Des incriminations ont à l’origine été créées pour lutter contre toute atteinte à la liberté et la dignité de la femme. La recherche d’une telle protection semble se fonder sur la situation d’infériorité de la femme au sens de sa vulnérabilité à être victime de certains actes notamment en raison de son sexe. Cette démarche intellectuelle semble présente dans la constitution du délit de viol1578 et plus récemment, celui de harcèlement sexuel.
L’analyse de ces infractions nous semble assez pertinente pour saisir les raisons de la faible répression actuelle des actes ou d’attaques à caractère racial, actes qui portent tout aussi gravement atteinte à la dignité et à l’intégrité physique de la personne.
Comme l’écrivent fort justement d’éminents auteurs, “Tout acte contraire à l’ordre social, aussi grave soit-il, n’expose pas nécessairement son auteur à une sanction pénale. Pour donner lieu à répression, il faut qu’il ait été incriminé par la loi“1579. C’est ainsi que selon cette règle de la légalité pénale, qu’exprime l’adage nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege 1580 , la répression des actes de viol et de harcèlement sexuel a pendant longtemps été, en principe impossible faute d’une définition légale de telles incriminations. En principe, car les actes de viol, dont les éléments constitutifs ont au départ été essentiellement dégagée par la jurisprudence, et dans une moindre mesure ceux qualifiés de harcèlement sexuel1581, ont été réprimés sans connaître, notamment en ce qui concerne le viol et dans une moindre mesure pour le harcèlement sexuel, une définition légale spécifique.
Avant la loi de 1980 relative à la répression du viol1582, les éléments constitutifs de l’infraction, n’étant pas prévus par le législateur, ont du être dégagés par la jurisprudence pour voir de tels actes graves réprimés avec sévérité. Par l’absence de définition légale, c’est sur le fondement d’un arrêt, l’arrêt Dubas de la Cour de Cassation rendu en 18571583, que vont être affirmés les principes généraux qui entourent cette notion.
Jusque là jurisprudentielle, la notion de viol connaît désormais une définition légale depuis la loi de 1980, loi qui vient pour l’essentiel correctionnaliser certains attentats à la pudeur. Loi également qui donne surtout une base légale à la poursuite de l’infraction et dont les éléments constitutifs sont à rapprocher par ceux précédemment dégagés par la jurisprudence, c’est-à-dire par référence aux actes concrets de violence sexuelle subis par la femme victime. En tout cas, c’est par référence à une telle construction qu’a été définie cette infraction, infraction qui se trouve à l’heure actuelle inscrite à l’article 222-23 NCP.
Un raisonnement assez proche semble avoir été suivi par le législateur en ce qui concerne les atteintes faites à la femme au travail. La définition de l’infraction de harcèlement sexuel a, au contraire de celle de viol, trouvé assez rapidement une base légale à sa répression mais surtout une telle infraction apparaît comme une incrimination spécifique1584 tendant à protéger la femme au travail.
La reconnaissance législative de cette nouvelle infraction n’a pas été sans la pression de certaines associations de défense contre la violence faites aux femmes. Ce terme de harcèlement s’entend, selon l’Association contre les violences faites aux femmes au travail ou AVFT, comme “tout acte ou comportement sexuel ou sexiste, qui par ses manifestations verbales, visuelles ou physiques, à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes, a pour but ou pour effet de porter atteinte à son droit à l’égalité dans l’emploi, à son droit à des conditions de travail respectueuses de son intégrité morale ou physique, ou de sa dignité”1585. Il s’agit là d’une définition assez large qui semble plus spécifiquement viser la femme au travail. Toujours est-il qu’un amendement parlementaire relatif aux crimes et délits contre les personnes en date du 21 juin 19911586 prévoit le délit de harcèlement.
Le législateur n’a pas retenu les éléments et les termes précédemment soulignés, il s’est simplement contenté d’évoquer ce problème sous l’angle d’un simple rapport hiérarchique et de subordination dans les relations de travail. L’article 222-33 NCP énonce simplement, en des termes on ne peut plus neutres, que “Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confère ses fonctions, est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 F d’amende”1587. Le juge judiciaire1588 considère que trois éléments doivent être réunis pour constituer l’infraction de harcèlement sexuel : un fait matériel de harcèlement, un abus d’autorité et un but précis. Mais les limites d’une telle incrimination sont assez vite apparues dans la pratique.
Elles sont notamment dues à l’absence de protection des témoins de tels actes qui se trouvent eux aussi placés dans un lien de subordination. Cette absence de protection des témoins a pour conséquence fâcheuse de rendre difficile voire impossible l’établissement de preuves, et donc délicate voire caduque toute poursuite pénale sur le fondement d’une telle infraction1589.
