C’est à une évolution d’une autre ampleur que nous semblons ici assister : il s’agit par une démarche positive et de manière explicite d’instituer un recrutement ethnique au sein de la police. Les principes d’une telle politique policière sont inscrits dans une circulaire ministérielle qui va servir ici de base à notre analyse.
Le recrutement ethnique au sein de la police anglaise n’a pas été de soi, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Ainsi, en 1962, le ministre de l’Intérieur de l’époque, R. Butler, déclarait, selon un auteur, qu’il n’y a pas de place pour les gens de couleur au sein de la police1693 . La position ministérielle est, quelques années plus tard, beaucoup moins intransigeante et devient plus souple dans la déclaration de son successeur Mr. Jenkins, qui en 1966 souligne au contraire en ces termes : les relations entre la police et le public peuvent être améliorées, une telle amélioration des rapports avec la population peut être efficacement développée par le recours à un recrutement des policiers de couleur1694 .
En mars 1966, est recruté le premier policier de couleur au sein de la force de police de Coventry1695. Dans son rapport de 1967, le corps d’inspection HMIC note que les responsables de police affirment avec conviction que l’amélioration des relations entre la police et les communautés minoritaires passe par un effort de recrutement des gens de couleur. La difficulté toutefois, soulignent les inspecteurs, est d’intéresser et de recruter les hommes et femmes compétents. Le manque d’éducation et d’instruction est la cause principale de l’échec d’une telle politique policière ; un tel obstacle ne sera levé qu’à partir de la seconde génération1696. Toutefois, sur la période 1966-1967, six policiers de couleur ont été recrutés et il est prévu d’en recruter douze pour la fin de l’année 19671697. Depuis, le recrutement ethnique au sein de la police connaît une institutionnalisation progressive1698, exprimée avec force dans une circulaire ministérielle de 1990.
Les policiers anglais peuvent être considérés, selon les termes du juriste anglais M. J. Bell, comme des “employés du secteur public“ plutôt que de “fonctionnaires”1699. L’emploi de ces termes semble ici justifié en ce qui concerne le statut des agents des services des collectivités locales en Grande-Bretagne, et notamment ici les agents du service de police (Police service ). Un auteur anglais confirme pour sa part une telle définition statutaire de ces agents en écrivant que, non seulement les personnels de l’administration nationale et locale, “sont organisés de manière indépendante, mais de plus leur statut juridique est tout à fait différent. La fonction publique (Civil Service) est une catégorie unifiée avec un seul employeur : la Couronne. De l’autre côté, le personnel de l’administration locale est employé par une autorité locale individuelle, sur une base contractuelle. Le personnel de l’administration locale ne constitue donc pas un service unifié”1700.
Ce statut d’employé dans un service local est assez souple et permet une ouverture vers un recrutement de type ethnique. Ce statut induit une souplesse de la règle de recrutement qui apparaît nettement dans une récente circulaire ministérielle.
La circulaire du 2 avril 1990 relative au recrutement ethnique au sein des services de police reprend les conclusions d’un rapport portant sur cette question et commandé par le ministère de l’Intérieur1701.
La politique de recrutement ethnique doit se baser sur une action positive, c’est-à-dire par des efforts qui rendent la fonction d’agent de police attractive pour les membres issus des minorités. La campagne publicitaire de recrutement n’est considérée que comme un support, l’essentiel pour intéresser les minorités à la fonction de police réside dans les contacts personnels et quotidiens avec leurs membres1702 . Enfin, chaque force de police se doit d’évaluer la proportion des policiers issus des minorités afin d’établir un tableau de recrutement ethnique inscrit dans un programme à court terme.
La nomination d’un Staff Officer (Community Relations) au sein du corps national d’inspection est la traduction de l’importance et de la spécificité du recrutement ethnique. Et le ministre de l’Intérieur de conclure : “je souhaite que toutes les forces de police s’inspirent des résultats de la recherche qui m’ont récemment été soumis, pour renouveler leurs efforts pour améliorer ou augmenter avec conséquence le niveau de recrutement ethnique et d’inscrire de tels efforts dans le cadre de leur action pour l’égalité des chances”1703.
Les relations raciales au sein de l’institution, à savoir ici la présence de collègues issus des minorités au sein des corps de police, sont reconnues comme un domaine crucial pour l’image de l’institution et par conséquent de l’efficacité de son action. La circulaire relève la corrélation qui paraît s’établir entre, d’une part, la qualité des relations entre la force de police et sa communauté ethnique locale et, d’autre part, le niveau de recrutement en raison de la race.
La circulaire souligne en tout cas, à son article 5 c, le lien qui existe entre les problèmes de recrutement et la qualité des relations entre la police et les minorités. Ces relations, qui doivent s’établir dans de bons termes entre la force de police et les communautés minoritaires locales, semblent avoir une incidence sur le recrutement de policiers issus de ces minorités ethniques1704.
Les règles de recrutement ethnique doivent dès lors être adaptées au contexte local. En ce sens, un assez large pouvoir d’initiative est laissé aux responsables de police locaux. A ce titre, l’autorité centrale estime en ces termes : “qu ‘à la fois la nature et la pertinence de ces initiatives de recrutement sont d’autant plus efficaces qu’elles sont opérées à l’échelon local, et qu’une telle démarche, si elle vient à être développée à l’échelon national, ne répondrait qu’imparfaitement à de tels critères et semble dès lors à juste titre rejetée”1705. Le pragmatisme policier conduit à retenir le niveau local plus pertinent semble-t-il pour mener à bien ce type de recrutement ethnique. Des liens sont alors noués entre les départements de police respectivement chargé du recrutement et celui en charge des relations communautaires. De l’état de ces relations raciales semble dépendre, à long terme, la paix publique dans certains territoires1706.
