Sous-section 1 : Une protection policière impulsée par le niveau central

L’organisation administrative de la lutte contre le racisme est liée à la perception ou à l’appréhension du phénomène observé.

Jusque dans les années 1980, les vecteurs essentiels des propos et actes racistes sont les groupuscules qui prônent des idéologies issues du courant d’extrême-droite, tels sont par exemple, les “néo-nazis”, les “skinheads” ou encore les “hooligans”. La lutte policière est alors centrée sur ces vecteurs du racisme, au moyen d’arrêtés de fermeture des commerces qui s’adonnent à ces pratiques, de saisies administratives pour les publications interdites, ou principalement de mesures de dissolution de ces groupements sur le fondement de la loi de 1936 modifiée relative aux groupes de combats et milices privées1465.

Un rapport sénatorial de 1982 de la Commission de contrôle des services de l’Etat chargés du maintien de la sécurité publique, en partant de la distinction entre les faits et les reflets de l’insécurité, note qu’ “à ces faits, il faut ajouter les manifestations de racisme“1466. Les auteurs de ce rapport retiennent le seuil de 12 à 15 % de proportion de population immigrée au delà duquel les phénomènes de racisme apparaissent. Les sénateurs ne font là que reprendre le fameux “seuil de tolérance” défini par certains sociologues.

Et les auteurs du rapport de poursuivre en écrivant que “d’une façon générale, la concentration de familles à problèmes est ressentie comme néfaste dans une politique d’intégration harmonieuse car apparaît alors un risque de constitution de ghettos. A ce propos, plusieurs maires ont exprimé leurs craintes d’un échec semblable à celui des pays anglo-saxons dans ce domaine”1467

Les travaux de cette commission sénatoriale ont le mérite d’inscrire le racisme comme un fait de l’insécurité, et l’absence d’une réelle “intégration” de la “deuxième génération” comme une cause potentielle de délinquance donc d’une croissance de l’insécurité. Mais “aujourd’hui, trop souvent, expliquer revient à excuser (...), écrivent les auteurs, c’est pourquoi, de même que comprendre ne doit pas signifier excuser, pour remédier à l’insécurité croissante de notre société, il faut agir” 1468. Le contexte de l’époque explique en partie que d’autres priorités étaient exigées par les circonstances, telle la lutte contre le terrorisme. En des temps plus calmes, la lutte contre le racisme est-elle ou devient-elle pour autant une priorité des pouvoirs publics ?

La décennie 1990 révèle un tout autre phénomène. Les mesures administratives et/ou pénales jugées jusque là efficaces montrent leurs limites. Ces mesures, a-t-on pu écrire, ont certes éradiqué les organisations racistes les plus virulentes, mais, poursuit-il, aujourd’hui, il s’agit d’une lutte contre “les sentiments racistes”1469

Cette efficacité de la lutte contre les organisations racistes s’explique assez aisément car il s’agissait alors à l’époque de lutter contre des groupuscules bien identifiés ou en tout cas identifiables par les services de police spécialisés, en particulier par les Renseignements Généraux ou R.G.

Ces structures organisées du racisme n’ont certes pas totalement disparu, mais le phénomène majeur actuel est la lutte contre un sentiment de racisme. Cette lutte s’adresse elle aussi de manière diffuse à une majorité de groupes sociaux ou d’individus gagnés par la rhétorique raciste. A cette dispersion des sources potentielles qui nourrissent le racisme, la protection policière des victimes de propos ou d’actes de cette nature devient pour le moins délicate. Comment, au moyen du droit, lutter efficacement contre des sentiments de racisme ? Nous percevons ici les limites du droit que montre le recours à la création ou à la mise en place d’organes ou de groupes informels de lutte contre le racisme et la xénophobie.

Pour apporter un tant soit une réponse à cette interrogation, il s’agit au préalable de concevoir cette nouvelle lutte. Cette nouvelle conception apparaît à travers l’organisation centrale de certains services du ministère de l’Intérieur qui sont concernés de manière directe ou indirecte par la lutte contre le racisme.

La Direction des Libertés publiques et des Affaires juridiques du ministère de l’Intérieur (DLPAJ) joue le rôle d’organe de conception dans le cadre de la lutte contre le racisme. L’importance de la DLPAJ dans l’élaboration des législations antiracistes ainsi que dans leur mise en oeuvre est ici à souligner. A cette Direction est rattaché un chargé de mission pour la lutte contre le racisme et la xénophobie.

Un Comité de coordination des cellules départementales, cellules qui feront l’objet d’analyses ultérieures, est créé en septembre 1993. Ce comité regroupe les représentants du ministère de l’Intérieur, de la Justice, de l’Education Nationale, des Affaires Sociales, du Logement et de la Défense, ainsi que des représentants des cultes et d’associations de lutte contre le racisme. Ce Comité est chargé “de la prévention, en se réunissant chaque trimestre pour dresser le bilan et examiner les perspectives dégagées par les travaux des cellules départementales” ; il a également une capacité d’intervention rapide, en pouvant se réunir en tout ou partie, sous 24 ou 48 heures, en urgence, lorsqu’un problème grave se présente. La doctrine générale est conçue à l’heure actuelle au sein de la cellule nationale de coordination de la lutte contre le racisme puis diffusée à l’ensemble du territoire.

La doctrine du ministère de la Justice en matière de lutte contre le racisme est contenue dans la Circulaire du 22 décembre 19921470. “Dans les banlieues et les quartiers défavorisés des villes où vivent des populations immigrées, souvent mal intégrées socialement, s’exprime en effet, note la Chancellerie, une très forte demande de protection contre les actes de racisme et de xénophobie”. Dès lors, la lutte contre le racisme, poursuit la circulaire, est “avant tout une priorité d’action publique qui apparaît comme l’un des enjeux essentiels de la politique pénale”1471. Cette volonté commune des ministères de l’Intérieur et de la Justice a une traduction institutionnelle, notamment au niveau local.

Notes
1465.

Pour une analyse plus approfondie de cette loi, V. P. Mbongo, “Actualité et renouveau de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées”, RDP, 3, mai-juin 1998, pp 715-744.

1466.

Rapport du Sénat n° 85 précité, p. 10.

1467.

Ibid. p. 19.

1468.

Ibid. p. 22.

1469.

Ch. Freydefont, La prévention du racisme et de l’antisémitisme, Mémoire de DESS Droit et politiques de la sécurité, ENSP-Lyon III, mai 1996, p. 9 et s.

1470.

Circulaire Crim. 92-21 E1 / 21-12-92 relative à la lutte contre le racisme, BOMJ, n° 4, p. 95.

1471.

Ibid.