Ce dispositif qui a trait aux incriminations de viol et de harcèlement sexuel, est à inscrire dans celui plus large, et qui vient en quelque sorte le compléter, à savoir les dispositions relatives aux agressions sexuelles et plus généralement encore aux atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne. Les atteintes à l’intégrité physique ou psychique des personnes en situation d’infériorité sont définies par rapport à la gravité du préjudice subi.
C’est ce qu’expriment les termes de circonstances aggravantes, qui souvent accompagnent la répression de telles atteintes. “La création de circonstances aggravantes, font remarquer MM Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, est souvent le moyen d’exprimer, dans la loi pénale, la réprobation particulière suscitée par certains agissements“1590 . Jusque là, les circonstances aggravantes n’étaient prévues qu’en matière de coups et blessures volontaires. Elles sont désormais étendues à d’autres atteintes à la personne humaine.
Une autre évolution importante est à souligner qui concerne indirectement ici notre analyse. Le droit pénal ne saisit en général que les seules infractions intentionnelles : pour la majorité des cas une infraction n’est punissable que si elle est intentionnelle. Mais les valeurs à protéger que sont notamment le respect de la vie, la dignité ou le respect de l’intégrité physique ou psychique de la personne ne suivent pas toujours cette construction : l’absence de l’élément intentionnel n’exclut pas de facto toute poursuite pénale ou condamnation de l’auteur de tels actes. Le législateur parle ainsi d’atteintes involontaires à la vie (Art. 221-6 à 221-7 NCP) ou encore à l’intégrité de la personne (222-19 à 222-21). Ces infractions concernent pour l’essentiel ce qu’il est communément appelé la “délinquance de masse”1591. Mais il n’est pas inopportun d’élargir la réflexion au domaine de protection des personnes vulnérables.
Il importe ici de relever la démarche du législateur qui le conduit à se soucier de la protection des individus notamment au regard de leur situation de faiblesse ou mieux de la personne particulièrement vulnérable qui s’entend comme “la personne hors d’état de se protéger“ selon les termes de l’article 309 ancien du Code pénal. Cette “sur-protection“, selon une expression empruntée à deux auteurs1592, exprime l’attachement inconditionnel à certaines valeurs par la définition d’incrimination et la mise en place d’une répression dont la gravité est fonction de la qualité de la victime de tels actes, qualité tenant à son état de santé, physique ou psychique, son âge, ou encore son état de grossesse.
Cette protection s’adresse certes, et ce dans un tout autre registre, autant au dépositaire de l’autorité publique, et notamment aux fonctionnaires de la police nationale et aux gendarmes depuis la loi de juillet 1996 déjà évoquée1593, qu’aux particuliers qui se trouvent placés en état d’infériorité économique ou sociale, ou dits encore “personnes vulnérables“1594. En ce dernier sens d’état d’infériorité, la particulière vulnérabilité de la victime n’aggrave toutefois la peine que dans les seuls cas où cette vulnérabilité est apparente ou connue de l’auteur de tels actes. C’est ainsi que des circonstances aggravantes spéciales sont prévues par le législateur en matière d’agressions sexuelles1595.
L’agression sexuelle s’entend, selon les termes de la Chancellerie dans sa circulaire du 14 mai 1993 comme une ”atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise”. Ou encore, selon les termes d’un avocat général, “l’agression sexuelle, c’est d’abord la violence, la contrainte, la menace ou la surprise réprimées comme moyens physiques ou psychiques“1596. Le terme de “menace“ ayant été ajouté par rapport aux dispositions de l’ancien code pour montrer et affirmer davantage l’absence de consentement de la personne. Les circonstances aggravantes quant aux conséquences du viol sont également prévues dans le nouveau code pénal aux articles 222-23, 222-24 1°, 222-25 et 222-261597.
Des particularités procédurales sont prévues pour les infractions de viol et d’agressions sexuelles. Ces particularités traduisent la volonté affirmée du législateur de protéger les victimes de tels actes. Elles apparaissent notamment dans les phases de déclenchement des poursuites et de jugement de ces infractions.
