonetheless, a tendency on the part of the police to underestimate the significance of racialist incidents and activities for those attacked or threatened“, Ibid., p. 32, n. 76. (Pour la police, le problème des attaques à caractère racial est nécessairement une manifestation particulière de la criminalité. Il ne relève pas pour autant et de manière automatique comme une priorité. Il n’en demeure pas moins que la tendance va à la sous-estimation quant à la signification des atteintes et menaces à caractère racial, et du traitement de ces attaques).

1409.

Les “Blacks” désignent en Grande -Bretagne les gens de couleur (les Antillais et les personnes originaires du sous-continent indien). Le rapport note ainsi en ces termes : “compared with white people, both blacks and Asians suffer disproportionately from racially motivated attacks, and the Asians worst of all“, Ibid., p. 28, n. 66. (Comparés à la population “blanche“, les gens de couleur et ceux originaires du sous-continent indien souffrent de manière disproportionnée des attaques racistes, et ces derniers plus que d’autres). V. récemment N. Aye Maung et C. Mirrlees-Black, Racially motivated crime : a british crime survey analysis,  Research and Planning Unit Paper, nb 82, Home Office, London, 1994, 42 p., où les auteurs soulignent que les victimes sont pour l’essentiel les “Afro-caribbeans and Asians“.

1410.

Third report from the Home affairs Committee, Session 1985-1986, Racial attacks and harassment, House of Commons, London, 9 July 1986, 58 p.

1411.

V. la réponse du ministère de l’Intérieur qui fait suite au rapport parlementaire de 1986 précité, et contenu dans le document : The government reply to the third report from the Home Affairs Committee, Session 1985-1986, HC 409-, Parliamentary Papers (House of Commons Bills and Papers and Command Papers), Session 12 november 1986-18 may 1987, Vol. XXXII, 1986-1987, Racial attacks and harassment, Cm 45, presented to Parliament by the Secretary of State for the Home Department, by Command of Her Majesty, December 1986, 10 p.

1412.

”To prevent continuing damage to community relations, the Government believes it is important that visible and vigorous action is taken to combat racial attacks and harassment. It is vital to secure the confidence of the ethnic minorities in the institutions of society and to signal clearly to those who would perpetrate such behaviour that their actions will not be tolerated (...). It is only in recent years that we have begun to uncover the true picture of the problem and that the response to racial attacks has gained a place on the public agenda“, Ibid., p. 1. (Pour prévenir une atteinte continue aux relations communautaires, le gouvernement estime qu’il est important qu’une action vigoureuse et affichée soit menée pour combattre les attaques et le harcèlement à caractère racial. Il est vital de préserver la confiance des minorités ethniques aux institutions de la société et d’affirmer clairement, à l’adresse de ceux qui adoptent un tel comportement, que leurs actes ne seront pas tolérés. Ce n’est qu’au cours de ces récentes années que nous découvrons la réalité du problème et la réponse face aux attaques racistes a gagné à présent une place dans l’agenda politique).

1413.

Home Affairs Committee. Third Report, Racial Attacks and Harassment, Volume I, Session 1993-1994, HMSO, London. V. également le Volume II.

1414.

Le rapport officiel de 1994 note ainsi en ces termes : “to inquire into the incidence of racial and harassment in the community ; to examine the response of the police and relevant governmental bodies to the problems of racial attacks and harassment and particulary to examine développements over recent years“. Ibid., p. 2. (Enquêter sur les atteintes et le harcèlement à caractère racial au sein de la communauté nationale ; examiner la réponse policière et celle des organes dépendant du gouvernement, face à ces problèmes d’attaques et de harcèlement à caractère raciste et examiner plus particulièrement leur développement ces dernières années).

1415.

Guiding Principles Concerning Racial Attacks issued by the ACPO, London, 1985: “Chief officers will be well aware of the value of training within forces in developing a heightened awareness of the nature of racism in society and the individual and of the perceptions wich some members of the ethnic communities have of supposed police attitudes towards them“, n. 8., reproduit in Annexe F of Report of the Inter-Departmental Racial Attacks Group, The response to racial attacks and harassment : guidance for the statutory agencies, Home Office, London, 1989, non paginé. (Les responsables de police doivent avoir à l’esprit l’importance et la valeur de la formation des agents de forces de police en développant une conscience aiguë sur la nature du racisme au sein de la société et chez l’individu, ainsi que les représentations qu’en ont les membres des minorités ethniques, leur perception quant aux attitudes et à la réponse policière face à ce problème).

1416.

Une des recommandations du rapport The Second Report of the Inter-Departmental Racial Attacks Group, The Response to Racial Attacks : Sustaining the Momentum, Home Office, London, 1991, p. 8 est en effet la suivante : “The force response to racial attacks should be a central indicator of quality of service”. (La réponse des forces de police aux attaques racistes doit devenir un indicateur central du dispositif d’évaluation de la qualité des services de police).

1417.

R. Sibbitt, The perpetrators of racial harassment and racial violence, Home Office Research Study, Nb 176, Home Office, London, 1997, 126 p.

1418.

“Every effort will be made to ensure that all necessary steps are taken to deal with racial incidents and obtain all availible evidence to support the prosecution of offenders where possible“, Ibid., p. 95.

1419.

Ibid., p. 96 .