A la fin des années 1950, les “Officiers de liaison avec les communautés” (Community Liaison Officer ou CLO) étaient une réponse à la présence de minorités ethniques sur le sol britannique. La formation spécialisée suivie par ces agents de police marque le début d’une formation policière intégrant la question des relations raciales. Ces postes spécialisés, variables en rang hiérarchique et en degré d’implication des agents dans ces relations, sont peu à peu étendus aux différentes forces de police.
Mais la fin des années 1960 marque un tournant car cette formation est désormais étendue aux unités opérationnelles de police et non plus seulement limitée aux seuls spécialistes ou encore aux unités spécialisées de la question minoritaire. Le corps national d’inspection HMIC, dans son rapport annuel de 1967, observe ainsi, dans sa section consacrée à l’intégration raciale (Racial integration ) que : “les responsables de police sont pleinement conscients de la nécessité d’avoir de bonnes relations avec la communauté des gens de couleur ; une partie de la formation dispensée à tout officier de police doit être l’impartialité dans son attitude et comportement à l’égard de tout public, et ce sans considération de classe, de race ou de croyance. Toutefois, il est admis qu’il subsiste, en particulier dans les zones où la présence d’immigrants est assez importante, un problème qui exige à lui seul un programme soutenu pour établir une compréhension mutuelle ; et déjà un effort est mené en ce sens au moyen d’une formation destinée aux officiers de police ; tout ceci pour établir un rapport étroit avec les représentants des communautés d’immigrants“1878.
Cette évolution marquante est inscrite dans certains rapports officiels qui recommandent à ce que les policiers soient mieux informés sur les “groupes immigrés ou immigrants“ (immigrants groups ) et aient une meilleure connaissance de la nature et la manifestation des préjugés par lesquels sont souvent désignées ou appréhendées ces populations.
“Il est important, souligne le rapport des inspecteurs précité, que les officiers de police de tout rang reçoivent une information complète sur les coutumes et les modes de vie caractéristiques des communautés immigrantes, et ce dans le but d’améliorer la compréhension mutuelle entre la police et les immigrants“1879. Et les auteurs du rapport de poursuivre en notant que “ des cours de langues asiatiques sont une demande des officiers de police quelque soit leur force de police d’appartenance, et il est clair que la police se voit là confronter à un grand défi pour réaliser une relation harmonieuse avec les immigrants de couleur ; mais il demeure essentiel que les immigrants fassent un effort de leur part et considèrent que le devoir exigé d’un citoyen, défini ici sans considération de race ou de croyance, est de comprendre et de se conformer aux lois de ce pays, tout autant qu’il est du devoir de la police d’en faire une application impartiale et sans préjudice“1880. Un souci identique se retrouve dans les rapports officiels publiés dès la fin des années 19701881.
Les événements récents survenus dans les années 1980 dans les quartiers centraux ont mis en avant l’absence de mise en oeuvre concrète de telles recommandations. De simple expérience menée jusque là, la formation policière dans le domaine des relations communautaires va acquérir un caractère normal.
Un rapport ministériel de novembre 1981 souligne que “la formation des officiers de police doit être à même de se développer plus largement en rapport avec le phénomène sensible des attaques à caractères raciste, si l’en juge le fort impact des ces derniers sur les communautés minoritaires ; la formation dont il s’agit doit privilégier les attentes de la communauté ; une telle priorité inscrite dans la formation policière doit se retrouver dans l’enseignement dispensé dans les écoles“1882. Il est également recommandé “une assistance à la police conduite par les groupes ethniques dans le cadre de la formation dispensée aux agents des forces de police ; cette aide est l’occasion pour la police de pouvoir expliciter en retour certaines matières du système légal de preuve ou simplement tenant à la législation en général, aux leaders de le communauté“1883.
Le rapport Scarman de novembre 1981 montre que l’origine des violences urbaines se trouve pour une grande part dans la perte de confiance et le manque de dialogue ou de communication entre la police et les communautés locales ; ce manque de crédibilité de l’institution est davantage prononcé dans les zones à forte présence de minorités, à savoir les “inner-cities“. Lord Scarman recommande dès lors non seulement une politique de maintien de l’ordre plus adaptée à ces territoires mais aussi une amélioration de la relation de la police avec cette population, amélioration qui passe notamment par une formation et une discipline, en particulier contre les attitudes discriminatoires. Le rapport Scarman souligne en effet l’inadéquation de la formation des policiers anglais au contexte d’une “société multiraciale“1884 et ce malgré les initiatives menées jusque là en ce domaine par les autorités en charge de la police. C’est dans cet esprit qu’a été institué le groupe de travail, le Conseil pour la formation de la police (Police Training Council ), composé de policiers, de hauts-fonctionnaires et de représentants des minorités et qui rendra son rapport en 19831885.