Dans son rapport d’étude de 1995, le corps d’inspection HMIC tient à souligner qu’il soutient et encourage vigoureusement l’action positive qui consiste à venir en aide aux personnes qui appartiennent à des groupes sous-représentés pour les conduire au niveau de sélection exigé et acquérir ainsi les aptitudes pour pouvoir se présenter à la phase de recrutement, tendant ainsi à les placer à égalité des chances par rapport aux autres candidats. Il faut distinguer, insiste le rapport du HMIC, l’action positive de la discrimination positive. L’objectif demeure bien celui de l’égalité des chances pour tous les candidats et ce sur le seul critère du mérite1707.
Les experts inspecteurs font par ailleurs observer qu’il est important de reconnaître que les efforts accomplis pour accroître le recrutement ethnique risquent de devenir vains- ou mieux contre-productifs- s’il subsiste des discriminations dans le processus de sélection, dans le développement de carrière, dans les postes de travail et plus généralement le lieu de travail. La perception du racisme et de la discrimination au sein des services de police et de leur impact sur l’extérieur doivent être appréhender dans les mêmes termes. Ils sont à eux deux l’expression de la qualité des services car il paraît établi qu’un lien étroit évident existe entre la culture interne de la force de police et ses répercussions externes1708.
En France, l’approche d’un recrutement policier spécifique est toute différente, elle n’en existe pas moins et s’exprime par une démarche non avouée de discrimination positive.
“There was no place yet for the coloured person in the police“, Cité par S. J. Fairmaner, A comparative study of ethnic minority recruitment and retention within the police services of Great Britain and the Netherlands, Centre of Police and Criminal, Justice Studies, University of Exeter, december 1992, p. 56
“(...) relations between the police and public were better and this could be even more improved by the introduction of coloured policemen“. Ibid., p. 57.
Il s’agit du constable Mr. Muhamed Yusuf Daar, Ibid.
Report of Her Majesty’s Chief Inspector of Constabulary for the year 1967, Her Majesty’s Stationery Office, London, 25 th June 1968, p. 65 .
Ibid. Ces recrutements de 1966-1967 concernent les forces de police de West Riding, Devon and Cornwall, Coventry, Warwickshire and Bradford.
Ainsi les minorités ethniques représentent en 1992, 2,9 % des forces de police (soit 1459 agents sur un total de 50819) ; 3 % en 1993 (soit 1960 sur un total de 31945) ; pour atteindre 3,2 % en 1994 (soit 1290 sur 40442). Ces chiffres excluent la police métropolitaine, V. HMIC1995, Developing Diversity in the Police Service, op. cit., p. 19.
J. Bell, “L’expérience britannique“, in Le service public, AJDA, 20 juin 1997, p. 132, note 15, écrit : “Il nous semble préférable de parler “ d’employés du secteur public “plutôt que de “fonctionnaires“ car le droit anglais ne reconnaît pas la fonction publique locale et le statut de la fonction publique nationale devient de plus en plus contractuel“.
F.F. Ridley, “Le personnel des collectivités locales en Grande-Bretagne”, RFAP, juillet/ août 1988, n° 47, p. 455.
Home Office Circular No. 33 / 1990. Ethnic Minority Recruitment into the Police Service, reproduite in S. Holdaway, op. cit., pp 207- 210.
Selon l’Art. 3 i de la circulaire : “Advertising should be regarded as having only a supporting role to play. The key lies in personnal contact with members of the minority communities”. Ibid. p. 208. Les personnes issues des minorités affectées à des tâches administratives mais n’ayant pas le statut de constable seront à terme intégrées au sein de ces forces (Art. 3 j).
“The Home Secretary hopes that all forces will study carefully the findings from this research in the context of their renewed efforts to improve the level of ethnic minority recruitment and as part of their wider commitment to equal opportunities“. Ibid. p. 210. Souligné par nous.
“Moreover, the links between a force and its local minority communities are very important to ethnic minority recruitment“. Souligné par nous .
“We believe that both the nature and timing of such initiatives are best determined locally and that a national ethnic minority recruitment initiative would not be productive“ (Art. 5 d).
V. Art. 3 c de la circulaire précitée. Ce souci marqué pou un recrutement ciblé sur certaines populations présentes sur certains territoires est notamment souligné dans le récent Rapport 1996/ 97 de la police métropolitaine, police qui compte un nombre important de policiers issus des minorités. Il est ainsi souligné que “la campagne visant à intéresser davantage de jeunes recrus issus de minorités ethniques semble en partie positive, fruit des tests et formation de pré-embauche dispensés en partenariat avec l’Industrial Society et le district urbain de London Borough Haringey. Cette formation semble avoir un certain succès auprès des futurs policiers, dix d’entre eux ont intégré une telle formation depuis janvier 1997. Il est prévu d’étendre cette démarche de recrutement à d’autres zones urbaines de la ville de Londres, notamment celles dont le taux de chômage est élevé parmi les populations issues des minorités ethniques“. Report of the Commissioner of Police of the Metropolis 1996 / 97, op. cit., pp 49-50 .
“HM Inspector strongly encourages positive action to help members of under-represented groups reach the point of selection and compete on an equal basis with others. It should be noted that positive action does not mean positive discrimination. The objective is an equal chance for all candidates to compete on the basis of merit”, HMIC 1995, op. cit., p. 25, n. 5.28.
Ibid. pp 25-26, n. 5.32. ”It is important to recognise that efforts to increase ethnic minority recruiting will be offset- or even counter-productive- if there is still discrimination in the selection process, career development and the workplace in general. Perceived racism and discrimination within the service and issues of insensitive policing externally must be equal targets for action. They are both expressions of quality of service, and there is evidence of the link between the internal culture of force and external perceptions of effectiveness”.