Pour les agressions sexuelles, l’action publique est déclenchée par le ministère public informé et la victime. Trois particularités sont ici à relever. L’article 226-14 du Code pénal dispose que l’article 226-13 du Code pénal (CP), qui institue l’infraction de violation du secret professionnel, “n’est pas applicable“ à l’hypothèse de révélation des sévices sexuels. L’article 226-14 CP fait obligation au médecin de révéler les faits s’il a l’accord de la victime. La seconde particularité procédurale est relative au droit accordé, depuis la loi de 1980 précitée, aux associations (qui sont déclarées depuis plus de cinq ans, dont l’objet statutaire est la lutte contre les violences sexuelles et enfin qui ont reçu l’autorisation de la victime ou de son représentant légal) à se constituer partie civile, pour poursuivre les infractions prévues aux articles 222-23 et 222-33 CP relatifs aux agressions sexuelles. Il est remarquable de faire observer que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l’occasion de valider l’action d’une association dont l’objet consiste dans “l’action pour faire reconnaître la dignité de la personne”. Un tel objet statutaire s’inscrit, selon le juge suprême, dans le cadre de la lutte contre les violences sexuelles1598. Enfin, la troisième particularité concerne le délai de prescription de l’action publique qui, aux termes de l’article 7 du Code de procédure pénale, “ne commence à courir qu’à partir de la majorité” de la victime d’un crime commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle. Cette hypothèse concerne le crime commis sur un mineur, dont la protection a encore été récemment renforcée par le législateur actuel1599.
Quant à la phase de jugement, deux règles de procédures particulières aux infractions de viol et d’agressions sexuelles sont à souligner : le huis clos et le compte rendu d’audience. Bien que le principe est à la publicité de l’audience, le huis clos est de droit si la victime, d’un viol ou de tortures et d’actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, en fait la demande. La victime peut aussi s’opposer au huis clos décidé par le président de la juridiction de jugement. La jurisprudence accorde ce droit à la seule victime, en excluant de ce droit la famille, même partie civile au procès1600. Le compte rendu d’audience quant à lui est soumis à un régime spécifique contenu dans l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse. Cet article interdit toute publication ou diffusion d’informations “sur un viol ou un attentat à la pudeur”, ainsi que le nom ou tous éléments pouvant identifier la victime, à moins que celle-ci ait expressément donné son accord par écrit. La violation de cette disposition constitue un délit punissable d’une amende de 20000 F et d’un emprisonnement de deux ans.
Ainsi, autant au stade du déclenchement de la poursuite pénale qu’au niveau de la phase de jugement, ces procédures particulières sont favorables à la victime, personne vulnérable. La victime semble ici au coeur de ce dispositif de protection de la dignité de la personne qui est défini par le législateur et précisé, en situations concrètes de viol ou d’agressions sexuelles, par le juge.
Ce qui nous semble essentiel de relever ici est la création d’une infraction spécifique pour protéger une catégorie particulière d’individus placés dans une situation générale d’infériorité tenant à l’état, à la situation ou à la qualité de la victime. Les notions d’atteintes à la personne ou encore à la dignité de la personne semblent à la base dans la définition d’une telle protection. Enfin, il faut noter que le problème lancinant de la preuve est fréquent lorsqu’il s’agit de définir une nouvelle incrimination ou plus généralement de lutter contre certains préjugés ou comportements sur lesquels finalement le droit n’a en pratique pas prise ou peu d’effet.
Si la construction juridique de la protection contre toute de forme de discrimination faite à la femme a, à l’origine, emprunté le schéma de la lutte contre le racisme, il ne semble pas inintéressant d’évoquer la question de la violence raciale sur le modèle précédemment analysé de la violence sexuelle. L’intérêt d’une telle réflexion se justifie par les limites intrinsèques de la lutte actuelle contre les attaques à caractère racial, atteintes à la personne en raison de sa race ou de son ethnie, ou dites encore attaques à caractère raciste.
V. à ce sujet, D. Mayer, “Le nouvel éclairage donné au viol par la réforme du 23 décembre 1980”, D. 1981, Chr. XXXIX, pp 283-285.
G. Stéfani, G. Levasseur et B. Bouloc, Droit pénal général, Précis Dalloz, 16 ° éd., Paris, 1997, p. 115, n. 121. Souligné par nous.
L’article 4 de l’ancien Code pénal de 1810 a posé ce principe de légalité (Nulla poena sine lege), qui signifie, selon E. Garçon, op. cit., Tome 1, pp 35-50 ; que “nulle contravention, nul délit, nul crime, ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prononcées par la loi avant qu’ils fussent commis“. Ce principe est repris par le Nouveau code pénal.
Art. 222-33 NCP.
Loi du 23 déc. 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux moeurs. Pour la genèse parlementaire de cette loi, V. l’article de l’Avocat général F.L. Coste, “Le sexe, la loi pénale et le juge ou évolutions d’un principe séparateur instituant l’altérité”, D. 1997, n° 23, 12 juin 1997, p. 182. V. égal. D. Mayer, art. préc., p. 283.
