Le souci de promouvoir les minorités ethniques au sein de la police anglaise s’est renforcé, en particulier depuis le rapport Scarman de 19811679.
Le corps d’inspection (HMIC) développe, dans ses rapports publics successifs, l’idée que l’égalité des chances en raison de la race et du sexe n’est pas seulement un droit reconnu à tout agent de police, mais surtout qu’une telle démarche est compatible et renforce l’efficacité et la bonne gestion des services de police. La législation relative à l’égalité des chances et ses implications concerne alors toute force de police. Le rapport d’étude de 1995 du HMIC, intitulé “Développement de la Diversité au sein des services de police”, résume les fondements et insiste sur l’importance de la réussite du modèle d’égalité des chances au sein de la police1680.
Le ministère de l’Intérieur, en adressant des circulaires aux autorités et responsables locaux des forces de police leur enjoignant de suivre une politique d’égalité des chances ambitieuse, tend à harmoniser au plan national un recrutement policier de type ethnique.
La circulaire n° 87 / 1989 du 7 novembre 1989 relative aux politiques d’égalité des chances dans les services de police a ainsi été édictée en ce sens1681. L’objectif étant, à la lecture de cette circulaire, non pas tant d’éliminer toute discrimination en raison de la race et / ou du sexe (l’autorité centrale reconnaît implicitement les limites de toute lutte contre la discrimination) mais surtout de rassurer et de redonner confiance aux groupes sociaux qui courent un grand risque de se voir discriminer et de ce fait il semble nécessaire de leur assurer une protection législative renforcée.
A la notion de “discrimination directe“ (Direct discrimination) ou discrimination au sens du droit français, est ajoutée une notion plus étendue, celle de “discrimination indirecte” (Indirect discrimination). La notion dite de “discrimination indirecte“ se trouve ainsi définie à l’article 5 de la circulaire précitée : “la discrimination indirecte consiste à faire application, aux termes des dispositions de la loi de 1975 sur la discrimination sexuelle et de la loi de 1976 sur les relations raciales, d’une obligation ou à instituer une condition qui, bien que prise sans distinction aucune entre les personnes des deux sexes, à l’égard de groupes raciaux ou encore au regard du statut marital, a néanmoins eu pour effet ou résultat de rendre assez faible la présence de personnes de l’un ou l’autre sexe, ou d’un groupe racial particulier ou encore d’individus au statut marital particulier, et dès lors qu’il n’est pas démontré qu’une telle disproportion soit dans de tels cas justifiée par des raisons légitimes tenant au sexe, à la race ou au statut marital“1682.
La notion de discrimination indirecte semble plus protectrice car elle s’intéresse davantage au résultat ou mieux à la situation concrète des personnes appartenant aux groupes minoritaires au sein des corps de police. La notion de discrimination indirecte se fixe pour finalité de vérifier l’application du principe suivant : tous les candidats à un emploi dans la police ont un droit à l’égalité de chances d’accéder sans considération de leur sexe, de leur race ; les employeurs, en l’occurrence ici les responsables et autorités de police, doivent scrupuleusement veiller au respect de ce droit.
Aux termes de l’Art. 6 de la circulaire précitée, les commissions d’Egalité des Chances et pour l’Egalité Raciale établissent des codes de pratique, approuvés par ailleurs par le Parlement, et dont l’objectif est d’éliminer toute discrimination et surtout de promouvoir l’égalité des chances notamment ici en matière d’emploi ; ces Codes sont vivement recommandés aux forces de police et doivent acquérir une importance pour développer en ce sens leurs pratiques de recrutement1683.
Une force de police ne s’affranchit pas de ce devoir en déclarant simplement se soumettre à cette politique d’égalité des chances ; les responsables de police locaux doivent prendre les mesures nécessaires pour identifier et éliminer toute pratique discriminatoire ; de plus, ils doivent se prémunir contre tout risque de discrimination qui naîtrait à leur insu (Art. 9). Dans le cas contraire, ils engagent leur responsabilité devant l’industrial tribunal compétent.
L’importance d’une telle démarche de “discrimination positive” pour la bonne image de la police anglaise est soulignée par l’article 13 de la circulaire. Cet article dispose que le développement et l’application cohérente et effective des politiques de l’égalité des chances exige de comprendre et de clarifier l’effet de la discrimination sur la victime qui en fait l’objet et en dernier lieu les conséquences importantes de telles pratiques discriminatoires sur l’organisation ou l’institution en général1684.
