Section 1: Le principe de non-discrimination

L’égalité dont il est question concerne les modalités de recrutement des agents de l’Etat1710, à savoir essentiellement ici les fonctionnaires civils1711. L’égal accès aux emplois publics est un principe établi depuis la Révolution de 17891712 et qui a été réaffirmé par le juge constitutionnel suite à la refonte législative du statut général de la fonction publique intervenue en 19831713. Ce principe s’applique au recrutement de tous les agents publics1714. Ce qui exclut par conséquent toute forme de discrimination en raison du sexe1715 ou encore en raison des origines, notamment ethniques ou raciales des candidats1716.

Les discriminations de tous ordres sont ainsi prohibées1717 notamment dans l’accès à la fonction publique policière mais aussi au traitement de la carrière des agents par les services de police1718. Le respect de ce principe de non-discrimination, exige parfois la possibilité de déroger à ce principe, notamment dans l’intérêt du service, et ce à titre exceptionnel1719

Le juge limite toutefois ces dérogations en étendant son contrôle sur toute mesure dont l’objet affiché est de rétablir une certaine forme d’égalité. Le contrôle juridictionnel en cette matière est assez poussé1720. Etant toutefois précisé que seules des dispositions à caractère réglementaire peuvent autoriser de telles dérogations, toute discrimination individuelle est exclue.

Plus généralement, il est possible de déroger au principe de non-discrimination lorsque les agents se trouvent placés dans des situations de fait ou de droit définies comme différentes1721. Ainsi, la règle de l’égalité peut se trouver limitée dans son application face à l’existence de corps de police différents1722, quand bien même le législateur ait déclaré ces corps homologues1723 dans le cadre d’un déroulement de carrière homogène1724. Des dérogations qui prennent en considération la qualité des agents, telle que le sexe, sont dès lors admises.

Il nous paraît intéressant d’étendre également notre réflexion à la nationalité des candidats pour approcher la question actuelle d’un recrutement ouvert à certaines catégories sociales saisies le plus souvent par leur origine ethnique non-européenne.

Le principe a pendant longtemps été celui de l’exigence de la qualité de citoyen, c’est-à-dire de la possession de la nationalité française, pour accéder à la fonction publique. Cette exigence est contenue dans les textes qui se sont succédés de la loi de 1946 à celles de 1983 et 1984.

Comme le souligne un auteur, “Le principe de l’égalité d’accès aux emplois publics s’oppose également à ce que l’autorité administrative fasse état de l’origine sociale et raciale (...) des intéressés“1725. Le concept de citoyen exclut par là même toute prise en considération de l’origine sociale, ethnique ou raciale des candidats aux emplois publics1726

Ces considérations préalables n’en laissent pas moins entrevoir, face à certaines inégalités concrètes, la possibilité de déroger à ce principe général de non-discrimination1727. Cela nous conduit à présent à analyser les recrutements en raison du sexe, de la nationalité des agents, pour enfin saisir les possibilités juridiques de l’accès à la fonction publique policière de certains membres issus des minorités.

Notes
1710.

Pour une approche plus générale, V. J. Puisoye, “Les divers aspects du principe de l’égalité dans la fonction publique”, AJDA 1961, p. 407.

1711.

Les dispositions statutaires de la loi de 1983 ne s’appliquent qu’aux fonctionnaires civils de l’Etat (Art. 2). Les fonctionnaires militaires, en particulier les gendarmes, connaissent un régime particulier régi par la loi du 13 juil. 1972 (JO 14 juillet 1972, p. 7430) modifiée par la loi du 13 janv. 1989. Nous nous intéressons ici pour l’essentiel aux fonctionnaires civils à savoir les fonctionnaires des services actifs de la police nationale. A ce sujet V. B. Thomas-Tual, “Recrutement“, J.Cl . Adm., 1995, Fasc. 181.

1712.

Pour une analyse de ce principe du droit public révolutionnaire, V. S. Caporal, L’affirmation du principe d’égalité dans le droit public de la révolution française (1789-1799), Préf. L. Favoreu, Coll. Droit public positif, Economica, PUAM, 1995, p. 88 et s.

1713.

Décision du Conseil constitutionnel du 14 janv. 1983, RDP, 1983, p. 333, note Favoreu. V. Art. 6 de la loi du 13 juil. 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ou Titre I, énonçant ce principe de l’égalité des citoyens. Ce principe a été posé par la jurisprudence administrative lorsque le statut du 19 octobre 1946 était encore en vigueur : CE Pasteau, 8 déc. 1948, Rec. 464 ; RDP 1949, p. 73 ; et plus récemment : CE Merlenghi 28 sept. 1983, Rec. 316.

1714.

CE Amicale des anciens élèves de l’ E.N.S. de Saint- Cloud 21 déc. 1990, Rec. 378 ; Dr. adm. 1990, n. 61.

1715.

V. l’Alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui énonce que “La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme“.

1716.

L’Alinéa 5 de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose : “(...) Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances“.

1717.

Principe posé antérieurement par l’Art. 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et auquel se réfèrent souvent les juridictions constitutionnelle, administrative, article qui dispose que “(... ) Tous les citoyens, étant égaux à ces yeux (la loi ), sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents”.

1718.

CE Union interfédérale des syndicats de police 21 juillet 1972, Rec. 584 ; AJDA 1972, p. 458 et 481.

1719.

CE Union interfédérale des syndicats de la préfecture de police et de la sûreté nationale 28 janv. 1972, Rec. 89 ; AJDA 1973, p. 125, concl. Morisot.

1720.

CE Monlivet 6 janv. 1956, Rec. 4.

1721.

CE Desmoulins 18 juin 1991, AJDA 1991, p. 574.

1722.

CE Syndicat chrétien des officiers de police 21 avril 1972, Rec. 300 ; RDP 1973, p. 232, note Waline.

1723.

CE Association générale des administrateurs de la préfecture de Paris 30 mars 1973, Rec. 267.

1724.

L’harmonisation des carrières ne s’entend pas de l’application uniforme des règles ni de l’octroi des mêmes emplois : CE Section de la préfecture de police de l’association générale des administrateurs civils 20 juil. 1971, Rec. 542.

1725.

A. Plantey, op. cit., p. 114, n. 240.

1726.

Ce principe est implicitement affirmé par l’Art. 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui dispose : “Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et leurs talents “. Souligné par nous.

1727.

Des discriminations compensatrices fondées sur l’état de santé ou de famille voire l’âge sont légalement reconnues à travers la notion d’emplois réservés, ainsi en est-il des handicapés, des veuves, blessés de guerre... V. B. Thomas-Tual, op. cit., p (6), n. 12.