La question de la formation policière est ici appréhendée sous l’angle de la notion plus générale de racisme. Alors que Lord Scarman retient des attitudes racistes chez certains policiers qui sont, selon son expression “les quelques mauvais fruits qui contaminent ou portent atteinte à l’image du corps de police dans son ensemble“ (“the rotten apples who let the others down “ ), le rapport sur la formation policière de 1983 élargit cette vision par l’affirmation d’un racisme diffus dans la société ou faisant partie de la culture de la société anglaise. Dans cette perspective, et pour contrecarrer une telle tendance au sein des forces de police, les auteurs du rapport recommandent que tout policier soit formé aux relations raciales, tant au niveau de la formation initiale que continue ; la formation doit être non seulement pratique dans le sens où il faut donner des moyens concrets aux agents pour répondre à ce problème mais aussi et surtout adaptée au contexte du territoire d’action du policier ; enfin cet enseignement doit être dispensé, pour l’essentiel, par des formateurs policiers spécialisés, c’est-à-dire qui ont reçu une formation spécifique pour traiter de ces questions.
Ce rapport officiel semble ici appliquer au sein de la police anglaise le modèle américain dit de la formation à la prise de conscience du racisme (Racism awareness training)1886. Les auteurs concluent en effet en ces termes : s’il est important pour les officiers de police d’admettre l’existence d’un racisme en eux-mêmes et chez d’autres, une approche ouverte de confrontation de cette question semble improbable à produire un effet dans le contexte d’exercice de la police. Pour cette raison, il semble nécessaire de faire appel à des formateurs d’une grande habilité qui soient sensibilisés à ce problème pour conduire une formation de qualité destinée à développer une prise de conscience de ce phénomène1887.
A cet égard, le rapport recommande la création d’une unité d’aide spécialisée et indépendante de formation (Independent Training Support Unit ). De manière symbolique, cette unité est établie par le Home Office au sein du Centre d’études des Communautés et Relations Raciales de l’Université de Brunel, dans l’ouest londonien. En 1988, cette unité d’aide disparaît sans avoir eu un réel impact sur la formation des policiers, et lui est provisoirement substituée une structure de formation, installée près de Bedford, et dont la gestion est laissée à des associations privées reconnues pour leur compétence en matière d’égalité des droits (Equalities Associates ).
A l’heure actuelle, la conception de la formation s’effectue au niveau central, et la mise en oeuvre incombe aux responsables de police au niveau régional. Chaque force de police a son département de formation (Regional District Training Centres), relié à l’autorité de police centrale par le Central Planning and Training Unit ou CPTU, installée à Harrogate, dans le Yorkshire1888. Le CPTU est responsable de la politique de formation de base au sein des services de police. La particularité des relations raciales a conduit à créer une unité spécialisée en ce domaine.
Une structure spécialisée, A Specialist Support Unit For Community and Race Relations Training 1889, créée par le Home Office et installé à Turvey dans le Bedfordshire1890, a été instituée pour aider à une formation policière qui se doit de répondre de manière adéquate aux besoins d’une “société multiculturelle“ ou “multiraciale“. Cette Unité centrale a pour attribution essentielle de promouvoir des cours portant sur les relations communautaires et raciales au sein des écoles de police, de donner des avis et d’assister les écoles de formation sur la manière d’inscrire de telles matières dans la formation des agents qui suivent une scolarité qui les destine aux fonctions de police tant aux niveaux local, régional que national.
La mise en place de cette structure par le ministère de l’Intérieur poursuit un triple objectif. Il s’agit avant tout de créer des cadres de formateurs policiers spécialisés ; ensuite de définir des programmes de formation et d’aides matérielles destinés à ces formateurs qui sont appelés à dispenser leurs cours au sein d’établissements spécialisés dans lesquels ils sont affectés ; enfin d’engager un plan stratégique de management de ces établissements pour s’assurer de l’effectivité de ces programmes et surtout de l’intégration de la question des relations communautaires et raciales tout au long de la formation professionnelle des agents de police. Soulignons aussi l’importance particulière attachée par le ministère de l’Intérieur à ce que des membres issus des minorités soient, progressivement et de manière significative, représentés au sein de cette Unité centrale d’aide à la formation. Nous voyons là une réelle volonté d’institutionnaliser la formation des agents de police anglais à la question minoritaire.