Enfin, si le système de quota est en principe prohibé, il semble que la démarche dite de “monitoring“ ait finalement un résultat assez identique. Il s’agit à travers cette notion de mettre fin à tout obstacle qui viendrait constituer une situation définie comme discriminatoire. Selon l’article 16 de la circulaire, l’objectif de cette démarche dite de “monitoring “ est de s’assurer que les règles de sélection, de développement de carrière, de la promotion ne contiennent pas des exigences ou des conditions telles qu’elles constituent une discrimination illégale, ou n’agissent pas en ce sens1685.
La conséquence majeure qui est à retenir ici est la mise en place d’un pourcentage selon le sexe et la race de candidats à un recrutement, si la proportion du personnel policier féminin et/ou ethnique au sein du corps de police paraît faible au regard de la population locale. C’est ainsi par exemple qu’il est précisé que la proportion des candidats femmes issus des minorités ethniques doit être comparée à la fois à celle des candidats hommes issus des minorités ethniques et à celle des femmes candidates retenues au sein de la force de police en question1686.
Pour un bon suivi de cette démarche, des résultats statistiques, basés sur un classement des candidats selon le sexe, la nationalité, l’origine ethnique et la couleur de peau, doivent souligner les raisons apparentes des inégalités persistantes. Elles doivent également être en mesure de préciser si les garanties prévues de lutte contre la discrimination demeurent efficaces, et enfin s’il paraît nécessaire de prendre de nouvelles mesures en ce sens, dans le but de ne pas entraver l’égalité des chances et en permettant notamment aux candidats issus des minorités la poursuite normale de leur carrière dans la police. A cet égard un officier a été spécialement nommé au sein du corps d’inspection (HM Inspectorate of Constabulary ) avec une responsabilité spécifique dans les relations entre la police et les minorités1687. Son rôle consiste à conseiller et appuyer la politique d’égalité des chances menée par les forces de police locales ; il coordonne enfin l’action entre ces forces et les organes publics ou privés compétents (Art. 23 ).
Le rapport d’étude de 1995 du HMIC précité précise pour sa part que le “monitoring”, comme base statistique propre, permet de mesurer le processus de changement dans le domaine de l’égalité des chances. Le ministère de l’Intérieur, aidé de la Commission pour l’Egalité raciale (Commission for Racial Equality ou CRE ) et de la Commission de l’Egalité des Chances (Equal Opportunities Commission ou EOC), peut , grâce à ce type de système d’information, proposer des réformes ou définir un nouveau cadre juridique plus adapté pour améliorer l’égalité des chances au sein de la police. Ce système de suivi doit, selon le corps d’inspection, comprendre plusieurs éléments, notamment ceux relatifs au rang hiérarchique des agents de la force de police, leur spécialité, leur âge et leur origine ethnique1688.
Le corps national d’inspection HMIC observe, dans son rapport de 1996, que l’égalité des chances, concernant le recrutement des femmes et des minorités ethniques, doit se poursuivre, surtout au niveau de la promotion et de la progression de la carrière professionnelle1689. Les auteurs soulignent également le lien fondamental établi entre la qualité des services rendus par la police et l’égalité des chances développées au sein de ces mêmes services de police1690.
L’égalité des chances au sein des services de police semble toutefois rencontrer certaines résistances1691. Un rapport parlementaire rendu public en 1989 faisait ainsi remarquer en ces termes : “Si le ministère de l’Intérieur désire tout légitimement une présence accrue des femmes et des minorités raciales au sein des hauts rangs des services de police, il ne peut exiger de traduire ses belles intentions en action concrète. Le constat qu’il faut relever est la seule présence de trois femmes policières de haut rang et l’absence d’officiers de couleur dans les rangs de “Chief superintendent “ et au delà de ce rang hiérarchique1692.
A côté de l’égalité des chances va dès lors s’affirmer, de manière plus explicite, un recrutement ethnique. C’est du moins ce qu’il apparaît dans la volonté de l’autorité centrale, devant les limites tant du respect du principe de non-discrimination que celle de la démarche de l’égalité des chances, de recruter au sein de la police anglaise des membres issus des minorités ethniques.