C. Cass. 25 juin 1857 Dubas ; pour un commentaire, V. E. Garçon, op. cit., Tome 2, 1956, pp 192-197 .
Le viol concerne de manière générale toute personne vulnérable : il est soit commis par une femme (Crim.4 janv. 1985, Bull. crim. n° 10 ; Gaz. Pal. 1986. 1. 19), soit subi par un homme (Crim. 3 juillet 1991, Dr. pén. 1991. 314 ; RSC 1992. 756, obs. Levasseur ). Le harcèlement concerne au contraire surtout la femme et vise à protéger celle-ci.
Passage cité par D. Noguerol, Discriminations sexuelles et droits européens, Coll. Réalités CEE, Masson, Paris, 1993, p. 76.
Amendement n° 2061, A.N 21 juin 1991. Ibid.
Souligné par nous.
Cour d’appel de Douai 10 septembre 1997 W. C, Melle N., JCP, n° 11, 11 mars 1998, pp 445-446.
Etant toutefois précisé que le Code du travail, en son article L 123 -1, protège la victime et le témoin d’un harcèlement lors de l’embauche ou dans le cadre de gestion du personnel ; quant aux peines afférentes prévues elles sont définies à l’article L 152- 1 du même code (un an et 20 000 F d’amende).
F. Desportes, F. Le Gunehec, op. cit., p. 644, n. 888.
Il s’agit pour l’essentiel des atteintes involontaires à la vie (Art. 221-6 à 221-7 NCP) et à l’intégrité de la personne (Art. 222-19 à 222-21 NCP). Selon la circulaire du 14 mai 1993 précitée, ces infractions visent les domaines de la circulation routière et les accidents du travail.
Ibid., p. 370, n. 486.
La différence notable toutefois est que la protection des agents de la force publique s’inscrit davantage dans le cadre de sauvegarde de l’autorité, c’est-à-dire de l’Etat, représenté ici par ces agents, et non pas tant des agents en eux-mêmes, même si ce souci n’est pas absent. De plus, tout fonctionnaire, aux termes du Code de la fonction publique bénéficie de cette protection de l’Etat. La loi n°96-647 du 22 juillet 1996 déjà citée a modifié la disposition des articles 222-12, 4° et 222-13, 4° du NCP, en précisant expressément au nombre des personnes à protéger, les fonctionnaires de police. Cette protection juridique, renforcée puisqu’elle s’inscrit dans le cadre des circonstances aggravantes, est subordonnée à deux conditions cumulatives : l’agent doit se trouver dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et que sa qualité a été apparente ou connue de l’auteur. Or tout policier est toujours en fonction puisqu’il est soumis à l’obligation d’agir pour protéger les personnes et les biens, comme le prévoit l’article 19 du Décret du 9 mai 1995 portant statut particulier des fonctionnaires actifs de la police nationale. Dès lors, cette protection prévue par la loi de 1996 est assurée dans la majorité des cas.
Pour un commentaire de ces nouvelles dispositions, V. C. Barberger, “Les personnes vulnérables“, Rev. pénit. dr. pén., n° 3-4, 1996, p. 277.
Pour une analyse législative et jurisprudentielle détaillée et approfondie, se reporter à l’intéressante étude du Ministère de l’Intérieur, Les infractions sexuelles - Législation et jurisprudence, Direction Générale de la Police Nationale, Direction Centrale de la Police Judiciaire, août 1997, Paris, 39 p.
F.L Coste, art. cit., p. 182.
Respectivement l’infraction aggravée passe de 10 à 15 ans d’emprisonnement, viol ayant pour conséquence une infirmité permanente, décès de la victime de viol, enfin réclusion criminelle à perpétuité si viol suivi ou accompagné d’actes de tortures.
V. étude du Ministère de l’Intérieur précitée pour les Arrêts de la Chambre criminelle des 23 mars 1982 et 11 mars 1987.
Loi n°98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs. Les dispositions du Titre II et certains articles du Titre III de la loi ont pour objet, écrit un commentateur, “de renforcer tant la prévention que la répression des infractions sexuelles et des atteintes à la dignité de la personne, et de protéger les mineurs victimes”, F. Le Gunehec, “Dispositions de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 renforçant la prévention et la répression des infractions sexuelles”, JCP, n° 28, 8 juillet 1998, pp 1257-1260.
Cass. crim. 3 octobre 1985 V. note 5 ci-dessus.