Dans son rapport d’inspection sur la police communautaire et les relations raciales publié en 19971891, le HMIC insiste toutefois sur le fait que la formation à elle seule ne peut promouvoir une sensibilité plus forte aux relations communautaires et ne peut non plus résoudre les problèmes de racisme au sein des services de police1892. Le corps d’inspection relève aussi que si la formation aux relations raciales doit être poursuivie et approfondie, elle doit non seulement être appliquée dans des zones où la présence des minorités ethniques est significative, mais aussi s’étendre plus généralement là où les communautés locales sont diverses. Dans cet objectif, des formateurs spécialisés, appelés les senior constable training, doivent être institués1893.
Les considérations suivantes doivent être prises en compte dans toute formation aux relations communautaires et raciales, selon les experts inspecteurs : une formation particulière et adaptée à chaque zone de compétence de la force de police, les objectifs de formation à moyen et long terme doivent être clairement définis et traduire le souci de la force de développer et de maintenir de bonnes relations communautaires et de lutter contre le racisme et contre toutes formes de préjugés, et enfin évaluer une telle formation. La formation doit aussi être reliée aux services des ressources humaines et du personnel, et ses dimensions externes et internes doivent pouvoir être distinguées bien que des liens étroits doivent être maintenus. L’objectif de formation aux relations communautaires et raciales au sein de la force de police doit être clairement spécifié, et les individus ou groupes davantage ciblés dans les priorités fixées par cette formation. Chaque force doit définir et préciser les modalités de cette formation et les personnes qui en sont chargées1894.
Les auteurs du rapport concluent que la volonté d’améliorer les relations communautaires et raciales n’entre pas en contradiction avec les responsabilités policières en matière de lutte contre la délinquance et pour le maintien de l’ordre. Au contraire, cet effort est une condition préalable et requise pour remplir correctement et efficacement ces missions traditionnelles de la police1895. Cet effort est traduit dans le contenu de la formation dispensée aux agents de police.
Report of Her Majesty’s Chief Inspector of Constabulary for the year 1967, op. cit., p. 64 .
Ibid., p. 65 .
Ibid.
V. pour une analyse plus détaillée R. Oakley, “Police Training on Ethnic Relations in Britain“, Police Studies, Vol. 13, No 2 ; 1990, p. 49.
Recommandation n° 3 du Report of a Home Office Study “ Racial attacks “, op. cit., p. iii et s.
Recommandation n° 4 du rapport précité, Ibid.
The Scarman Report, op. cit., pp 126- 127, n. 5.16 : la formation des officiers de police doit les préparer à exercer dans une société multiraciale. Les informations que j’ai pu obtenir m’ont établi dans ma conviction que le cadre de formation semble à l’heure actuelle inadapté. Des efforts doivent être entrepris pour mieux former les officiers de police, en particulier pour comprendre l’histoire culturelle des groupes ethniques minoritaires, et pour mener à bien les contrôles et arrestations des personnes sur la voie publique (“The training of police officers must prepare them for policing a multiracial society. Much of the evidence submitted to me has suggested that the present training arrangements are inadequate (...) More attention should therefore be devoted, it was suggested, to the training of police officers in, for example, an understanding of the cultural background of ethnic minority groups and in the stopping and questionning of people in the street“).
Police Training Council, Community and Race Relations Training for the Police, London, Home Office, 1983. Ibid., p. 56.
Vers le début des années 1980, la police métropolitaine a été pionnière en lançant le programme dit “Human Awareness Training“, en particulier dans la prise de conscience communautaire sous la dimension raciale et culturelle. Enfin, en 1989, le concept de “ service to the public “ fait son apparition dans la campagne dite “Met’s Plus Program“.
“while it was important for police officers to be able to acknowledge the existence of racism in themselves and others, the overtly confrontation approach was unlikely to be effective in the policing context. It also emphasised the need for highly skilled and sensitive trainers to conduct awareness training as well as careful briefing and demonstratable relevance of such training to performance on the job“, Police Training Council, op. cit., p. 50.
Le statut particulier de la police de Londres, la “Met“, a son propre centre de formation, la Peel Centre situé à Hendon, dans le nord de Londres .
V. à ce sujet, R. Oakley, “A Specialist Support Unit For Community and Race Relations Training for the British Police”, Police Studies, Vol. 16, No 4, 1993, pp 129-137.
HMIC 1995, op. cit., p. 46, n. 8.12.
HMIC Thematic Inspection Report on Police Community and Race relations 1996/97, op. cit., pp 52-55.
Ibid., p. 52, n. 3.68. “With regard to training, it must be strongly emphasised that this alone will not solve the problems of racism within the police service”.
Ibid., p. 53, n. 3.68.
Ibid., p. 54, n. 3.71.
Ibid., p. 55, n. 3.76.”It is the view of HM Inspector, however, that a commitment to improving community and race relations is not in conflict with the policies responsabilities for tackling crime and maintaining law and order. Rather, it is a pre-requisite for doing so effectively”.