Sur ce lien, V. Carole F. Willis, “The police and Race Relations“, Police Studies, vol.8, n°4, Winter 1985, pp 227- 230.
HMIC, Developing Diversity in the Police Service, Equal Opportunities Thematic Inspection, Report 1995, Home Office, London, 1996, 89 p.
Home Office Circular No. 87/1989. Equal Opportunities Policies in the Police Service, 7 november 1989, reproduite in S. Holdaway, Recruiting a Multiracial Police Force, Home Office, HMSO, 1991, pp 189- 196.
“Indirect discrimination consists of applying in any circumstances covered by the Acts (Sex discrimination Act 1975 et Race Relations Act 1976) a requirement or condition wich, although applied equally to persons of both sexes, all racial groups and regardless of marital status, is such that a considerably smaller proportion of one sex, of a particular racial group or of those having a certain marital status can comply with it and it cannot be shown to be justifiable on grounds other than sex, race or marital status”.
L’égalité des chances est sous la surveillance de deux commissions aux pouvoirs étendus : l’Equal Opportunities Commission (EOC) et la Commission for Racial Equality (CRE). “Both the EOC and the CRE have drawn up Codes of Practice, approved by Parliament, directed to the elimination of discrimination and the promotion of equality of opportunity in employment, and these Codes are recommended to forces as a basis on wich to develop their own good practice “. (Les commissions EOC et la CRE ont ensemble établi des Codes de pratique, approuvés par le Parlement, et qui visent à éliminer la discrimination et à promouvoir une égalité des chances devant l’emploi ; ces Codes sont vivement recommandés aux forces de police comme base de développement de leurs actions et pratiques). Ibid., p. 190. Souligné par nous.
Qui précise en ces termes : “The development and implementation of coherent and effective equal opportunities policies requires an understanding of what unfair discrimination does to the victim and the ultimate cost to an organisation in which such discrimination occurs”. Ibid., p. 192. Souligné par nous.
”The basic purpose of monitoring is to ensure that the arrangements for selection, career development and promotion do not contain such requirements or conditions, and are not operated in such a way, as to constitute unlawful discrimination“ Ibid., p. 193.
“The proportion of female ethnic minority candidates (who are potentially doubly disadvantaged) should be compared with both the proportion of male ethnic minority candidates and the proportion of female white candidates appointed in the force“. Ibid., p. 194.
Rappelons que ce corps d’inspection a rendu un rapport important publié en 1997 et qui traite notamment du recrutement ethnique dans la police, V. Her Majesty’s Inspectorate of Constabularies, Winning the Race : Policing Plural Communities, ‘Thematic on Police Community and Race Relations 1996/ 97, Home Office, London, 1997, 79 p.
HMIC, 1995, op. cit., p. 73, n. 17.1 et n. 17.3.
Report of Her Majesty’s Chief Inspector of Constabulary- Annual Report 1995-1996, op. cit., pp 103-106 ; rapport qui souligne également que le recrutement féminin passe de 11 % en 1989 à 14,5 % en 1996 et le recrutement ethnique de 0,97 % à 1,81 %. Le corps d’inspection souhaite renforcer ces taux de recrutement par un développement plus soutenu de l’égalité des chances (p. 110).
Ibid., p. 106.
Ainsi, note le rapport de la HM Inspectorate of Constabulary de 1994 précité, sur 1366 agents de police issus des minorités ethniques, seuls 25 ont un grade supérieur à celui de sergent (sergeant). Il faut toutefois reconnaître que pour la première fois un policier d’origine asiatique a été promu en mars 1996 au grade d’Assistant chief constable au sein de la force de police du Lancashire dirigée par ailleurs par la première femme chief constable ! V. The Guardian du 30 mars 1996, p. 3.
“While the Home Office rightly supports a greater presence of women and racial minorities in the higher ranks of the police service it can do nothing to convert its good intentions into action. Thus there are only three women at ACPO rank in England and Wales and no blacks or Asian officers in the ranks of Chief Superintendent and above“. V. Home Affairs Committee, Higher police training and the Police Staff College, Third Report, House of Commons, Vol. I, Session 1988-1989, London, p. 29.